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  • Un bon roman sur le foot (ça existe?)

    Cette histoire-là commence au Salon du livre, en mars 2016. Sur le stand Lattès, je discute avec un duo de jeunes femmes pleines d'envie, d'aplomb et d'avenir. Elles viennent de reprendre les Editions du Masque et me racontent leurs sorties à venir. L'une d'elles me parle d'un excellent polar sur le foot et pavlov! je l'arrête.
    Je n'ai encore jamais lu de bon roman sur le football
    (Allez savoir pourquoi, quand il s'agit de foot, on est si vite péremptoire)
    ... Les rares français sont nuls, et les anglais sont mal traduits, je poursuis en pensant au traducteur de John King qui s'y connaît autant en foot que moi en musique sérielle*.
    L'éditrice qui n'a pas froid aux yeux saisit la balle au bond :
    Je reçois les épreuves la semaine prochaine !

    philip kerr, mercato d'hiver, masqueEt c'est ainsi que je me suis retrouvé avec les 450 pages de ce Mercato d'hiver sur mon écran d'ordinateur.
    Je m'étais engagé à ne relire que les passages purement footballistiques, mais le livre ne parle que de football. Je m'étais engagé à lui rendre rapidement, mais je n'avais aucune envie de hâter ma lecture. Car disons-le :
    Le Mercato d'hiver, de Philip Kerr est un bon roman sur le foot.
    Un polar comme on aime, où le sel n'est pas dans l'intrigue mais dans le décor, les personnages, l'analyse d'un milieu social avec ses codes, ses mythes et ses figures emblématiques.

    Le Mercato d'hiver, donc, c'est d'abord une plongée dans le monde de la Premier League, où Scott Manson, entraîneur de London City, se retrouve à enquêter en secret sur l'assassinat du manager portugais du club (parfait portrait de José Mourinho) tout en gérant les excentricités du propriétaire ukrainien du club (salut à toi, Roman Abramovitch). Magouilles de transferts, agents et autres intermédiaires, états d'âme des joueurs et des femmes de joueurs, composition d'équipe, banc de touche et loges VIP : tout y est, dans un mélange parfait de personnages de fiction et de noms bien réels.
    (Tout y est, jusqu'à la romance gentiment éculée avec [no spoiler, kid], mais on ne va pas chipoter, il faut croire qu'en tout auteur de polar sommeille un auteur Harlequin refoulé, et ce n'est qu'anecdotique ; les scènes où Manson fait la nique à la police sont assez savoureuses pour compenser)

    En refermant le livre, je me suis rendu compte qu'on ne pourrait sans doute pas écrire un livre comme celui-là en France. Pourquoi ? Parce que les éditeurs comme les traducteurs n'ont pas de culture foot, qu'on me demanderait sans doute de tout expliquer pour le lecteur non-footeux – parce que tu comprends, le foot c'est segmentant... Mais je m'égare, pardon.

    En refermant le livre, je me suis surtout rendu compte que le nom de l'auteur ne m'était pas étranger. Philip Kerr, l'homme dont une demi-douzaine de personnes en moins d'un an m'ont vanté la Trilogie berlinoise.

    C'est bon, les amis, je me rends : quand j'aurai fini les livres en cours et le nouveau John King, je file à Berlin.
    En attendant, allez les Bleus.

     

    * Je viens de relire ce post, là, sur la traduction de J. King ('Football Factory') et du sport en général. Je suis retombé sur ce PS que j'avais oublié. Je n'en change pas un mot. A bon entendeur éditeur, salut ^

  • Ça pourrait bien être votre jour de chance

    arton143-163x250.jpgLes roquettes intelligentes et bien intentionnées du Pacte de l'Atlantique Nord commencèrent à gronder au-dessus des installations industrielles de la région. De notre appartement à flanc de colline, on avait une merveilleuse acoustique. La censure qui régnait sur tous les médias débitait des fables d'Esope sur les objectifs atteints, notre défense anti-aérienne menait des actions énergiques. Nous avons commencé, sans nous en rendre compte au début, à nous habituer.
    Mileta Prodanovic - Ça pourrait bien être votre jour de chance (Un livre collatéral et absolument politiquement incorrect)

