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Le monde à hauteur de petite fille

medium_alcoba.gif« Pour la trappe dans le plafond, je ne dirai rien promis. Papa et maman gardent des journaux et des armes là-dedans, mais je ne dois rien dire. »

Manèges, de Laura Alcoba, est l’histoire d’une cellule de résistants à la dictature argentine dans les années 70. "Une petite histoire argentine", dit le sous-titre - L'Histoire vue à hauteur d'une petite fille de sept ans.
On entre dans le livre par petits bouts, quelques petites scènes, on aimerait avoir plus d'éléments pour comprendre mais non - et c'est normal, après tout : les petites filles ont beau comprendre beaucoup trop de choses, si elles comprenaient tout ça se saurait. D'ailleurs on en voit largement assez pour imaginer, et l’imagination bien guidée est parfois plus terrible qu’une description.
Manèges
, c’est l’imprimerie clandestine, les faux papiers, les engueulades des adultes quand on est allée à l’école avec son blouson avec son vrai nom dessus, c’est un livre où un chapitre peut commencer par « la première fois que mes parents sont allés en prison ».
Je ne pensais pas qu’on pouvait raconter des souvenirs avec un tel art de l’ellipse – bravo à l'auteur, donc, à l'éditeur aussi sans doute. 

J’ai avalé le livre d’une traite, avec des yeux de petite fille, et j’ai pensé à la Paloma surdouée de L’Elegance du hérisson.
Pour prendre la voix d’un enfant, j’ai pensé, il faut juste se mettre à la bonne hauteur. C’est une question de voix, pas une question de style. Ni de vocabulaire.
Par curiosité, je suis allé feuilleter le "Julien Parme" de Florian Zeller en librairie. Ben il peut lire Laura Arcoba avant d’aller se rhabiller.

Cela dit, en parlant de Zeller... Reconnaissons qu’il tient une place importante dans le monde littéraire contemporain, en nourrissant (bien malgré lui, sans doute) tout un tas de vaines conversations. Exemple :
- Ouais, quand même l’édition aujourd’hui c’est piston et compagnie, les auteurs belles gueules prennent toutes les places
- Ah bon, par exemple ?
- Ben je sais pas, moi, Florian Zeller par exemple
- Et qui d’autre ?
- Ben, ch’sais pas, plein quoi, tu vois...

Hier, en entendant ce dialogue pour la mille trois-centième fois, j’ai décidé qu'il était temps d’aller plus loin dans l’investigation. Pour vous, bientôt, je vais lire du Florian Zeller. Dans le texte. Je vous raconterai.

Commentaires

  • Un livre qui vous file sans mal des yeux de petite fille alors que la TiVi peine à vous redonner ceux de l'ado de 13 ans... Qui c'est le plus fort?! ;-) Sinon je crois effectivement que c'est mieux de juger l'auteur dans la tranche plutôt que sur sa tronche. Zeller...de rien, alors? Dans l'attente de vos conclusions sur les concussions du monde éditorial...

  • Ca donne vraiment envie de lire ce livre, merci :-).

  • les grandes histoires sont souvent bien plus touchantes (et terribles à lire) lorsqu'elles sont écrites avec des mots d'enfant... et hop ! un ouvrage de plus sur la liste ! merci !

  • Unmöglich... Je l'ai acheté hier (et j'ai commencé les Falsificateurs, aussi)... Bon, ça suffit, là, hein! :-))

    (Quant à M. Zeller, Neige artificielle m'est jadis tombé des mains, et j'ai pas insisté)

  • florian Zeller, c'est quand le même le type qui écrit en 4ème de couv sur un de ces bouquins ( je sais plus lequel)

    "Ce livre est une fiction : la plupart de ce qui y est dit est faux ; le reste, par définition, ne l'est pas non plus"

    ...

    ou qui est capable de puissantes intuitions comme

    "La vie est un piège dans lequel on finit tous un jour ou l’autre par tomber."

    En fait, c'est le Gérard Présgurvic du livre.

  • " Le Gérard Présgurvic du livre " , comme c'est joliment dit :-)))

  • > Kiki : A ma télé je dis : Alcoba, c'est plus fort que toi !
    (Soyons dilettantes, n'ayons Zeller de rien...)

    > Cassiopée : des jeunes filles en Flore aux petites filles révolutionnaires, le livre donne envie de voyager!

    > Miss : la pile descend-elle, au moins, en cette semaine de glande ? ;-)

    > AD : je suis derrière toi, en fait... ;) et tu ne perds rien pour attendre, dans ma prochaine note je ferai encore plus fort. Garanti.

    > Arnaud : ha ha ! de quoi m'ôter toute motivation de lecture au 1er degré... ;)
    mais je suis opiniâtre (parfois)
    et puis, Presgurvic est aussi le compositeur de Chacun fait c'qui lui plaît (authentique chef d'oeuvre, je maintiens), et je serais étonné qu'un jour un Florian Z arrive à ce niveau...
    à suivre

  • ahum... comment vous dire... en fait j'ai un peu forcé sur la lenteur et le reste et je suis un peu en retard pour l'instant, fin de mois oblige. tout ira mieux demain. la pile, elle, demeure fidèle à ell-même... ;o)

  • Tu m'inquiètes, là... (je me retourne au cas où, non, pas de caméra de surveillance)... Bon, en tout cas, voilà un excellent cliffhanger!

  • Ca a l'air vachement bien, tu me prêteras ce livre? Promis, je te le rendrais

  • Pour vous, bientôt, je vais lire du Florian Zeller. Dans le texte. Je vous raconterai !

    C'est pousser loin l'abnégation (à moins que ce ne soit le souci de vérité teasing sauvage de l'auteur nu sur la page blanche d'un billet presque déjà écrit... puisque je sens que vous avez déjà les deux phrases d'ouverture et le chute, un peu acide - le plaisir de vous lire).

  • [sans les balises html, c'est moins clair - mais c'est pas grave]

  • j'aime beaucoup votre titre.
    j'en ferai presque un mode de vie.

    PS concernant Zeller : il sort bien de la Star Ac, non ?!

