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  • Le roman français en 2016, vu par ses pages 111

    Ce soir, mardi 1er octobre, sera remis le 5e Prix de la page 111.

    RD 111.jpgComme chaque année depuis 3 ans, le Bureau des Statistiques de la page 111 s'est livré à une analyse complète des pages 111 de la Rentrée. Au total, plus de 200 pages étudiées (pour les timbrés, la notule méthodologique est en bas de ce post), et quelques trouvailles étonnantes, qu'il s'agisse de vérités immuables soudain dévoilées, ou de variations qui en disent peut-être beaucoup sur l'époque – ou qui ne disent rien du tout, nous laisserons chacun juger.
    Voici donc le résultats les plus saillants de cette Rentrée 2016.

    Le roman français s'empare (enfin) du temps présent

    C'était une constante depuis que le lancement du Prix : plus de 40 % des pages se situaient dans le passé (de la Grèce antique à Raymond Barre).
    En ces temps troublés, on pouvait craindre un refuge encore plus massif des auteurs vers le passé... Eh bien non ! En 2016, le roman français s'attaque au présent : plus de 67 % des pages "contemporaines", c'est un record.
    Et comme un corollaire : le nombre de pages qui évoquent la Seconde Guerre mondiale est en chute : 3 % des pages, contre 5 % les deux dernières années. Nos appels répétés à mettre fin à cette Guerre auraient-ils enfin été entendus ?
    On notera en revanche que le futur et l'imaginaire ne sont pas plus présents que les années précédentes. Tristesse.

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    (cliquer sur les graphiques, et plus rien ne sera flou)

    Et il le fait au présent

    Est-ce parce que le présent est "de plus en plus complexe" ? Le fait marquant de 2016, c'est le déclin du passé simple. 24 % des pages 111 au passé simple contre 33 % en 2015.
    Le présent progresse encore (47 % en 2016, 4 points de mieux qu'en 2015), parfois associé au passé composé (19 %, +3 points).prix de la page 111, statistiques, temps de la narration

    Quant à l'imparfait et au plus-que-parfait, ils confirment leur score de 2015 : 8 % des pages 111, qui l'eût cru ? Intrigué, j'ai poussé l'investigation : il s'agit rarement de hardiesse stylistique (même si Sylvain Prudhomme, finaliste en 2014, renoue ici avec sa narration au plus-que-parfait), mais plutôt de passages en flashback. 

    Voix narrative : Je n'a pas changé

    Remarquable stabilité du Je dans le roman français !
    44 % des pages 111 sont écrites à la 1e personne. En 2014 et 2015, c'était déjà 45%.
    Et pourtant, les choses bougent ici aussi. La narration à la 3e personne poursuit son lent déclin : pour la 1e fois, elle représente moins de la moitié des pages 111 de l'année (49%). A noter aussi : l'apparition spectaculaire du Nous (4,23 % des pages, contre 0 les années précédentes). Est-ce à dire que le salut de notre époque troublée passe par le collectif ? Il reste du chemin, quand même.

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    Et plus que jamais ouvert sur le monde

    C'était une de nos découvertes en 2014 : près de 40 % des pages 111 se passaient, au moins partiellement, à l'étranger. La tendance s'est confirmée en 2015 : 42 % hors de France. Et en 2016 ? Eh bien, ça s'accentue encore ! Sur 170 pages localisables, 62 se passent hors de France, et 11 naviguent entre la France et l'étranger. Soit 43 %. Trois années de suite, ce n'est plus un hasard, ni un effet de mode. Non, les romans français ne parlent pas de Saint-Germain des Prés, ni de Chateauvallon !

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    A noter que pour les pages franco-françaises, le match Paris/Province tourne une fois encore, largement, à l'avantage des Régions : 21 fois seulement on reconnaît la capitale sur 170 pages, la messe est dite à St Germain.

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    ... Pour le 2e volet de l'étude - "De quoi parlent les pages 111 en 2016 ?" -, rendez-vous ce mardi soir sur Radio Nova, à 21h pour la remise du prix (lecture des 6 pages finalistes et débat violent entre les jurés avant le vote final). A bientôt.

