Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sortir chez Gallimard ?

Où l'on était parti pour parler d'un livre où le clavier nous aura échappé...

images?q=tbn:ANd9GcQUhwelrLFjSatXUvxIScWVOpbzl_eQS87S_A6ArKBd0Bl53pj6Il faudrait faire un sondage, mais je suis prêt à parier que 80% de ceux qui mettent un roman dans une enveloppe pour un éditeur commencent par l’envoyer à Gallimard.
On envoie mais on n’y croit pas vraiment, c’est un peu comme un rituel, allez hop, ça c’est fait, on connaît les chiffres, un sur mille, qu’ils disent, et puis parfois, le un sur mille, c’est vous.

Parce que c’est bien vrai, que Gallimard publie des inconnus.
Le problème, c’est qu’ils sont souvent condamnés à le rester.
Mais n’incantons pas, et regardons la réalité en face. Mieux : imaginons.

Admettons donc que ce soit vous, l’inconnu. Septembre, Gallimard et sa couverture chair, un bandeau peut-être (avec votre nom seulement, on se demande un peu pourquoi mais on vous dira que c’est la tradition, vous verrez, l’édition est pleine de traditions), la fierté, le tirage, la 4e de couverture (toujours un peu ratée chez Gallimard – une tradition aussi, sans doute), le service de presse…

Ah oui, tiens, le service de presse. Si c’est votre premier roman vous serez sans doute impressionné: 300 exemplaires à envoyer partout, c'est un peu comme un tapis rouge. Un bureau, des piles de livres et café à volonté, le sourire de votre attachée de presse.
Mais tout à votre excitation et à votre recherche désespérée d’originalité pour une dédicace à M. FigaroLittéraire qui vous revendra fissa à un libraire d’occasion, vous ne vous rendrez pas compte que dans le bureau d’à côté, une autre attachée de presse ne se contente pas d’envoyer des livres ; elle est en train d’appeler tout Paris au téléphone pour prévenir que, cette année, ce qui va marcher, c’est Truc et c’est Bidule. Et de fait, quand un mois plus tard paraissent les premiers articles "bientôt la rentrée" dans les gazettes officielles (une autre tradition), vous lirez : … et pour la rentrée, on annonce déjà un excellent Truc chez Gallimard – à suivre !
Sauf que Truc, ce n’est pas vous. Vous ne le savez pas encore, votre livre n’est pas encore sorti et tout ou presque est déjà joué.

Vous en doutez? Regardons. A chaque rentrée littéraire, Gallimard publie une douzaine de romans. Dans le lot, il y aura forcément quelques poids lourds : les incontournables (en vrac : Jauffret, Modiano, Djian, Jourde, Garcin…), les Zeller et les candidats officiels aux prixlittéraires (NDiaye, Audeguy, Sorman, Martinez…). Rien que d’y penser, vous comprenez que dans les librairies vos voisins de table risquent de vous faire un peu d’ombre. Quant aux critiques, n’en parlons pas : entre les amitiés, les affinités littéraires et le battage de l’attachée de presse du bureau d’à côté, les journaux ont déjà leur quota de Gallimard, et il leur faut aussi (reconnaissons-leur ce mérite) parler des petites maisons. Bref : peu de chances qu’on parle de vous.

images?q=tbn:ANd9GcQEjDRxGhE5OePrV-NHXMdibCTaFszcN1Hl4b5hPi2w0G7qB3FVswEt pourtant, qu'on n'aille pas dire qu'on ne parle jamais des inconnus de Gallimard. A chaque rentrée, deux d'entre eux gagnent la tombola, et remportent un plan-média. A ma gauche : l’inconnu que Gallimard inscrit dans la Course-aux-Prix (Jenni l’an dernier, gagné, Bellanger cette année, perdu). A à ma droite, le bon client : un éditeur bien en cour flaire le coup médiatique et sort de son carnet d’adresses chapeau, une Antonia Kerr (c'est un exemple) dont un Beigbeder dira, par réflexe pavlovien, qu’elle est la nouvelle Sagan. Ou la nouvelle Lolita, pour les années paires.
Je ne juge pas, hein. C’est le jeu.

Mais ça n’est pas tombé sur vous. Dommage. Vous comprendrez bien assez vite que Gallimard a placé ses ressources ailleurs, que votre attachée de presse est dévouée mais que ce n’est pas elle qui décide des budgets et des priorités, vous quémanderez un café avec votre éditeur, mais il prépare déjà sa rentrée de janvier, votre fenêtre de tir est déjà passée. Désolé.
Vous n’avez plus qu’à vous démerder tout seul. Si jamais, pour une raison ou pour une autre, vos ventes commencent à décoller, la Maison saura voler au secours de votre succès naissant. Sinon, bah, tant pis. Après tout c’est comme ça chez plein d’autres éditeurs : on lance quatre ou cinq romans sans trop les promouvoir, en se disant qu’il y en a bien un qui va marcher – sans qu’on sache jamais trop pourquoi.

J’en ai vu passer pas mal, des auteurs comme ça, plutôt bons, tombés avec les honneurs dans les oubliettes de Gallimard. Tenez, rien que dans ma bibliothèque, qui est petite (je garde peu de livres, je les donne (ou je les prête mais c’est pareil)), je viens de retrouver Arnaud Oseredczuk (59 préludes à l’évidence) et Laurent Gautier (Notices, manuels techniques et modes d’emploi)… Vous avez déjà entendu parler d’eux ?
Certains tiennent bon. Prenez Patrick Goujon a publié 4 romans dans la Blanche – vous avez déjà entendu parler de Patrick Goujon ? Je parie que non, et c’est bien dommage, ses livres sont excellents. Tous. Et Benjamin Berton, et Laura Alcoba...

