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  • Marc Molk ou le musée autrement

    Molk, Plein la vue, Wildproject… Ainsi donc je voulais vous parler de Marc Molk et de son Plein la vue (La peinture regardée autrement). Promis, je tâcherai de rester concis, de toute façon ce sera à vous de voir.

    Le principe du livre est simple : 30 tableaux (des drapés XVIIe au porno-chic des années 2000 en passant par un Malevitch écaillé) et 30 chroniques, comme autant de regards. Et autant prévenir tout de suite : avec un format proche du poche, ce n'est pas un livre d'art dont on se cogne du texte, et qu'on laissera sans l'ouvrir sur la table basse du salon.
    Ainsi posé, évidemment, tout le sel du livre est dans la plume de l'auteur. Ça tombe bien, celle de Marc Molk – à la fois peintre et écrivain – ne manque pas de pigment. Mais j'ai promis la concision, fois d'adjectifs, illustrons.

    Dès le premier tableau, le ton est donné.
    Dire "joli", c'est passer pour un idiot, commence Molk, qui brode sur le l'Art avec une majuscule et semble nous prévenir de tout hédonisme de fainéant, avant de conclure en pirouette : Dire "joli", c'est militer pour la douceur de vivre, contre tous ceux qui veulent nous éduquer, nous instruire, faire de nous des petits singes savants, précis, des soldats vétilleux du "Beau". Monet, Hokusai, Chardin, Botticelli (…) avant tout et avant toute autre chose, c'est d'abord joli.

    Entre ici lecteur, et n'aie pas peur, le monsieur ne va pas te manger si tu ne sais pas quoi dire devant un tableau. Comme une invitation à la dégustation où l'on aurait droit de ne pas savoir parler de la robe d'un vin ni de ses tanins et où l'on oserait dire "il est bon".
    Et ce sera comme ça tout du long. C'est libre, c'est iconoclaste, ça met du poil à gratter dans le col des académiciens sans renier les beautés les plus académiques, ça saute gaiement dans les flaques mais jamais gratuitement. Marc Molk se met au niveau du spectateur pour mieux l'emmener avec lui dans sa découverte de la peinture. Et quand apparaît une référence ce n'est jamais pour écraser le lecteur mais pour lui donner envie d'aller plus loin. Pour donner envie, tout simplement.

    De chronique en chronique, il se promène dans un tableau ou s'arrête sur un détail, puis c'est un point d'esthétique, une invitation à l'imagination, le souvenir d'une partouze qui foire ou un mini-exposé d'histoire de l'art.
    Le livre n'a pas la prétention ni la cohérence d'un cours des beaux-arts, mais il en a l'intelligence, et la force – avec les digressions du bon prof sûr de son fait et qui sait tenir son auditoire.
    Sur la disparition progressive de la chasteté, par exemple, sous les coups de boutoir de la modernité.

    408772172367119024_1396267154.jpgLe temps n'était plus à la délicatesse, il fallait bien écarter les jambes à présent, tout voir et tout montrer. Le spéculum moderniste avait son intérêt, évidemment, la fin d'une certaine forme de cucuterie qui confinait à l'hypocrisie, un réveil des sens, l'affirmation de la valeur transgressivité. La pornographie ou la génitalité crue en peinture ont toute leur place, mais fallait-il pour cela vouer aux gémonies la suggestion, la douceur, toutes les fleurs bleues de la création, avec ce même intégrisme, en miroir, qui avait animé les hérauts du puritanisme ? Peu de caresses au vingtième siècle si on fait le compte.

    Et l'on passe ainsi de Vallotton à Picasso, on retrouve Max Ernst ou Otto Dix, on découvre Böcklin ou Forstner, on se réjouit de voir réhabilité ce Bouguereau que l'on ne connaissait pourtant pas en ouvrant le livre, on s'enhardit à regarder avant de lire...

    19-AXEL-PAHLAVI_SAINT-MICHEL_2009_huile-et-acrylique-sur-toile_250x200.jpgTenter de plier un tableau tout entier à une interprétation, quelle qu'elle soit, est un réflexe d'une intergalactique bêtise. Il est normal de se raccrocher aux branches, d'élucider les références que mobilise une image, de fournir un nom, au moins provisoire, aux émotions que l'on ressent, mais il faut s'en défier. Un seul critère compte vraiment : Est-ce que ça le fait ? (…) Le reste, c'est du baratin, c'est de la mousse pour draguer les filles, pour se draguer soi-même et finalement pour se protéger du chaos que les forces invisibles les plus belles peuvent mettre en notre esprit. Véritablement regarder, c'est accepter le chaos pour ce qu'il est (à propos du Saint-Michel, de Pahlavi)

    Marc Molk n'est pas ce prof dont on sent qu'il brûle de mettre des notes à la fin du cours. C'est le type à la fois pleinement dans sa passion et pleinement dans la vie, avec lequel on rêve de passer de temps en temps quelques heures dans un musée.
    … Et c'est exactement ça, ce livre. Une promenade dans la meilleure des compagnies, de l'intelligence sans fard, de la chaleur sur papier glacé, et pour le prix d'une seule entrée de musée.