     

    Note méthodolgique
    Depuis 2012, le Prix de la page 111 récompense la meilleure page 111 de toute la Rentrée littéraire francophone, en considérant la page 111 comme une œuvre en soi (oui, c'est absurde ; c'est bien pour ça qu'on le fait sérieusement). 363 romans français étaient annoncés pour 2016, nous en avons trouvé 203, dont 7 étaient inférieurs à 111 pages.
    Les calculs sur la voix narrative et le temps de narration sont réalisées sur 100 % des pages lues (lorsqu'il ne s'agit pas d'une page de titre, ou d'une bibliographie, etc). Les autres pourcentages sont calculés sur les pages qui laissent un indice consistant sur leur localisation ou la temporalité (par exemple, 26 pages ne laissent aucun indice sur la période à laquelle elles se déroulent ; elles ont été exclues du champ de l'analyse).
    A noter, pour les puristes (mais si vous êtes arrivé à cette ligne, vous en êtes un (salut)), que pour le bien de la Statistique, on a pu utiliser ici des éléments qui ne figuraient pas sur la p. 111 elle-même (résumé, livre entier quand on l'avait lu, article de presse...). Une liberté que nous ne saurions nous permettre lorsqu'il s'agira de remettre le Prix lui-même. C'est dit.

     

  • L'édition indépendante : au présent, à la première personne... et un peu partout.

    (Les chiffres et les lettres, suite)

    Hors concours prix édition indé En cette Rentrée, j'ai eu l'honneur de participer à la 1e édition du prix Hors-Concours, orchestré par la dynamique, joyeuse et gastronome Gaëlle Bohé. Un prix original, destiné à mettre en lumière la production "indépendante", où la pré-sélection se faisait sur la base d'extraits proposés par les éditeurs, choisis dans un de leurs romans de l'année.
    Cet été, j'ai donc reçu un recueil de 50 extraits de romans français d'éditeurs dont les noms sont rarement sur les tables de la fnuc.
    Du parfait matériau pour poursuivre notre analyse statistique de la littérature française ! J'allais pouvoir les passer à la même moulinette hautement scientifique que les pages 111 du prix du même nom, avec cette question : si on s'en tient au texte, et rien qu'au texte, en quoi la production 'indépendante' se distingue-t-elle de l'édition classique ?
    C'est parti.

    (Note technique : mieux vaut sans doute cliquer sur les diagrammes pour que la Vérité apparaisse moins floue)

    Des romans qui se baladent dans le monde entier

    Indé - France étranger.png

    Qui l'eût cru ? 44 % des extraits 'indés' se passent hors de France. C'est la même proportion, voire un peu plus, que les romans de la Rentrée 2014 (40%) et 2015 (42%).
    Et si nous avions débusqué là une vérité immuable de l'édition française, tous éditeurs confondus ? Mazette.

    Des romans qui osent regarder devant

    Indé - Passé présent etc.png

    L'analyse des pages 111, ces deux dernières années, montrait une littérature française volontiers tournée vers le passé.
    L'édition indépendante se distingue assez nettement dans ce domaine, avec seulement un quart des textes qui regardent dans le rétro, et 12 % qui osent le futur ou la dystopie.

    La voix du « je »

    60 % de textes à la première personne : l'édition indé est clairement une écriture du "je".
    A titre de comparaison : la proportion de "je" dans une Rentrée littéraire s'établit depuis deux ans à 45 %.

    Indé Voix narrative.png

    Et alors ? demanderas-tu. Bonne question. On attendra de futurs échantillons (car il y aura d'autres éditions, n'est-ce pas Gaëlle?) pour conclure quoi que ce soit.

    Indépendants et imparfaits

    Narration au passé ou narration au présent ? Là-dessus, l'édition indépendante ne se distingue pas du reste de la production. 46 % de textes écrits au présent, c'est assez proche du 43 % qu'on observait sur les pages 111 de la Rentrée 2015.

    Indé temps narration.png
    Là où une différence apparaît, c'est dans le nombre, assez surprenant à vrai dire, de textes écrits à l'imparfait. 14 %, tout de même ! Et il ne s'agit pas forcément de hardiesse stylistique : c'est aussi le signe d'une narration qui n'avance pas beaucoup, où les verbes d'état prennent le pas sur les verbes d'action.

    Edit vs 111 - présent passé.png
    On pourrait presque conclure là-dessus : ce qu'on aime aussi dans l'édition indépendante, c'est son imperfection, mais ce ne serait que pirouette...

    La famille, la mort, les souvenirs... et la 2e guerre mondiale

    Est-ce l'époque ? Est-ce la légendaire noirceur de l'auteur qui se débat avec ses démons et ceux du vaste monde ? Notre échantillon d'édition indépendante n'est pas plus joyeux que les pages 111 lues depuis trois ans.
    La famille arrive en premier (24 % des textes),  – avec une prédilection pour les lourds secrets. Suivent la mort (22%), la guerre (16%), la maladie (12%)... Youhou !

    Mais ce qu'on retient surtout, de ces 50 lectures, c'est l'immense diversité des thèmes abordés. Des belles voitures et un abattoir, un groupuscule politique et un fils qui regarde la télé avec sa mère, une piscine chic et une tour en démolition... Classer serait vain ; le projet d'une rentrée littéraire, comme dirait Serge Joncour dans le dernier Décapage, c'est de s'y perdre. Hop.