  • Bon après un bref passage sur Google images, je m'en viens apporter ma pierre à l'édifice (ou jeter mon cailloux dans l'eau) : Personnellement, je ne le trouve pas vraiment beau Zeller (ou alors dans le style champion de patinage) Donc il ne lui reste plus qu'à bosser l'écriture !

    Les petites filles, elles voient tout, entendent tout, devinent le reste, mais sans filtre, sans grille de lecture pour se mettre à distance.

  • > La miss : tant que la face est sauve...

    > AD : juste pour le plaisir du teasing... la révélation sera sans doute décevante (trop facile), mais c'était trop tentant
    (et je maintiens!)

    > Castor : ah non! tu vas encore l'offrir à quelque pétillante demoiselle...

    > M. Jean : plaisir de vous retrouver ici ! c'est bien vu, l'idée de la note déjà dans les tiroirs... mais en fait non. je suis un monstre d'abnégation ;)

    > Zel(ler?) : le titre est libre de droits ; et contrairement aux staracadémiciens, Florian Z écrit ses livres lui-même. quand même.

    > Esperluette : très juste, sur les petites filles. sans filtre.
    (au fait, elle était comment, cette Camel ? :-))

  • Moi Florian Zeller, je le trouve plutôt mignon, mais je n'aime pas trop sa (non) coupe de cheveux. Je n'ai jamais rien lu de lui, mais je si je peux je lirai manèges d'abord, pasque pdf2006 a dit que c'était mieux :-)

  • Le portrait dans Libé, il y a quelques mois, du Zeller en question : très drôle, et assez cruel de justesse.

    http://www.liberation.fr/transversales/portraits/202579.FR.php

    j'ai un petit faible pour :

    "Florian Zeller a su très tôt ce qu'il voulait par-dessus tout : être écrivain. Quitte à écrire des livres."

  • arnaud m. > merci merci merci, génial cet article. ce qui me fait bien rire moi c'est "créateur en littérature". Ca sonne quand même bien plus "marketing" (et "marketable") qu'écrivain... tss... [et pour reprendre le débat "gueule d'ange ou pas" je le trouve très laid moi, m'enfin bon... les goûts et les couleurs...]

  • @ la miss : je suis sûr que c'est une "average greluche" qui s'ignore, ce Zeller...

  • arnaud m. > ;o) [je savais que ce test m'apporterait la gloire...]

  • j'arrive à la rescousse de florian et ne croyez pas que je suis de mèche.... hum.... avec lui.
    Seulement j'aime pas qu'on dise du mal des gens sous pretexte qu'ils ont vendu plus de livre que nsou n'en vendrons jamais... Son premier roman écrit à 22 ans, à l'âge ou vous en étiez encore aux jeux videos,a été salué par une critique qui ne faisait pas seulement cas de ses cheveux fous...bref, sur la longueur, un auteur qui vend encore autant et qui a reçu l'inter allié... moi je salue ce genre là.

  • > Cassiopée : mieux que qqs lignes de "Julien Parme", hein, je ne connais pas le reste!

    > Arnaud / la miss : merci pour ce lien savoureux, on sent le parti pris et la volonté d'être cruel, mais bon, quand on a la plume pour ça fait souvent mouche..

    > O' : voilà qui est dit!
    (Je m'étais interdit tout commentaire sur la coupe de cheveux, même en commentaire je garderai les jeux de mots pour moi, poutant c'est vrai que ça démange, je dis juste qu'avant tout commentaire je vais le lire en essayant de faire abstraction de tous préjugés. Gageure? On verra bien.)

  • C'est vrai que l'article est un régal à lire mais on en a presque pitié pour ce pauvre Florian, ça donne envie de le consoler -euh de le lire. Donc, faut que je lise un de ses livres ! (vous avez vu qu'il a un blog sur haut et fort ?)

  • Pourquoi vous acharner comme ça contre Florian Zeller ? Il vous a fait quelque chose ? Même si vous n'aimez pas ce qu'il écrit, c'est une raison ? Il y a, j'imagine, pas mal de gens dont vous n'aimez pas les livres. Pourquoi cette hargne de groupe ?
    Florian Zeller est quelqu'un de profondément gentil, ce qui est assez rare (je connais, pour ma part, beaucoup, beaucoup moins de gens vraiment "gentils" que, par exemple, de gens publiés). Je ne sais pas, mais pour moi, le fond de l'homme, la gentillesse (je sais, ça fait un peu débile, mais bon), c'est bien plus important que la qualité de ce qu'on écrit. Le Christophe Ayad de Libé, là, on peut pas dire que ça l'étouffe, par exemple. Alors bien sûr, son texte est brillant, mais rien n'est plus facile, rien n'est plus pratique pour se pavaner que la méchanceté. Méchanceté qui se double d'une certaine bassesse, celle d'être prêt à tout (rencontrer Florian Zeller en lui faisant les yeux doux, je suis ton ami, confie-toi, et lui tirer au canon dans le dos dès qu'on est rentré chez soi), prêt à tout pour une pige de quelques euros et les ricanements approbateurs du petit monde intello parisien.

  • PhJ, je ne sais pas pourquoi vous dites qu'on s'acharne tous contre Florian Zeller. Seriez-vous atteint du virus des généralisations hatives :-). Je suis tout à fait d'accord concernant le journaliste. Oui il y a des journalistes complètement tordus prêts à toutes les bassesses pour se faire remarquer ... hélas :-/

  • > Cassiopée : ok ce n'est pas la curée ici, mais l'exercice est devenu tellement courant qu'à la moindre mention on imagine le déchaînement...
    (un blog ? tu as une adresse ?)

