Il y a un plaisir assez singulier à s'attaquer à un genre.
Le plaisir de se laisser porter par des codes, de jouer avec eux pour mieux jouer avec le lecteur, l'assurance d'un cadre éprouvé dans lequel on va pouvoir s'amuser en toute liberté, en retombant toujours sur ses pattes.
C'est ce qu'a fait Richard Gaitet avec L'Aimant.
Son modèle assumé : le roman d'aventures, façon Jules Verne. Et parce que l'aventure ne souffre pas la demi-mesure, il y va à fond. La couverture, cartonnée et dorée, donne le ton. Les illustrations intérieures (signées Riff Reb's) continuent le travail en beauté – bravo à l'auteur et à l'éditeur, Intervalles, d'avoir réuni tout ça, pour 19 euros seulement. L'édition, on vous le dit, c'est une aventure.
Et le texte, alors ? Bien sûr, le texte.
L'Aimant, c'est l'histoire d'un jeune freluquet qui quitte sa Liège natale pour embarquer à Anvers sur un cargo à la mission mystérieuse. Direction Buenos Aires, via les Açores... Mais le monde extérieur rattrape le cargo : une crise monétaire fait rage dans le monde, où toutes les pièces disparaissent inexplicablement. Tous ces éléments finiront bien sûr par se rejoindre, mais on prendra son temps – parce que ce qui compte, dans le roman comme dans le voyage, c'est le chemin, non la destination.
Dans L'Aimant, tu trouveras des amis, des vrais, des traîtres, des illustrations en noir et blanc et des personnages haut en couleur, des bagarres homériques, une beuverie épique, une femme sublime aux tatouages étranges, la barbe de Neptune, un passage secret au milieu de l'océan, un karaoké mortel et des pièces de dix francs...
Tu sursauteras, dans les 100 premières pages, à l'apparition d'un téléphone portable ou de tout autre rappel de la modernité, tant tu te croirais chez Jules Verne.
Tu trouveras aussi, au milieu de l'épopée, une bibliothèque mal rangée et quelques notes d'écriture, des playlists au goût sûr, et au milieu de tout ça, le vrai roman d'apprentissage d'un marin débutant au milieu des vieux loups de mer. Bref : monte à bord, et laisse-toi porter, moussaillon !
… A propos de livres, tiens, je voudrais rendre hommage ici à deux livres auquel L'Aimant m'a fait penser.
Le premier : Le retour des Tigres de Malaisie, de Paco Ignacio Taibo II (Métailié). Taibo s'est amusé à reprendre les héros d'une série Z de sa jeunesse (Sandokan et Yanez – tout un programme) pour leur imaginer une aventure moderne, à combattre de méchants impérialistes dans l'Asie de la fin du XIXe siècle.
Il y a du cousinage entre les deux livres – et pas seulement dans la joie manifeste à écrire des scènes de bagarre ou à inventer un rebondissement hénaurme. Le vrai grand point commun, c'est le respect absolu du genre. Parce qu'un genre, ça ne se détourne pas (laissons ça aux écrivains qui veulent faire les malins), ça se respecte.
Et sur ce point, je le redis : Richard Gaitet, respect!
L'autre livre, c'est Achab [séquelles], de Pierre Senges (Verticales). Je n'ai pas parlé ici, l'an dernier, du lauréat du dernier Prix de la page 111, et je m'en veux, parce que j'ai rarement corné autant de pages dans un roman. Les traits communs avec L'Aimant ? La mer, l'aventure, la fantaisie savante, l'inscription dans les pas d'un autre écrivain... Et la liberté de digression que permet le genre.
… Mais au final L'Aimant n'est ni du Verne, ni du Senges, ni du Taibo : c'est du Gaitet pur jus.
Ceux qui connaissent sa Nova Book Box connaissent ses talents de lecteur et pourront l'imaginer en live, dans les passages les plus enlevés (qui ne manquent pas). Si tu ne connais pas, fonce découvrir, c'est ce soir (du lundi au jeudi) à 21h30.
Et vive l'écriture à l'oreille, qu'on se le dise sur tous les tons !
… Sur ce, je rends l'antenne, on me dit que je suis long et que les lecteurs sont partis.
(Non, tu es là ? Bravo. Je te souhaite un printemps de lectures, et un été d'aventures – tu viens avec moi, à Athènes, en voiture?)