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J'ai 24 ans et j'écris mieux que toi

merindol, fausse route, dilettante, hummC'est l'histoire d'un jeune gars qui écrit un livre et puis s'en va. On est en 1950, Pierre Mérindol a 24 ans, il a une guerre derrière lui et une vie de bohème, entre brocante et journalisme, sa "Fausse route" paraît chez Minuit et l'auteur disparaît dans la nature lyonnaise.

C'est l'histoire d'un jeune gars passionné, vers 2010 (Philibert Humm, chapeau), qui entend un jour parler de Mérindol et se met en tête de retrouver le bonhomme, et le livre. Il retrouve le premier juste avant qu'il ne meure. Ce n'est que plus tard qu'il déniche un exemplaire du livre, chez un bouquiniste. Il lit, il est transporté, il décide de le présenter à un éditeur qui n'a pas peur de l'aventure. Le Dilettante, c'est parfait.
L'éditeur est conquis à son tour. Avec le jeune entremetteur ils retapent le texte, et le publient. Février 2016.

Et puis c'est l'histoire du grand François Perrin, qui, en mai 2016, me raconte ces deux histoires et qui me dit : Lis ça, c'est pour toi.

Et hop. La semaine suivante, je l'ai acheté – tu vois, on en est déjà à quinze lignes de billet et je n'ai pas encore commencé à le lire ; tu imagines un peu le chemin que doit faire un roman avant d'arriver entre les mains d'un lecteur. Autant dire que si on commence à y penser, on n'écrit plus une ligne.

Et le livre, donc. L'histoire de ce chauffeur routier qui conduit son camion sur les routes nationales de l'après-guerre, où Valence-Lyon était encore une aventure, qui embarque avec lui le taiseux Edouard ("avec sa tête de joueur de saxo sans contrat et sa dégaine d'acteur de cinéma"), et bientôt Françoise pour une intrigue à la Jules et Jim, entre la route, un petit bar rue Mouffetard et l'arrivée à Paris d'un jeune zigue mal dégrossi.

Au point où j'en suis, je me contenterais bien de te dire comme François – lis-le donc et on en reparle.
Mais si d'aventure tu hésites un peu, je me permets d'insister.

Lis-le, donc, disais-je, tu verras ce que c'est qu'une écriture brute mais profonde, sobre mais incarnée.

On finira par avoir de ennuis avec cette garce, disait Edouard chaque fois qu'il se trouvait seul avec moi. Je n'ai pas envie d'être foutu dehors et de recommencer à traîner la cloche, je n'ai jamais été aussi libre que depuis que je suis inscrit à la sécurité sociale, ajoutait-il en rigolant, et dans le fond c'était vrai, on était les esclaves de l'heure, de la consommation de gas-oil, du chargement à livrer, mais on avait tout de même l'impression d'être dans le coup, de ne pas se dégonfler (...)

Ça a l'air simple, mais qui sait encore écrire comme ça aujourd'hui ? Un récit où la route et les pierres sont vivants comme des personnages, une écriture qui sent, à la ville comme à la campagne, comme le camion qui sent le sexe chaud, le gas-oil et les tomates nouvelles, ou cette neige sale qui traîne le long des murs comme une mousse de bière au fond d'un demi oublié.

Plusieurs fois en lisant, entre deux pages cornées, je me suis surpris à me rappeler que l'auteur avait 24 ans, en me disant qu'il y avait chez lui une sagesse terrienne qui a presque disparu avec les autoroutes. Un temps où on connaissait les choses, où on cherchait une grange pour y baiser, où on sonnait chez un inconnu au milieu de la nuit pour réparer le delco du camion. Un temps où il y avait une fête foraine Porte de Clignancourt et un marché aux puces à Mouffetard – ce coin de banlieue ou de province au cœur de Paris qui finira bien par devenir, autour des quatre arbres et de la pissotière confidentielle de la place, un autre Montmartre. Bingo.

Plusieurs fois aussi j'ai eu une pensée pour nos jeunes auteurs 2016 qui mettent tant d'application à écrire jeune (qui sait, dans cinquante ans ils paraîtront peut-être d'une folle sagesse) ou à chausser des adjectifs hugoliens, des envolées à-la-Céline et des tournures balzaciennes comme on met des talonnettes pour paraître plus grand.
… Mais je n'ai pas tout lu : si tu
connais un auteur de 24 ans, ou même de 34, qui soit à la hauteur de Mérindol, dis-le moi, je suis preneur. Un auteur qui décrirait la vie comme elle va sans écrire plus haut que son cul sujet, un livre qui à chaque page, au-delà de l'histoire, te dirait quelque chose comme : "ok, les temps changent et les gens aussi, mais au fond, tout au fond, c'est fait comme ça, un homme", un livre de 126 pages qui, écrit par un autre, en aurait fait le double.

Merci d'avance. Et en attendant, lis-donc Mérindol.
Salut.

Pierre Mérindol, Fausse route, Le Dilettante, 126 p.

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