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Ecrire l'entreprise ?

Il existe très peu de livres sur l'entreprise - des bons, je veux dire. Peut-être parce que les écrivains, en général, ne connaissent pas. Ou alors ils connaissent mais veulent dénoncer, cherchant la formule choc pour régler leurs comptes avec le Système. En gros, l'entreprise c'est le Mal, et les patrons de beaux salauds. Voilà qui fait autant avancer le schmilblick qu'une tirade antisarkozyste dans un dîner.

Il y a quelques exceptions, heureusement. Dans le genre noir, je me souviens du portrait de DRH de Laurent Quintreau, dans Marge brute. Mais ce n'était qu'à la marge, justement (le projet du livre était quand même une analogie avec les Cercles de l'enfer). En plus lumineux, Antoine Bello (patron et romancier) parle du Système en connaissance de cause. On peut trouver naïf ses Eclaireurs, mais c'est bon parfois de voir les verres à moitié pleins.

J'ai pensé à Antoine Bello justement ce week-end, en lisant La nuit du Vojd, d'Hervé Bel.
vojd.jpgLe héros du livre, Ivan, vient d'intégrer le service d'élite d'une grande entreprise dominée par la figure de son patron tout-puissant : le Vojd. Sa première mission : comprendre pourquoi la production d'une usine de chars a chuté de 7%, trouver le cadre coupable et lui extorquer des aveux. Le stalinisme appliqué au contrôle de gestion - l'auteur sait manifestement de quoi il parle.
Il y a quelques belles réussites, dans ce livre. Le sens du détail pour faire vivre l'histoire (malheureusement pas les intrigues secondaires), et celui de l'ellipse qui la rend universelle. Les rapports entre Ivan et son chef sont parfaitement dépeints (ah, les émois du jeune cadre, frétillant de la queue à chaque gratification, se nouant le ventre au moindre sous-entendu négatif dans la bouche d'un supérieur...) - image vivante de la violence des échanges en milieu tempéré.
Globalement, la façon dont le jeune Ivan aux idées généreuses se fait avaler par la machine est assez crédible (dommage que l'auteur vienne régulièrement rappeler que lui-même n'est pas dupe), avec une vision intéressante de la dimension politique de l'entreprise : les cadres en cour, les disgrâces, les coups de pute et les compromissions, le faire-semblant. Et le lèche-bottes à tous les étages. Le problème, c'est que si Hervé Bel décrit très bien la lèche, il ne peut pas s'empêcher de se concentrer sur les bottes. Comme beaucoup avant lui, le livre n'échappe pas à la métaphore du régime totalitaire. Comme si le livre commençait par un gros point godwin.

Au fond, les meilleurs livres sur l'entreprise restent peut-être ceux de Jean-Marc Roberts : Affaires étrangères pour la tension entre le salarié et son chef, ou Les Bêtes curieuses (portrait de cadres avec dames)*.
Reste cette question : qui écrira Les bêtes curieuses à l'heure de powerpoint et du blackberry ?

 

* adapté au cinéma sous le titre "Que les gros salaires lèvent le doigt". A l'époque, ils levaient l'index. Depuis quelques années, ce serait plutôt le majeur. Levez bien haut le doigt, Didier Lombard.

Commentaires

  • Il faut bien parler de ce qu'on connaît le mieux. Pour ma part, je me disais il n'y a pas plus de 10 min dans le bus qui me ramenait à la maison que j'écrirais bien deux bouquins : un sur l'alcoolisme dans la Fonction Publique (causes, conséquences, fautes professionnelles et stratagème de camouflage dans les hautes sphères quant à ces dernières) et un sur la Non-Gestion des Ressources Humaines (avec un gros BOUM comique reposant sur la notion de Formation Tout Au long de la Vie (nous sommes là pour vous aider)(laissez-nous faire et vous n'irez nulle part)).

    Ah, et un autre aussi, sur le harcèlement sexuel au travail émanant typiquement des mâles quadra mal mariés qui n'ont pas les couilles ni de quitter leurs femmes, ni de prendre une maitresse, ni de se branler tout seul sans brancher leur collègue célibataire qui n'a rien demander et qui s'en prend toute la journée quand même (youhou)

    (Y en a des brouettes de livres à écrire grâce au malheur professionnel finalement).

