ll y a des livres comme ça qu'on a chez soi depuis longtemps, qu'on a vraiment envie de lire et que pourtant on n'a toujours pas ouverts. Parce qu'il y en a toujours un nouveau pour le griller sur la pile, parce qu'on vient de nous prêter celui-là et parce qu'on sait qu'un jour, de toute façon... C'est étrange, comme un livre semble perdre de la valeur si on ne l'a pas entamé quelques jours après son achat. Je crois bien ne pas être le seul dans ce cas, et de loin. Du coup, désormais, je n'achète plus les livres qu'un par un.
Tout ça pour vous dire, donc, que deux ans après être ressorti tout content de ma librairie de quartier, j'ai enfin lu HHhH, de Laurent Binet.
Vous connaissez peut-être l'histoire (perso, je n'en savais rien) : celle de la tentative d'assassinat à Prague, en 1942, de Reinhard Heydrich, bras droit et cerveau gauche de Himmler, par deux résistants parachutés de Londres.
Laurent Binet mêle dans le livre les deux histoires : celle des deux héros tchèque et slovaque, et celle de Heydrich. Une ascension fascisante et fascinante, d'un bon élève appliqué qui deviendra à la fois chef de la Gestapo et planificateur de la Solution finale, un de ces cerveaux de l'ombre qui, en 1941, se fait nommer "protecteur" de Prague pour y mater la résistance (un peu comme un cadre qui demanderait à occuper une direction opérationnelle pour mieux grimper dans l'organigramme), et qui y gagne rapidement le surnom de "Boucher".
La seule découverte de ce personnage de l'ombre, dont on semble retrouver la trace partout, justifierait la lecture du livre. Laurent Binet y ajoute une troisième dimension : celle de l'histoire de l'écriture-du-roman. On le voit à Prague cherchant les lieux de son histoire, pestant de ne pas trouver tel ou tel document, hésitant à romancer, confiant sa sympathie pour ses deux héros...
Un parti pris complètement casse-gueule, aurait dit un éditeur que je salue. Le danger est tout proche de tirer la couverture à soi, de mettre son nombril en travers du livre (eh, pousse-toi de là que je lise ton histoire! crie parfois le lecteur). Je l'avoue, j'ai eu cette impression pendant quarante pages. Puis, miracle de l'invention formelle, ça marche. On finit par le suivre dans ses hésitations, elles enrichissent l'histoire, et le tout en crescendo jusqu'au final haletant dont je ne vous dis rien, mais que vous lirez dans un état de tension dramatique qu'une biographie, voire un roman historique classique, n'aurait jamais atteinte. Une incroyable tension alors même que l'Histoire a déjà écrit la fin, comme dans les dernières pages du Journal d'Hélène Berr – ou quand vous revoyez encore une fois le France-Allemagne de 1982, après le but du 3-1 et que vous vous dites que ce n'est pas possible, cette fois ils vont la gagner, cette demie.
Bref ! HhhH avait été salué par la critique, Bret Easton E. l'a porté aux nues, je n'en rajoute pas trop. Juste pour dire que non seulement c'est bon, mais que c'est aussi réussi, et que ça vous fera deux raisons de le lire – en plus de l'édification historique.
A ce sujet, je ne saurais trop vous conseiller de filer à Prague aussitôt après avoir fermé le livre, pour y retrouver des lieux, des noms, une ambiance.
Je vous enverrai une carte postale.