Pas facile d'écrire un roman sans savoir s'il deviendra jamais un livre, un vrai, avec une couverture et des lecteurs, hein ? J'espère pour toi que tu as des amis qui t'encouragent. Mais parfois, pour les encouragements, tu ne peux compter que sur toi-même. Alors, sans même savoir si tu parviendras à mettre un point final à ton manuscrit, tu te prends à rêver d'une gloire inaccessible. Tu t'imagines sur le plateau d'une émission littéraire, tu remercies chaleureusement les jurés d'un prix prestigieux d'avoir compris ton œuvre. C'est idiot, hein ? Rassure-toi : je ne connais pas d'auteur qui ne se dope à ce type de chimères (d'autres appellent ça pensée positive). Et puis, c'est tout le mal que je te souhaite, d'avoir un jour le prix de Flore ou celui du Premier roman.
Mais ce que je te souhaite, surtout, et c'est d'être sélectionné pour le Prix René Fallet et de faire un jour le voyage de Jaligny-sur-Besbre.
Tu ne sais pas qui est René Fallet ? Mais si. C'était un écrivain bon vivant, amateur de pétanque, de vin et de vélo, copain de Brassens, auteur de Bulle (on ne te l'a pas offert quand tu étais enfant?), des Vieux de la vieille ou de Paris au mois d'août – et de La Soupe aux choux, qui avant d'être un film pétomane est d'abord un grand livre.
Tu ne sais pas où est Jaligny ? Je te comprends. Disons que c'est pile entre Moulins et Vichy, non loin de Saint-Pourçain. Mais t'inquiète, une fois que tu y seras allé tu t'en souviendras très bien.
Ainsi donc, René Fallet s'était installé à Jaligny. Il y est mort en 83, et cinq ans plus tard est né le prix qui porte son nom. La spécificité de ce prix? Outre qu'il est décerné à un premier roman, elle est dans son jury : c'est un jury populaire.
Chaque année, quatre romans sont présélectionnés, et leurs auteurs invités à Jaligny en juin. Dans tout le pays, les lecteurs ont voté : les médiathèques, les associations, le lycée de Moulins, la prison d'Yzeure... Le public vote aussi, le jour même de la remise du prix, alors on remet au vainqueur une bouteille de Saint Pourçain et peut-être un petit chèque, je ne sais plus, on fait tourner la pompe aux grattons et tout finit en chansons.
Ainsi donc, si ton roman est sélectionné, tu feras le voyage de la Besbre avec les trois autres auteurs, et tu ne regretteras pas.
Et puis un jour, peut-être (c'est dire si ce prix est beau), tu reviendras même si tu n'as pas gagné, pour le seul plaisir d'y retrouver une atmosphère où on aime les bons livres qui ne pètent pas plus haut que leur cul, où on mange bien sur de grandes tables, et où tu puiseras l'énergie pour écrire d'autres livres.
J'étais allé à Jaligny en 2008, pour Hors jeu. J'y suis retourné cette année, invité pour le 25e anniversaire du prix. Il y avait là d'anciens lauréats (à ce propos, je te recommande La part du feu d'Hélène Gestern), des auteurs qui comme moi n'avaient pas gagné mais qui savent que l'important est de participer, et un sourire discret et lumineux qui écrit sous pseudo et fait oublier la pluie.
Tu seras peut-être jaloux de ne pas être venu : tu aurais eu droit à une magnifique représentation musicale de Bulle et à une soirée magique avec piano, guitare, fines bulles de Touraine et une vingtaine de personnes chantant Brassens, Reggiani, les Beatles ou la Mano Negra. Mais ce n'est pas grave : l'année où tu y seras, il se passera autre chose. Et tu ne l'oublieras pas.
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Je ne peux pas te parler des livres des candidats de cette année, je ne les ai pas encore lus. Je ne peux pas te raconter non plus comment se terminent les nuits dans la boîte de Jaligny – si tu veux savoir il te suffira de demander au lauréat 2013 et à son dauphin, Pierre Chazal et Sylvain Pattieu.
Je ne te raconterai pas non plus la séance de lecture publique du dimanche. Mais tu aurais pu y entendre deux maîtres du genre, chacun dans leur style : Philippe Jaenada (voix posée, humour en coin) et Erwan Larher (gestes théâtraux, truculence du verbe).
Je ne te raconterai pas ça, donc, mais si tu es encore là je me permettrai un conseil : n'hésite jamais à lire à haute voix.
Evidemment, tu auras déjà entendu parler du Gueuloir de Flaubert. Mais il ne s'agit pas de gueuler. Tu sais bien qu'on peut captiver une audience en parlant tout doucement, dès lors qu'on a quelque chose de vrai à dire (et un zeste de technique).
Lis à haute voix, donc, et va écouter d'autres auteurs, bons ou mauvais, tu verras quel écrivain tu as envie d'être plus sûrement encore qu'un livre à la main. Et quand tu penses avoir fini un livre ou un chapitre, imagine-toi que d'ici quelques heures tu vas devoir lire tel passage à une assemblée d'inconnus : je te promets que tout ce que tu as écrit t'apparaîtra sous un jour nouveau.
C'est un test rude, je sais bien. Je viens de le faire pour Truc N°2 que j'ai récemment exhumé du tiroir où il dormait. Et je peux te dire que putain, il y a du boulot. Quand je l'ai relu pour la première fois, le découragement était proche. Puis j'ai entendu Larher et Jaenada, et le découragement a fait place à l'envie. L'envie de raconter une histoire et de le faire bien, celle d'écrire pour faire plaisir, l'énergie de travailler pour qu'un jour le livre mérite non pas un prix, mais une table, et un public.
Bref. Un jour peut-être on se retrouvera à Jaligny. Travaille bien.
Commentaires
je sais qui est René Fallet (même ça fait souvenir) mais Jaligny je ne connais pas. Je lis à voix haute et ça fait un bon juge, t'as raison. Ça donne envie un jour d'être avec vous là-bas.
Pas sûr qu'il y beaucoup de coins plus méconnus en France... (à bientôt!^)
Parfois et même plus souvent que ça tu t'evades dans des sphères qui me parlent et me font du bien. Juste pour ça merci.
De rien !
(tu es allé direct vers une de mes notes préférées, tiens^)