    > PhJ : bon, je vais te décevoir - je connais ton goût pour la polémique mais pour l'instant je ne peux pas répondre : non seulement je n'ai pas lu F. Zeller, mais en plus je ne peux même pas inventer que je le trouve ceci ou cela, je ne l'ai même pas vu à la TV.
    Je suis d'accord, c'est étonnant ce phénomène collectif, au fond FZ est devenu un symbole, on tape dessus parce qu'au fond on ne voit pas tellement sur qui on pourrait vraiment taper. Cette année particulièrement, c'est comme si on avait délivré un permis de démolir, allez-y les gars tapez dessus, ça fait plaisir et c'est partie gratuite.
    C'est pour ça que j'ai envie de le lire, maintenant.
    Je vais acheter "La fascination du pire", qui m'avait tenté à l'époque, et on verra bien.
    (NB - sur "Julien Parme", c'était un projet casse-gueule et j'avoue que d'après les qqs pages que j'ai parcouru ça m'a semblé raté. Mais on a bien le droit de rater quand on tente.)
    Quant au journaliste, no comment (sinon que oui, le papier est bon) ; s'il a agi comme tu le décris, il n'aura pas l'occasion de le refaire souvent...

  • le blog est http://florian-zeller.hautetfort.com/, mais il a l'air un peu à l'abandon et qui s'en occupe, ce n'est pas très clair. Pour le livre, la fascination du pire, ça ne me tentait pas trop, neige artificielle peut être, Juien Parme me tentait aussi, mais je vais pe regarder l'autre d'abord ;-)

  • Je n'ai pas dit "tous", Cassiopée, je ne veux pas généraliser, mais il y avait quand même un certain déferlement dans la colonne, là, non ?
    Et tu as raison, Bertrand, c'est la tête de Turc choisie, c'est ça qui me rend triste (je suis un sensible), parce qu'on oublie parfois de prendre un pas de recul et de se dire que ça peut être vraiment dur à vivre pour la tête en question (qui n'a rien fait de mal).

  • personnellement moi même, j'ai lu le premier zeller (et le début du deuxième) quand ils sont sortis - et comme dirait deleuze : on ne peut rien y penser. Sa pensée est nulle. (oh ! pardon, je suis méchant.)

    Sérieusement, Florian Zeller, qu'il soit sympatoche, très gentil et propre sur lui, ça n'a pas grand chose à voir avec le fait qu'il fasse (ou pas, en l'occurence) de la bonne littérature.
    Effectivement, il cristalise autour de son nom une évolution étrange du livre où l'auteur se vend davantage que ses propres textes - et ça, c'est pénible. On dirait finalement, que ses romans sont les produits dérivés de lui même, et que la sortie d'un livre lui permet de faire sa propre promo.

    A la limite, ses livres ne méritent pas trop qu'on en parle : forme narrative archaïque (même pour un Anatole France), schématisme des personnages, réflexion zero sur le rôle et le possible d'une narration, croyance naïve en l'histoire-destin, clichéisme monumental et assomant, pose insupportable d'un sujet qui découvre son exceptionnelle banalité, écriture tellement plate qu'elle en parait lourde, réutilisation et affadisation des thèmes les plus foireux de la littérature sentimental(iste)...

    Si on en parle, en fait, c'est parce qu'il représente une tendance lourde qui fait qu'on parle d'un livre comme d'un objet - et de l'auteur comme un produit.

    Forcément. ça agace. Surtout quand ces livres sont si pauvres - et si prétentieux. Qu'ils ne prennent aucun risque : et s'estiment hautement.

    (en plus, il est prof de littérature à Sciences Po, ce qui ne m'est pas très sympatique non plus...)

  • Mais pourquoi ça t'énerve comme ça, Arnaud M. ?

  • > Arnaud / Phj : (sur la pointe des pieds mais avec intérêt je vous lis et vous laisse, je reviens dans le débat dès que j'aurai lu. J'ai aussi lu une nouvelle de Schmitt (pschitt) et emprunté un Marc Lévy, pour voir... mais je m'éloigne. je disparais)

  • derniere participation de ma part: ce n' est vraiment pas pour rien qu'il a réussi ce que beaucoup d'entre nous, ( j exclue M. PH J ) ne réussisse pas et ne réussirons jamais. Une seule coupe de cheveux n'a jamais réussi à faire vendre plus de quatre bouquins, non ça c' est impossible!bonne lecture coach

  • Pourquoi ça m’énerve ?
    Disons… j’ai quand même l’impression que ces auteurs (cessons de parler de Zeller, on sait bien que ce n’est pas lui le problème : qu’il cristallise les choses autour de lui, mais pourquoi ne pas parler de Beigbeder aussi, ou de Moix, ou de…) n’écrivent pas : ils renforcent le consensus social d’une norme établie : et si au contraire le langage était capable de redonner ses contours au réel – pouvait, pourquoi pas, le renverser, le renouveler ? Pas la question pour eux. Ils n’écrivent pas. Et pourtant, pourtant : ils sont aux yeux de tous (les medias, comme image que la société aime se renvoyer d’elle-même, non ?) ce que doit être un écrivain, le critère même de l’auteur aujourd’hui. Et ça, ça fait peur.

    D’une, je comprends pas tellement qu’on écrive pour se donner un statut social, et culturel : je m’explique. Quand ils sortent un livre, on voit bien que ce qui les intéresse, c’est quand même surtout la manière dont ils vont continuer à exister sur le terrain de la reconnaissance. D'emblée, ça fausse les cartes, ça jette un soupçon sur le jeu : que le livre soit un moyen pour eux d'exister socialement, ça disqualifie de fait le livre.

    De deux, ce qui est absolument incroyable, c’est que rien ne distingue « Les amants du n’importe quoi » de n’importe quel texte que j’ai eu l’inestimable chance de lire dans le tout-venant des manuscrits reçus (et refusés) à l’Harmattan, quand j'y étais stagiaire. Alors pourquoi ça passe à Flammarion ? (un indice est caché dans la question, saurez vous le reconnaître… ?) Il y a quelque chose de pourri dans le monde de l’édition, ça on le sait – mais quand ça devient un fait de système, c’est plus de la pourriture, c’est une organisation rondement menée.

