Des faits, rien que des faits.
Marcadet-Poissonniers, 21h30. Dans le looong couloir de correspondance, un homme de couleur noire marche devant moi. Nous croisons deux jeunes femmes, prévenantes : attention, il y a les contrôleurs au bout.
Je repense à ce comique du 9-3 (AOC) vu la semaine dernière, qui plaisantait sur les stéréotypes liés à sa couleur de peau et qui se demandait pourquoi tant de monde dans le métro lui signalait la présence de contrôleurs.
Le type devant moi demande, Et alors ? Le deux filles se trouvent un peu connes, elles ne le diront plus.
Un peu plus loin, le couloir forme un premier coude, ils sont là. Quatre contrôleurs, exactement. Avec eux, cinq treillis bleus de la Sûreté RATP, et un chien. Ils ne me contrôlent pas. Est-ce parce que je suis blanc ? Pas sûr : en passant j'entends un bip qui ressemble fort à un détecteur de Pass Navigo, l'impression étrange qu'on me fait les poches à distance.
J'avance. Silence.
Quelques secondes plus tard, alors que je m'engage dans le second coude à 90° qui mène au quai de la ligne 4, j'entends des cris, un pas de course façon sprint. C'est un homme, noir, jeune, jeans et t-shirt. Je me colle à la paroi, hors champ. Il me dépasse, dérape dans le virage. Derrière lui, deux types en rangers courent moins vite mais dérapent moins. A peine le temps de me retourner et ils l'ont plaqué au sol. Hurlements. Cri de panique, animal.
- Je veux pas partir avec la police ! Je veux pas partir avec la police !
Tais-toi ! crient les deux colosses en bleu tandis que deux autres arrivent en renfort. Pas de coups, ils tentent seulement de le maîtriser. Calmez-vous.
- Je veux pas partir avec la police !
Ils ne vont pas te faire de mal, lance un squatteur de quai dans l'escalier. Circulez, dit un homme en bleu, mécanique. Quelques personnes passent, personne d'indifférent mais personne ne dit rien, de la tristesse dans l'oeil mais surtout de la résignation, Circulez, et moi aussi, citoyen godillot, je finis par descendre vers le quai.
Je veux pas... puis sa voix est couverte.
Sur la ligne 4, un train passe toutes les deux minutes. Pour le confort de tous, merci de ne pas gêner à la fermeture des portes (sic). Je répète...
Un train arrive, je ne monte pas. Je pense au gars. A moi, immobile, toujours pas clair avec moi-même sur ces questions de contrôles migratoires. Je repense à Ibrahima, mon élève de B.a-ba, qui me racontait les contrôles à Châtelet dans les années 90. Les flics nous connaissaient, à force, ils contrôlaient mais si on faisait pas le bordel ils s'en foutaient, des papiers. Et aujourd'hui les contrôles comme une loterie. A mes pieds court une souris, elle a l'air sympathique.
Sur la ligne 4...
Quelques minutes plus tard, je remonte. Il n'y a plus personne là où a eu lieu le plaquage. Plus personne non plus au point de contrôle. Au bout du couloir, je distingue le vert des contrôleurs. Les cinq types de la sécu sont là aussi (ce n'est que maintenant que je me souviens qu'ils ne sont pas policiers). Je les suis, les regarde prendre le dernier virage vers la sortie.
Le jeune homme n'est pas avec eux.
Cette fois la loterie est tombée du bon côté. Merci.