    C'est l'histoire d'une ville qui s'appellerait Belgrade, dans un pays mal entretenu des Balkans dirigé par un nationaliste mégalomane, et qui soudain se retrouverait noyée sous les bombes américaines.
    Le livre se passe en 1999, d'ailleurs, dans la vraie Belgrade sous le feu de vraies bombes américaines - une des premières expériences de frappes chirurgicales (avec plates excuses lorsqu'un hôpital ou une colonne de réfugiés sont touchés parce que la technologie n'est pas pas encore complètement au point). Mais l'Histoire, la vraie, n'est ici qu'en toile de fond. Le roman se passe en huis-clos, avec pour personnages le narrateur, sa femme et leur chienne Milica... qui parle, depuis que par la grâce d'un tirage au sort (jour de chance!) elle a gagné une carte verte pour émigrer aux USA.
    Confinés dans leur appartement, les trois protagonistes ne vivent la guerre que par le biais de la télévision qui relaie les propagandes des deux bords. Et s'engage ainsi le débat entre le narrateur (serbe pur jus) et sa chienne (qui se sent déjà un peu américaine et rêve d'écrire un best-seller), ponctués par les "bombardements humanitaires" et la félonie des appareils ménagers made-in-Yougoslavie qui rendent l'âme les uns après les autres (hormis le congélateur Obod, né sur le karst monténégrin et élevé dans la tradition de la poésie épique). Et, parfois, un éclat qui tombe juste là.

    Je suis impressionnée par l'énorme travail de renseignement de l'agence qui se trouve derrière cette guerre, a dit ma femme. Comme s'ils connaissaient notre projet d'aménager une salle de bain dans les combles.

    Prodanovic a choisi l'absurde pour parler de la guerre moderne dont il a essuyé les plâtres. Il a le cynisme flamboyant d'un assigné à résidence, l'imagination débridée, l'écriture mal rasée et la formule aiguisée, pour mieux démonter les rouages de la propagande contemporaine, qu'elle vienne de l'OTAN avec ses bombes bien élevées, ou du couple Milosevic avec ses boucliers humains et ses poèmes patriotiques.
    Je ne chercherai pas à résumer le roman – c'en est un, pourtant, un vrai, qui fait revenir à la mémoire une guerre qu'on avait, d'ici, suivie en live. Sa richesse n'est pas dans le pitch, mais dans la langue, les saillies qui font mouche et la lucidité du regard. Où l'on se prend à imaginer la force d'un tel texte à sa publication en 2000, alors que Belgrade pansait encore ses bâtiments éventrés. Où l'on prendra aussi, à quinze ans de distance, quelques leçons d'un auteur ayant grandi sous le socialisme et qui peut témoigner, l'ironie aux lèvres, que le mensonge fonctionne bien mieux au grand jour, prononcé avec fierté et le regard direct.
    Jiveli.

     

    PS - A noter aussi, la postface de la traductrice, sur le contexte du livre et son voyage jusqu'au français. Où l'on découvre par exemple que le texte n'a pas écrit après les bombardements, comme je le pensais, mais (encore plus fort) pendant, comme une parade à la folie. Où l'on entre aussi un peu au cœur du travail de traduction – et pas besoin de parler le Serbe pour s'y passionner.
    Il faudrait interdire les préfaces, et généraliser les postfaces pour les livres traduits. Merci Intervalles et bravo Chloé Billon (et inversement).

     … et PPS : à propos de traduction, si vous êtes encore là, allez donc jeter un œil à ces battles de traducteurs organisée au festival America. Je n'y étais pas, malheureusement, mais il en reste ça : un texte anglais, deux traducteurs, deux traductions, un pdf à encadrer.
    Charles Recoursé, tu roques.

    (Bon, je n'arrive pas à coller un lien direct vers les pdf, mais vous êtes grands, il suffira d'un clic)