C'est un grand livre de 198 pages, dont l'histoire tient dans le titre.
Un livre à hauteur de peuple, qui raconte un immense coup de chaud collectif en donnant vie à des archives froides – rapports de police, registres ou carnets d'anonymes. C'est un talent en soi, que de savoir faire parler ces documents, comme Carrère l'avait fait avec les Actes des Apôtres (Le Royaume), Philippe Jaenada avec les archives de Pauline Dubuisson (La petite femelle) ou encore Sylvain Pattieu avec un obscur meurtre des années 20 à Marseille (Le bonheur triste rengaine).
C'est un talent, mais il n'est rien, ou presque, sans ma vision, et l'intelligence des situations. Parce Vuillard ne se borne pas à l'anecdote. Ce qui l'intéresse, ce ne sont pas "les petites histoires qui se mêlent à la grande Histoire" (ça, c'est le principe des romans historiques qu'on écrit à la chaîne), ce sont les mécanismes qui font que les histoires individuelles convergent en une Histoire collective – ce mécanisme universel qui fait que parfois les hommes se dépassent et se surprennent eux-mêmes, sans conscience qu'ils sont en train de "faire l'Histoire".
A l'opposé de la fresque, Eric Vuillard écrit comme on compose un tableau. On a tous en tête – vraie ou fantasmée - une image de la Bastille de 1789. Lui isole quelques scènes, s'arrête sur un détail (ici un gars qui a trouvé un canon, là la foule qui s'affole face aux coups de fusil venus des remparts, là encore le fiasco d'une négociation menée par des bourgeois de l'Hôtel de ville), il zoome et dézoome à l'envi, et après 200 pages, miracle, on a soudain en tête le tableau d'ensemble. Pas seulement celui de la prise de la Bastille, mais le portrait de toutes les révolutions, quand le peuple se surprend lui-même, un portrait dont l'écho reste longtemps après la lecture. Et c'est là qu'Eric Vuillard est grand.
Commentaires
Ca me semble fort intéressant comme procédé... même si j'aime qu'on mélange - dans d'autres livres - la petite histoire à la grande!
Intéressant, et impressionnant, et réussi - rare combinaison
(j'aime bien aussi le mélange, hein - mais ces livres obéissent trop souvent à des schémas calibrés (oui, il y a un clin d'oeil dans cette phrase,))