    De trois, pour parler plus de fond, quand j’ouvre un livre, j’ai quand même envie / besoin, que ça bouleverse mes habitudes, que ça résiste aux évidences, « redistribue les cartes de la réalité », comme on dit – et ça m’énerve (toujours) quand je lis quelque chose qui justement conforte les clichés, creuse encore dans les vieilles ornières, redécouvre la lune avec un émerveillement de petite fille (justement). Mais cet émerveillement, comme l’a écrit ici si bien pdf, ça doit être affaire de construction, d’agencement : de littérature (et pas de pose narcissique.)

    De quatre (j’en resterai là) : si y a bien quelque chose qui « m’énerve », c’est cette idée de statut social – que l’écrivain devient un personnage de la scène médiatique, et qu’à ce titre on lui demande son avis : qu’à ce titre, le livre lui serve d’avis. Ce qui m'enerve c'est qu'à cause de ceux là, on en vient à demander à chaque livre maintenant, cette exigence qui lui est étrangère. Je me demande trente secondes ce qu’auraient fait Beckett, Blanchot, Bataille, Borgès, Brecht, Breton, (pour en rester à la lettre B) invités d’« en aparté », ou ailleurs, à la question, « mais très concrètement, ce livre, c’est un peu une manière de régler des comptes avec votre passé, non ? » Des auteurs comme Zeller, sont responsables, un peu, aussi, de ça.

    Alors, pour résumer, "très concrètement", l’arrivée de ces écrivains, a sacrément baissé le niveau d’exigence des lecteurs ; nous fait croire qu’écrire, c’est une activité sociale rentable ; a entraîné un nivellement par le bas des titres, a entraîné la littérature sur la pente d’une médiatisation justification dont les livres ne sont devenus que le prolongement ; a fait de l’écrivain un ersatz des (mauvais) chanteurs (surtout ceux qui commencent leur phrase par « nous, les artistes… ») ; et surtout, surtout, a conduit les éditeurs à jouer la corde de la rentabilité des livres, quitte à sacrifier des auteurs qu’on ne lira PLUS jamais (faillite des Al dante, Lignes, Farrago, etc.), noyant ainsi l’émergence d’une littérature qui cherche, qui éprouve, qui prend des risques (voir les fréquents coups de gueule salutaires (mais vains ?) de Chloé Delaume (merci !) )

    On me dira, mais ça dérange qui que ces types écrivent quand même et vendent ? J’aurais sans doute un mauvais premier argument, mais je préfère quand même d’abord qu’on élève l’exigence du lecteur, plutôt qu’on l’abaisse à ce point, systématiquement. Mais surtout, soyons honnête, si dix livres de Zeller (vendus) n’empêchaient pas que se lise un Beckett, se vende un Delaume, se publie un Farrago, je m’en fouterais complètement.

    On sait bien que ce n’est pas le cas.

    Donc, ça m’énerve.

    Zeller, je m’en fous. Je n’ai pas la haine ordinaire facile, et à vrai dire, une fois dit, on ne peut rien y faire. Juste essayer de dire aux gens qu’il y autre chose que Zeller : que Zeller n’est pas de la mauvaise littérature : que ce n’est rien du tout. Qu’il n’y a pas une différence de degré, mais de nature, entre un bouquin de Cl. Simon et un roman de Zeller. Je suis sûr qu’une simple lecture « des neiges artificielles », ou « des amants » l’atteste (j’attends celle de pdf avec gourmandise). Ce qui est grave, c’est que ce n’est plus évident pour (presque) personne. C’est qu’ils ont réussi leur coup. Imposer leur produit comme horizon indépassable, comme référent de base, presque, pour "tout le monde" (et font passer les lecteurs d'autres choses pour des "originaux", des "marginaux", des "intellos parisiens" - c'est terrible). Remplacer la littérature par autre chose – qui en est le contraire. Qui ne mord plus : mais répète le monde.

    Qu’ils existent ces romans là, s’ils veulent.
    Mais le bruit qu’ils font empêche férocement les livres nécessaires de se faire entendre – et même d’exister.
    Oui, ça, c’est terrible.
    Ne plus faire de différence de valeurs entre le bruit du monde, et ce qui nous est si nécessaire pour construire du sens.
    Terrible.

  • Arnaud, je comprends ce que tu veux dire, je viens de lire tout à l'heure le début de julien parme. Ca m'a paru assez médiocre, avec un ton faux. Je préfère encore le livre que je suis en train d'écrire. On me dira, je ne suis pas objective, peut-être, mais bon. Il est quand même fort possible que mon livre se fasse jeter, enfin ... J'ai bien conscience que ce n'est pas forcément le chef d'oeuvre du siècle non plus ;-). D'un autre coté, on a beau dire que la tête de l'auteur et sa gentillesse ne font pas tout, ça aide à vendre. On n'a que les livres qu'on mérite s'il y en a qui achètent les livres à la tête de l'auteur (de toute façon souvent, on ne voit que ça, les trombines des auteurs sur les couvertures ....).