Je ne connais pas les chiffres de vente de ces livres, mais là encore, imaginons. Mettons 1000, 2000 ? Ce qui serait encourageant dans une petite maison (rappelons que les ventes moyennes d’un premier roman sont de l’ordre de 500 ex. On parle d’une économie quasi-associative, là) est forcément compris chez Gallimard comme un échec commercial. J’imagine qu’on doit aussi vous le faire sentir, dans les bureaux ou au téléphone, que le comptable est un peu déçu. Après ça, accrochez-vous pour écrire le deuxième.

Bref ! Tout ça pour vous dire que j’avais envie de vous parler d’un roman sorti en septembre chez Gallimard. Un roman dont je n’ai entendu parler qu’il y a deux semaines – et pourtant, cette année, pour Standard, je m’étais penché sur la Rentrée plus que d’habitude. 
Un roman frais, enthousiasmant, qui donne envie d’en lire d’autres et de se remettre à écrire.
Un roman qui mériterait largement de passer l’hiver.

Mais je suis déjà beaucoup trop long, là. On en cause la semaine prochaine. De toute façon, la rentrée étant officiellement déclarée fermée hormis pour les lauréats des prix, le livre n’est plus à quelques jours près.

Allez, je sors.

Commentaires

  • Très juste et je n'ai rien contre Gallimard qui, par ailleurs, a ses qualités. Mais tout ça est le résultat de l'économie de marché (c'est un vieux pontife mais je n'ai pas trouvé mieux). Ce qui me fait rire (ou pleurer) dans tout cela c'est que "l'édition traditionnelle" est née, vraiment, après 14-18 (avant c'était des fœtus) et n'a pris le dessus que dans les années 1950. Alors pour ce qui est de la tradition, j'me marre. L'article est très vrai et je conseillerai plutôt de tabler sur les maisons d'éditions intermédiaires (Attention, là, les écueils sont autres mais ce n'est pas le sujet), voire petites, voire l'auto-édition. Oui je sais, l'édition est un vrai métier mais il est fait par n'importe qui (des gens biens et des caves finis). Ensuite, le plus dur sera de diffuser le livre et là encore ce n'est pas simple. Il y a des libraires qui font encore un vrai travail de libraire (J'en suis un, du moins j'essaie) mais d'autres vont mettre votre livre dans un rayonnage, loin, entre bidule et machin (et ça c'est déjà bien). Il n'y a pas longtemps un libraire a vendu un de mes livres ; je remercie du fond du cœur ce lecteur anonyme qui s'est baissé au ras du sol pour aller le chercher dans l'étagère du fond ; j'espère au moins qu'il l'aura aimé car ça mettra un peu de baume sur son lumbago. Depuis, le livre est passé sur l'étal de devant (MRD).

  • Ouf, je viens de recevoir une réponse négative de Gallimard, un peu plus et...

  • > Ratatosk : des libraires, on pourra reparler ! (un projet de livre...)
    Tout cela en effet n'est qu'une question économique - et là encore je le fais sans juger, ce n'est que le résultat d'actions assez naturelles dès lors qu'on a décidé que l'argent était important...
    (par ailleurs, oui, "des gens bien et des caves finis", sans grande corrélation avec la taille de la maison, si j'en crois ce que j'ai vu jusqu'ici!)
    Quant à la "tradition" : au final, ne suffit-il pas qu'une génération reproduise ce que faisait la précédente pour qu'une tradition soit avérée ? Elles ne sont certes pas intangibles, et la période actuelle devrait tendre à les faire voler en éclats - mais pour l'heure, elles résistent bien.

    > Volu : merci pour cette belle tranche de rire en dessert!
    ... et tous mes voeux pour la suite^

  • pour répondre à ta question... au moins ceux qui les écrivent ;)

  • J'allais dire : "parce que tu en écris encore??"... mais je viens de voir !
    (et bravo pour ta persévérance sur cette note ; )

  • Moi je connais un inconnu complet qui est rentré chez Gallimard et direct en poche... Blague à part excellent billet et je te confirme au mot près tes intuitions, malheureusement. Et le livre évoqué, par hasard, est tombé sous mes yeux chez quelqu'un, quand on se recroise dans une librairie, je l'emporte!

  • Direct en poche... en passant par la case Blanche ?
    (je vois que tu fréquentes des gens bien^)

  • Oh, oui, Patrick Goujon, c'est tout bon ! Benjamin Berton, par contre... Bon, je n'en ai lu qu'un (Classe Affaires), donc je n'insiste pas.
    Dans les "inconnus Gallimard", j'avais beaucoup goûté, il y a quelques années, "Exes" et "03" de Jean-Christophe Valtat.

  • Voilà des titres que j'aime bien - et un auteur dont en effet je n'avais jamais entendu le nom.
    (je garde un souvenir agréable de Classe Affaires - mais viens seulement de voir que B.B. en avait publié d'autres. C'est dire si, quoi.
    (et on pourrait ajouter à la liste Antoine Bello : après les Funambules (je l'ai dans ma bibli, on ne doit pas être bcp), son Eloge de la pièce manquante avait été publié direct en Folio Policier (ce qui l'a peut-être bien sauvé, paradoxalement))

Les commentaires sont fermés.