    (j'ai fini de chouiner, sur ce, je sors)

  • Bonjour,

    Je vous conseille le Blog de Max (Robert Laffont), sous-titré "Manuel de Démission Mentale", par le glorieux anonyme qui avait écrit il y a quelques années le Journal de Max sur le net.

    C'est très second degré, mais ébouriffant.

  • > Léo : merci pour votre témoignage, Léo, nous le laissons en ligne en espérant qu'un éditeur s'emparera de ces idées prometteuses ! je vous salue, et tout de suite nous prenons un autre appel...

    > Pierre : je connaissais le blog de max, en effet - je ne veux pas entrer dans un débat stérile roman vs blog (sur ce sujet, il n'y a pas photo, il existe d'autres blogs excellents), mais au-delà des chroniques bien senties, je me demande qui saura écrire une histoire qui ait pour cadre l'entreprise (et qui dépasse le second degré pour mieux marquer les esprits).

  • Bonjour, j'ai lu "la nuit du Vojd" et l'ai trouvé effectivement très intéressant. Je suis en désaccord avec vous sur votre critique concernant le point Godvin. Bel ne parle pas d'Hitler, et ne procède pas non plus par analogie. Si je l'ai bien compris, il sous entend que l'organisation est par nature totalitaire, et que l'entreprise l'est donc (parmi d'autres organisations). Ce n'est donc pas un argument Godvin.

  • J'ai un peu exagéré, sans doute. Cela dit, sur le fond je maintiens. L'analogie avec les purges staliniennes n'est pas constante dans le récit, mais elle me paraît vraiment avoir structuré le roman (depuis le choix des noms de personnages jusqu'à la volonté d'extorquer à tout prix des aveux du coupable désigné). J'ai trouvé que le propos (très juste par ailleurs sur de nombreux points) s'en trouvait affaibli, mais peut-être est-e un tropisme personnel (je suis du genre à préférer qu'un auteur montre plutôt qu'il ne démontre)

  • Bah, et "l'open space m'a tué"... Désolé..
    Non, sinon il y avait "la boîte" de Salvaing chez Stock, il y a 20 ans... Mais c'est vrai que c'est plus dur, ça demande un travail d'imagination très puissant, pour éviter de dénigrer. Attends, mais: les écrivains doivent-ils demander conseil aux prêtres qui parlent de ce qu'ils ne connaissent pas en en disant du bien?

  • Je me souviens d'un même constat et d'une même déception lorsque nous en avons parlé pour la première fois il y a, oh, dix ans ? (à l'époque, tes arguments littéraires étaient juste moins fournis)

  • Antoine Bello, oui, découvert avec pas mal de plaisir. Excellente idée de départ, il tient l'intrigue sur les deux volumes malgré quelques (rares) baisses de tension. Principal reproche : la psychologie assez sommaire de ses personnages (surtout la fille, j'ai oublié son prénom) et surtout un style trop lisse, même pas académique.
    Quelques passages m'ayant fait un peu sursauter, je suis allé me renseigner et ai découvert que le monsieur avait effectivement appelé à voter Sarkozy.
    Certaines prises de positions sont pour moi complètement rédhibitoires, je ne comprends pas que l'on puisse voter pour cet homme à moins d'assumer clairement que l'on est un putain d'égoïste et que le Bien Commun doit passer bien après la réussite individuelle, elle-même en tant que finalité ultime justifiant tous les moyens.
    Mais je m'égare.
    Encore.
    Vite, je me replonge dans mes Club des Cinq avec une limonade...

  • > Castor : pitié, pas de livres-sermons!
    (j'ai oublié "Jeu de société", de Lodge)

    > Laurent : tu veux dire que que je progresse tandis que stagne la littérature ? (ha ha)

    > r1 : (vrai que cette Lena monolithique était un peu la promesse du tome 1 et la déception du tome 2 - pour le style je te recommande "Eloge de la pièce manquante", tiens)
    quant à "certaines prises de position", j'ai connu trop de gens de droite par défaut (milieu familial, croyance bien ancrée que la Gauche c'est le Mal (ou les pauvres), etc.) pour m'en offusquer... Salut à Dagobert.

  • Je ne veux pas me vanter, mais le meilleur blog sur le monde de la grande entreprise, c'est le mien, indubitablement!

  • L'un des livres les plus fort que j'ai lu au sujet de l'entreprise est L'Homme rejeté de Pierre Magnan.

    Période 74-76, l'arrivée du management à l'anglo-saxonne, l'informatique et les premiers chômeurs...

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