  • Je comprends bien tout ça, Arnaud, mais d'une part, effectivement, j'allais te dire "Ça dérange qui etc..." Je ne crois pas que ces gens que tu n'aimes pas empêchent de lire Beckett ou Delaume (à propos, elle se débrouille pas mal, dans le cirque médiatique, elle aussi). J'aime bien l'humanité, mais là, c'est vraiment la couvrir de fleurs. C'est comme pour la télé, dire que sans Star Academy, les gens regarderaient "Kant, cet inconnu" sur Arte, ça me paraît un peu simple.
    D'autre part, à mon avis, s'il faut s'en prendre à quelqu'un, ce n'est pas aux auteurs. Prenons, pour arrêter avec FZ, Ludo Miel, disons, jeune auteur très séduisant qui passe hyper bien à la télé, connaît tout le monde à St Germain et écrit des bluettes vides que plein de gens achètent. Tu dis que, avant (?), il n'aurait pas été publié, ou du moins n'aurait pas eu ce succès immérité. D'abord, c'est loin d'être sûr, il me semble que c'est comme ça depuis belle lurette, mais bien sûr, on les a oubliés, ceux-là, donc on a l'impression qu'ils n'ont jamais existé et que les Français ne lisaient, en masse, que ceux qui sont, depuis, devenus "classiques". (Mais il suffit par exemple de se rappeler Minou Drouet pour supposer que c'était assez courant – mais, c'est vrai, c'était forcément moins flagrant, puisqu'il n'y avait pas la télé.) Bon, disons que Ludo Miel n'aurait pas été publié en 50, ni même en 80, que Ludo Miel n'aurait pas été publié à L'Harmattan, mais chez Flamasset, oui. Bon, ce n'est pas lui qui a décidé ça, qui a rendu ça possible, sinon tout le monde le ferait. Il n'a pas forcé les éditeurs avec un flingue. Donc plutôt que lui, c'est les éditeurs qu'il faudrait "attaquer". Mais c'est oublier que pour deux ou trois Ludo Miel, les éditeurs publient 10 ou 15 auteurs plus "sérieux" (je veux dire qui travaillent), bons ou pas. Seulement bien sûr, on en entend pas parler. Est-ce la faute des éditeurs ? Ils aimeraient bien qu'on en entende aussi parler – sinon ils ne se donneraient pas la peine de les publier. Donc ce ne sont pas les éditeurs, qu'il faut "attaquer", ce sont les médias, qui mettent en avant, à la matraque, Ludo Miel plutôt que ses confrères et soeurs qui s'éreintent sur leur clavier. Les médias se disent : "Il est beau, Ludo Miel, nos téléspectateurs vont adorer." Mais enfin voilà, la télé, c'est quand même un peu la société, hein. Les gens qui regardent, puis qui achètent les livres, ne sont pas les seuls responsables, si tu veux, mais enfin on ne peut pas les exclure non plus, les déresponsabiliser (je n'aime pas ce discours pour assistés, moutons sans cervelle, les gens n'y sont pour rien, on les force sournoisement, etc...). Bref. Il y a quand même toute une chaîne, et grosso modo, quand même, c'est plus de la faute "des gens" que de Ludo Miel, qui, à mon sens, n'y est vraiment pour rien. C'est nous (enfin, je me comprends), d'une manière ou d'une autre, qui faisons de lui une starlette. Pour moi, s'énerver sur Ludo Miel, c'est comme si on s'énervait sur le gamin qui participe à Star Ac, en le rendant responsable de l'état de la chanson française.

  • Oui – sans doute j’ai tort de m’énerver contre ces Ludo Miel.

    Editeurs, loi du marché, mass medias, masse de consommateurs (« Nous sommes une humanité inculte menée par un cheptel réduit mais intarissable d’initiés » comme disait Artaud…) tous coupables ; mais j’ai quand même l’impression que les responsables, ce sont quand même ceux qui se postent devant un écran et qui se demandent quel livre pourrait bien leur faire gagner un poste de chroniqueur culturel sur canal (ou elle).

    Maintenant, je ne crois pas avoir dit que « c’était mieux avant ». Non. Il y a toujours eu de la paralittérature (Céline crachait sur eux de manière incroyable). Mais le problème, c’est qu’on savait que c’était de la paralittérature. Les lecteurs, les éditeurs, les auteurs : pour tous, c’était clair.
    Aujourd’hui, non. Ce n’est pas que ceux qui lisent Justine Lévy sont empêchés matériellement de lire autre chose, mais ça crée un tel brouillage… c’est ce brouillage là qui est embêtant.

    (p.s : oui, Chloé Delaume participe au cirque médiatique : je ne crois pas que ça en fait d’elle une otarie. Elle s’en explique d’ailleurs, et c’est vrai que c’est un problème. Est-ce que utiliser les medias renvoie ton travail ipso facto à la nullité de ceux qui les utilisent habituellement ? Ou alors, les medias ne sont qu’un outil, qu’on peut aussi manipuler. (c’est plus facile de détourner un avion quand on est dedans… )
    Chloé Delaume postule, je crois, que le SAV auprès des médias est le prix à payer pour continuer à croire qu’on peut faire de la littérature bonne, de résistance, et qui puisse se vendre. Que les trois choses sont liées aussi. Mais le problème de la « promo », qu’elle assume – est vraiment difficile…

    Enfin, j’ose croire que plus on lit de Chloé Delaume (de Pennequin, de François Bon, de Guyotat, de Toussaint, de Cathrine, de Cadiot…) moins on lira des Zeller, Begbeider, Rey, Moix, Ono Dit-Bio… J’ose croire… )

  • Bon, d'abord une info factuelle : de toutes (pas nombreuses) les librairies de mon quartier, pas une n'a de Zeller en rayon. On attendra donc lundi pour la grande découverte...

    Sur le fond du débat, je pense en effet qu'une perspective historique nous oblige à relativiser le phénomène : le "tout venant" littéraire a toujours dominé le marché de l'édition. Les Goncourt le déplorait déjà, je crois, et je me souviens d'avoir lu un article de presse de 1925 qui s'alarmait de la surproduction littéraire et dénonçait les pratiques commerciales des éditeurs.

    Je trouve intéressant le débat que pose Arnaud sur le "brouillage" (de la paralittérature qu'on nous ferait passer pour de la littérature), mais 1/ je ne suis pas sûr que les choses étaient plus claires au début du XXe, et surtout 2/ je me garderais bien de définir la "bonne littérature".
    J'ai des raisonnements basiques, hein, mais il y a surtout les livres que j'aime et ceux que je n'aime pas. Parmi ceux que j'aime, certains qui auront su m'élever un peu et d'autres (plus nombreux) qui m'auront juste fait passer un bon moment, mais je me garde de postuler une supériorité des uns sur les autres. Je sais seulement que les premiers dureront plus longtemps.