    (Ah oui, le chiffre qui tue, quand même : 10 % des textes parlaient encore de la Seconde guerre mondiale. Il serait peut-être temps qu'elle prenne fin)

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    Le Prix Hors Concours sera remis le 9/11. Les finalistes ?

    Fabien Maréchal, Dernier avis avant démolition (Antidata)
    Laurence Biberfeld, Ce que vit le rouge-gorge (Au-delà du raisonnable)
    Gilles Marchand,
    Une bouche sans personne (Aux forges de Vulcain)
    Bruno Doucey,
    Le carnet retrouvé de Monsieur Max (Bruno Doucey)
    Carl-Keven Korb,
    Une nuit pleine de dangers et de merveilles (Le chemin de fer)
    Brahim Metiba,
    Ma mère et moi (Mauconduit)
    Benoît-Marie Lecoin,
    Ringo (Le Murmure)
    Anna Dubosc,
    Koumiko
    (Rue des promenades)

    Alea jacta est. A toi de jouer, Lauren Malka.

  • La déesse des marguerites et des boutons d'or

    millar, groves, intervalles, marguerites et boutons d'orIl y a des livres comme ça qui vous tombent dans les mains pile au moment où vous en avez besoin.

    Depuis des semaines, j'étais englué dans une histoire où je ne m'amusais plus. Moment classique dans l'écriture : le propos (ce que toi, petit auteur, tu crois devoir dire au monde) prend le pas sur la narration, tout devient un peu trop long – les phrases, les paragraphes et plus encore le temps qu'on y passe. Bref : j'étais bloqué.
    Alors, comme un cadeau, m'est arrivé ce livre de Martin Millar – un auteur écossais dont, je l'avoue, je n'avais jamais entendu parler.
    La couverture était parfaite, comme une promesse de dérision et d'intelligence. Et la promesse est tenue dès le premier chapitre.

    Mais il faut quand même que je vous raconte. Le livre se passe à Athènes, en 421 av. JC. La guerre avec Sparte dure depuis dix ans, une Conférence de paix est prévue pendant les fêtes de Dionysos... Mais généraux et marchands d'armes complotent pour faire capoter les pourparlers : ils ont payé Laet, la déesse de la bêtise et des mauvais choix, pour qu'elle sème chaos et bellicisme dans la Cité. Le camp de la paix, lui, doit bricoler. Pour contrer l'influence de Laet, Athéna n'a pu trouver qu'une Amazone belliqueuse et peu stratège, et une nymphette un brin volage et très naïve, dont le seul pouvoir (tremblez guerriers!) est de faire pousser des boutons d'or.
    Pendant ce temps, Aristophane, le dramaturge grognon, compte bien gagner le premier prix de comédie avec sa pièce intitulée La Paix mais rien ne se passe bien pendant les répétitions, et la tension monte : car du succès ou de l'échec de sa pièce pourrait bien dépendre le sort de la guerre...

    Et voilà. Mon résumé est trop long, l'histoire peut sembler compliquée. Elle ne l'est pas. Elle ne l'est pas parce que Martin Millar s'y entend comme peu d'auteurs pour rendre tout limpide, variant les points de vue dans des chapitres courts, se concentrant sur l'essentiel, et surtout sur ce qui peut faire rire, sans jamais perdre son fil (son côté Thésée, sans doute).
    C'est ainsi qu'on suivra les répétitions de la pièce d'Aristophane, les discussions du peuple dans une taverne, les amours déçues d'Aristophane avec la plus belle courtisane de la ville, les tribulations d'un jeune poète qui désespère de faire entendre ses vers, le duo de l'Amazone et de la nymphette, les coulisses de la conférence de paix...

    Mais ce n'est pas en en disant plus que je vais convaincre qui que ce soit.
    La déesse des marguerites et des boutons d'or, c'est un voyage dans l'Athènes antique ET une farce politique, à la fois très terrienne et spirituelle, où les résonances avec aujourd'hui fonctionnent parce qu'elles ne sont jamais soulignées.
    Bref, un livre parfait, que j'aurais pu dévorer mais que j'ai dégusté pour que l'écriture en cours s'en imprègne, comme si j'attendais un miracle qui remettrait ma narration sur de bons rails.
    C'est réussi.
    Merci.

    Sur ce, je viens de voir que l'auteur a publié d'autres romans chez Intervalles, dont ces Petites fées de New-York préfacées par Neil Gaiman himself. Je cours l'acheter, je sens qu'il aura les mêmes pouvoirs magiques.

    PS - J'allais oublier : la traduction (de Marianne Groves) se met magistralement au service du texte. Après plusieurs expériences gâchées par des traducteurs peu inspirés, ça fait du bien.