    Mais surtout, à la lecture me vient une certitude : on ne peut pas blâmer Ludo Miel. Après tout, il a épousé l'époque et l'époque lui a dit oui (tiens, question : qui a fait le premier pas?).
    Je ne le vois pas cynique (ou prétentieux) comme le décrit Arnaud, j'imagine plutôt que Ludo se berne un peu lui-même, et lui comme nous cherche sa place dans le système. Parfois il devient juste une roue du système (Moix), sans doute sans s'en rendre compte.
    (bon, là j'aimerais développer, mais je ne trouve pas les mots - je remets à plus tard)

    Donc, ne pas en vouloir à Ludo Miel, il fait ce qu'il peut (ou ce qu'il veut). A son éditeur, plutôt, qui va vers la facilité.
    Je souscris à la fin de l'analyse de Philippe sur les médias - mais je reste persuadé que la question se pose surtout au niveau des éditeurs.
    En reste-t-il, qui auraient à la fois la vision littéraire et le poids économique (ou médiatique) pour défendre des auteurs moins formatés ?
    (je pose la question, hein, je n'ai pas de réponse)

  • Les éditeurs, je crois, ne peuvent pas grand-chose. Je vous assure que ceux que je connais (disons la plupart de ceux que je connais) préfèreraient de très loin faire 100 000 avec un bon livre qu'avec une daube. Mais est-ce possible ? Parfois, oui (même si c'est TRES rare), mais prenons par exemple le hérisson de Barbery, qui a passé les 100 000 depuis un moment : en quoi son éditeur (Gallimard) y est-il pour quelque chose ? En quoi l'a-t-il poussé, ou même défendu ? En rien. Le livre s'est vendu tout seul, petit à petit, mais tout seul. Gallimard aurait pu tenter un forcing début septembre pour imposer Muriel Barbery à la télé, il n'y serait pas parvenu. (Je souris souvent (tristement) quand on me montre des lettres de refus qui comportent des phrases comme "nous ne nous sentons pas à même de défendre votre livre". Ça sous-entend que lorsqu'il publient un livre, ils le défendent. Mais que peuvent-ils faire ? Mettre la pression sur l'attachée de presse pour qu'elle se donne à fond, bon. Si elle bosse vraiment, elle réussira à avoir pas mal de papiers dans la presse. Mais ça ne fait pas vendre 100 000 exemplaires, jamais (je suis bien placé pour le savoir, j'ai toujours des papiers dans quasiment tous les journaux et... bon, bref). Les éditeurs n'ont pas la recette pour faire vendre des livres, ils sont même assez impuissants dans ce domaine – leur seule véritable arme : les prix, mais c'est un ou deux par an.) Non, moi je pense vraiment que, sauf dans quelques rares exceptions (notables, tout de même : Marc Lévy, Anna Gavalda, Fred Vargas...), c'est la télé qui décide. Donc, indirectement, par anticipation, les téléspectateurs.
    Et les téléspectateurs sont ce qu'ils sont, ils ont toujours été comme ça, même quand le mot "téléspectateur" n'existait pas (Proust vendait 200 000 ? Manchette 100 000 ?) Et je ne pense pas, Arnaud, qu'on confonde Ludo Miel avec la "vraie littérature" (indéfinissable, d'accord, mais en tout cas pas Ludo Miel). 80% des gens oui, mais ce n'est pas nouveau. C'est déjà bien que 20% des gens soient de bons lecteurs, non ? (Cela dit, je suis optimiste. Quand Muriel Barbery fait, disons, 120 000, c'est vraiment beaucoup mais ça ne fait quand même, précisément, que 0,2% des gens – bon, il faut retirer les enfants du calcul, d'accord.)

  • Je crois qu'on va finir par être d'accord sur qqs points...

    Juste en réaction à deux, trois petites choses.

    1. Il y a deux ans, j’ai travaillé à Allia, trois mois en pleine période de rentrée littéraire : à l’époque ça bossait pas mal sur un livre gadget sans intérêt, assez démago, snob et populiste à la fois. « Les Miscellanées de Ben Schott » (ça vous dit qq chose ?), une adaptation en français d’un succès so british. Berréby, l’éditeur, savait bien que ce n’était pas le livre de l’année : ni le livre que les éditions allia font habituellement. Mais il savait bien aussi que l’immense succès qu’il allait avoir (et indeed, ce fut impressionnant…) lui permettrait (lui permet aujourd’hui) de publier encore des Olivier Rohe, des Grégoire Bouiller, des Mrejen, des Chauvier, etc. Subtil dosage où 30 000 ex dispensables d’un côté, rendent possible 1000 ex nécessaires pour nous d’autre part. Les éditeurs sont des saligots. Mais certains savent jouer du système, aussi.

    2. Le livre ne doit pas justifier son chiffre d’affaire. Beckett vendrait combien aujourd’hui ? Quel rapport ça a avec son impact considérable que chacun de ses livres ? S'il vendait 200 livres, ça ferait 200 bonnes raisons de le vendre : ça donnerait aujourd'hui naissance à 200 véritables écrivains d'un coup, et ça changerait en profondeur le monde. Mais est-ce qu'un Beckett serait visible sur le marché ? Est-ce que le marché reconnaîtrait Beckett, ou le noierait ("l'air est rempli de nos cris. L'habitude est une grande sourdine")

    Le système a le devoir d'assurer un espace où un Beckett serait visible. Lisible. Qu’il vende 1000 ex, ou 200 000 ex.

    (Attéré d’ailleurs que Fleischer avec toute la couverture médiatique qu’il a eu, les compromis(sions) qu’il a fait dans ce dernier livre, la sélection jusqu’en demi-finale du goncourt, ect. n’ait vendu que 15 000 ex !)

    Je ne sais pas combien tu as vendu le dernier, PhJ, mais j’espère que ça n’entre pas en ligne de compte quand tu écris le prochain… Il faut juste se battre qu’un espace existe pour rendre certains livres possibles, lisibles, un espace où s’écrit la littérature qui nous est nécessaire.

    (p.s : il n’y pas de bonne ou de mauvaise littérature : il y a d’un côté des livres, et de l’autre la littérature : les livres qui changent le monde, qui changent la langue)

  • Heureux que le raprochement se fasse sur une note optimiste... Dans lequel je m'inscris volontiers - parce qu'on a toujours tendance à magnifier le passé (question naïve: il vendait vraiment beaucoup de livres, Beckett ??), et que le respect pour la littérature n'est à mon avis que peu altéré par les Ludo Miel.
    On ne trie pas le bon grain de l'ivraie en direct à la télévision.

    (PS : je retiens ta définition de la littérature, Arnaud. Je reviendrai en débattre quand j'aurai un peu plus d'armes, c'est à mon programme de février... ;)

  • Oui, on va être d'accord.
    Ton premier point, sur les Bidules de Ben Schott, confirme ce que je disais. L'éditeur dont tu parles ne semble pas être un sale type magouilleur, il savait que ce livre marcherait et pas les autres (il aurait préféré qu'un autre cartonne), il l'a juste accompagné. Les éditeurs n'ont donc bien que peu d'influence sur les ventes d'un livre. (Bien entendu, s'il n'avait rien fait pour ce livre, on n'en aurait pas (ou moins) entendu parler. Mais ça ne veut évidemment pas dire qu'un autre livre d'Allia se serait vendu à 30 000 ex.) Les gens veulent, on leur donne.
    Pour le deuxième point, je suis d'accord avec 2ndF : je n'ai pas de chiffres, mais je suis quasiment certain que les romans de Beckett, à leur sortie, les gens ne se les arrachaient pas. Pas plus, ni moins, qu'ils ne se les arracheraient maintenant.
    Le système, aujourd'hui, assure, me semble-t-il, un espace où chaque livre peut-être visible et lisible. Ne serait-ce, comme tu dis, qu'à 1000 exemplaires. Je suis même sûr qu'il est plus facile aujourd'hui de lire un livre, disons un livre difficile, ou confidentiel, qu'il y a 50 ans. Il y a plus de moyens d'en entendre parler (internet) et plus de moyens de se le procurer (Fnac, par exemple, et internet encore). Pour tomber sur un livre difficile d'accès, en 1950, il fallait vraiment être dans le bon milieu.
    Sur le chiffre de Fleischer, ça ne lui est pas particulier. Les ventes ont considérablement baissé – mais surtout en partant du haut. Je pense qu'un livre qui se vendait à 1000 exemplaires il y a quelques années, se vendrait peut-être à 800 aujourd'hui. En revanche, mon éditeur me disait : "Quand j'ai commencé ce métier (il n'y a pas si lontemps, disons vingt ans), un livre dont on pouvait considérer qu'il avait eu un succès moyen (un peu plus : satisfaisant) se vendait à 80 000 exemplaires. Aujourd'hui, c'est 10 000, et 80 000 c'est pas loin du triomphe.
    Tous mes livres se sont vendus aux alentours de 10 000, 15 000 pour ceux qui ont le mieux marché, 8 000 pour ceux qui ont le moins marché. Je ne parle que des chiffres de la première édition, je n'ai jamais eu l'ombre d'un chiffre en poche (sauf pour le Chameau sauvage, j'en reparle juste après), je n'ai aucun contact avec les éditeurs de poche (J'ai Lu, Pocket, le Livre de Poche) qui ont publié mes livres. Le dernier, Les Brutes, je n'ai pas les chiffres, mais je pense que ça va être à peu près pareil. J'aimerais pouvoir te dire sans l'ombre d'un doute que je ne pense absolument pas aux ventes quand j'écris. Ce que je peux dire sans hésiter, c'est que je fais tout ce que je peux pour ne pas y penser, et encore plus pour que ça n'influe pas sur ce que j'écris. Maintenant, forcément, dans un coin de ta tête tu espères que ça va se vendre bien, ou mieux. Et je me dis que ça doit peut-être agir un peu, sournoisement, mais, en toute honnêteté, si c'est le cas, c'est inconscient.
    (Le Chameau sauvage, poches compris, s'est vendu à environ 100 000 exemplaires. Quand je rencontre des gens qui l'ont lu, sur les salons, dans les signatures, les choses comme ça, une fois sur deux je suis dépité. Je me dis : "Mais pourquoi cette personne a-t-elle aimé mon livre ?" J'ai l'impression qu'elle s'est trompée de livre, qu'elle n'a pas lu ce que j'avais écrit. Je me rends compte que je n'ai même pas envie de passer dix minutes à boire une bière avec elle. Il n'y a évidemment rien de dédaigneux là-dedans, mais simplement, je ne crois pas que mes livres puissent convenir, sans malentendu, à 100 000 personnes. C'est beaucoup, 100 000 personnes. Je ne peux pas toucher (et réciproquement) 100 000 personnes vivant en France en ce moment. C'est pourquoi je trouve ridicule de vouloir que les livres se vendent autant. Si j'avais 20 ou 30 000 lecteurs (ce qui serait déjà formidable, hein), ce serait vraiment le maximum possible sans erreur quelque part.)

    Je ne suis pas d'accord avec ce que tu dis à la fin sur la littérature. Mais c'est un autre débat, et puis je crois que SecondFlore fera ça très bien.

  • Ca y est, Florian Z est dans ma poche !
    Le bain coule, bientôt je me plongerai dans "La fascination du pire". Wait and see...

    (Ph., un rapide calcul me laisse penser qu'entre les prêts, occases et les bibliothèques, tu as bien plus de 20 000 lecteurs. Et parmi eux sans doute un bon nombre qui se sont sentis touchés - au fond peu importe les raisons, non ?)

    (ceci est une question candide, je serais bien en peine d'anticiper ce que j'en penserai dans qqs mois...)

  • Peu importe les raisons si tu ne penses qu'aux chiffres, SF. Mais je crois que ce n'est pas ton cas. Après, que des gens aient trouvé dans le livre quelque chose que je n'y ai pas mis, au mieux ça ne sert à rien. Il y a, je t'assure, des gens qui représentent tout ce qui me fait fuir et qui viennent me dire qu'ils ont adoré le Chameau sauvage. Alors non, pas "peu importe les raisons". Je n'ai pas envie que ces gens aiment mon livre. Pour schématiser, c'est comme un humoriste, tu sais, on a entendu ça souvent, qui fait un sketch sur les arabes et les racistes, pour se moquer évidemment des seconds, et qui se retrouve avec de bons gros beaufs xénophobes qui hurlent de rire à ses blagues. Bon, c'est exagéré par rapport aux lecteurs, mais c'est pour dire : peu importe les raisons : non. Je ne passe pas mes nuits à écrire dans un but altruiste ou humanitaire, pour "faire plaisir" aux gens quels qu'ils soient et de quelque manière que ce soit. Donc quand quelqu'un me dit, par exemple : "J'ai adoré le Cosmonaute, qu'est-ce qu'il lui met à sa femme ! Mais alors vraiment, je ne comprends pas pourquoi il reste avec cette conne", je me dis que c'est un lecteur que je ne devrais pas avoir. En tout cas, un lecteur que je me fous d'avoir.
    (Tu verras, tu auras cette impression aussi, je suis sûr. Je te le souhaite, en tout cas. Ça voudra dire que tu auras pas mal de lecteurs, plus que de raison.)

  • @PhJ. En disant ça, je risque d'avoir l'air un peu débile mais peu importe. Il y a encore très peu de temps, je n'avais jamais entendu parler de vous, donc je ne connais aucun de vos livres (je ne suis pas un littéraire du tout, donc il y a beaucoup d'écrivains contemporains que je ne connais pas du tout). A force, j'ai fini par aller voir sur amazon de quoi parlait "le chameau sauvage". Et hop sur ma liste des livres à lire. Sinon, je ne sais pas ce qu'il en est, PPDA disait qu'une fois qu'un livre était sorti, ça devenait un objet extérieur qui avait une vie à lui et ne lui appartenait plus du tout. Perso, dans une vie antérieure, j'ai écrit des poèmes, et ça m'agaçait parce qu'il y avait toujours quelqu'un pour chercher à interpréter, alors que j'avais écrit quelque chose, parce que je trouvais ça beau, et c'est tout. Je ne sais pas si ça peut faire le même effet avec les livres.

  • avec "a + pollux", ça doit être encore pire, non ?

    "J'ai acheté votre livre après avoir vu le film, et franchement, j'ai été déçu" - ça doit arriver, ce genre de type...?

    (les mêmes beaufs qui demandent aux humoristes dans la rue de leur raconter des blagues, demandent aux écrivains d'écrire des "phrases plus faciles", et leur reprochent une fin pas assez truc et bien trop machin. (c'est toujours la fin, remarquez.) On s'en passerait bien.)

  • Pourquoi débile, Cassiopée ? Parce que vous ne connaissiez pas mes livres ? Houlà, non, c'est normal. (Je pense que 99,6 % des gens ne les connaissent pas. (Vous aviez eu connaissance de ce sondage étonnant (qui remet bien à sa place, je peux vous dire) : 80% des français ne connaissent pas le nom "Michel Houellebecq". C'est-à-dire ne savent pas si c'est un footballeur du FC Nantes ou le PDG d'une entreprise de sèche-mains électriques. Bon, c'est un sondage, c'est donc approximatif, mais enfin je suis sûr que ce n'est pas loin de la vérité.))
    Sinon, c'est à peu près pareil que pour vos poèmes, oui. (Sauf que des livres, faut être honnête, on veut en vendre.) A propos de ce que dit PPDA, je suis un peu d'accord, un peu pas d'accord. C'est vrai que ça devient un truc qui fait sa vie, mais étranger non. Pour employer la métaphore la plus rabattue du monde (pardon d'avance), c'est comme un enfant. Quand il s'en va de la maison, bon, il fait sa vie, il est "extérieur", mais en même temps, si quelqu'un me dit par exemple : "Dis donc, j'ai vu ton fils, il est génial, il pense qu'au fric !", ça va m'ennuyer que ce type devienne l'ami de mon fils. Avec un livre c'est encore plus marquant, parce qu'on "fait" plus un livre qu'un enfant. (Enfin bref, je me comprends.)
    A + Pollux, Arnaud, peu de gens l'ont vu (ça m'embête pour le réalisateur et le producteur, qui sont des gens que j'aime vraiment bien, mais pour moi, pour mon livre, ça ne m'embête pas, au contraire). Mais c'est arrivé une fois, ce que tu dis. Un jour je vais sur le tournage, c'était une scène assez difficile pour Gad Elmaleh, ils font pas mal de prises, et ensuite il vient me voir et me dit : "Je sais pas si j'ai été très bon, j'étais tendu, c'est très impressionnant de jouer devant l'auteur." Je gonfle imperceptiblement la poitrine et pense : "Nom d'un chien, j'impressionne Gad Elmaleh, j'ai réussi ma vie." Quelques instants plus tard, il me dit qu'il a adoré le scénario, qu'il a accepté tout de suite quand il l'a lu. "Ensuite, j'ai acheté le livre, pour connaître l'original, hein, quand même. Et là, euh... Comment dire... J'ai moins accroché, quoi." Ça calme.

  • J'aime beaucoup l'anecdote Gad Elmaleh ! Et la chute ne me surprend guère... Il y a une candeur dans cet aveu que je trouve assez touchante, finalement.
    Evidemment, j'ai peu été confronté au phénomène, mais il est arrivé que certains amis "adoorent" certaines de mes nouvelles pour des raisons qui, disons, m'échappaient un peu. Comme si je n'avais pas écrit ce qu'ils avaient lu. Après tout ce n'est pas très grave, je me dis, suffit de parler avec eux d'autre chose... Ce qui, en effet, est plus difficile avec un lecteur anonyme.
    Quant au "plus que de raison", il résonne parfaitement avec qqs modestes expériences vécues via ce blog - cinq ou six mails un peu bizarre sur le mode exagéré ("vous êtes génial" - ben, non...) ou légèrement barré ("viens voir sur mon site, je fais comme toi"). Chacun d'eux est déjà un peu gênant, je n'ose imaginer à une plus grande échelle.
    ... Et pour revenir au sujet de départ, je n'ose imaginer ce qu'il en est pour Ludo Miel !!
    Question de blindage, sans doute. Mais je pense qu'on sra d'accord, le blindage, c'est triste.

    (NB pour Cassiopée : ayons une pensée pour les artistes qui donnent dans l'abstrait - poour eux ce doit être encore pire que pour les poèmes !)

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