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  • La gauche est immortelle (si, si)

    La gauche est-elle morte ?
    A respirer l’air ambiant, on pourrait croire que oui.
    C’est que longtemps, pour beaucoup de gens, gauche a signifié PS, et le PS, lui, est bien mort. Je l’ai vu mourir sur place à la fin des années 90, sclérosé par les guéguerres de courants et le repli sur soi, le gouvernail abandonné à des affairistes tandis qu’on amusait la piétaille avec des manifs anti-FN. Et tout ça valait aussi un peu plus à gauche : être contre, ça oui, on savait faire ! Etre pour, ce n’était plus au programme. Avoir des idées ET l’envie de les transformer en réalités, on n’y pensait même plus.

    Et pourtant…

    Edin président, Je mets les tags que je veux« Quoi de neuf en politique ? La gauche ! A l’heure où l’on ne nous parle que de "nouveau monde" et de "nouvelles recettes", on nous ressort en réalité des pratiques surannées d’autoritarisme et de pouvoir centralisé (…) La gauche, donc. La seule. Au sens historique, classique et indépassable du terme. La justice et l’égalité entre tous, la protection des dominés et la limitation des dominants, la solidarité et l’humanisme contre la charité et la compassion », écrit Vincent Edin.
    … Et la transition écologique comme une évidence contre la croissance bête, et des dizaines d’expériences réussies ici et là sur lesquelles s’appuyer.

    La gauche en 2018, ce n’est pas de l’utopie, ce serait presque du pragmatisme

    La grande force de ce livre, c’est de remettre quelques idées en place. Retrouver les ordres de grandeur, dit l’auteur : rappeler que la fraude fiscale pèse infiniment plus que la fraude sociale, que les riches sont souvent plus assistés que les pauvres, balayer le greenwashing pour se concentrer sur l’essentiel…

    Il y a de la place pour un nouveau récit de la gauche. A lire ce livre, on croirait presque qu’il est là, ce récit, et qu’il peut emporter une majorité, loin des faux-nez du progressisme et des mirages du populisme. Dommage que les acteurs qui le jouent sur scène soient si mauvais et ne jouent que pour eux-mêmes, sans même l’espoir de gagner.
    Mais les acteurs passent. La gauche, elle, est encore là.
    Un jour son récit se reprendra à plusieurs voix, et ce jour-là on respirera un peu mieux. En attendant, on peut lire, voter mais pas seulement, agir surtout, retrouver de l'allant.
    Ca tombe bien, ce livre donne envie de tout ça en même temps - au fond, c’est bien la preuve que la gauche n’est pas morte : elle donne envie d’être un peu plus vivant.

    Vincent Edin, La gauche est immortelle (Boussole pour temps troubles) - Ed. de l'Observatoire

     

  • Les moissons funèbres

    Moissons funèbres, Jesmyn Ward, 10-18C’est l’histoire (vraie) de Jesmyn Ward. Une jeunesse noire du Mississippi, avec des maisons sur pilotis (ou sur parpaings), de la pauvreté, de la joie, des bois pour aller jouer derrière la maison, des kilomètres à faire en pied ou dans des voitures déglinguées, des hommes volages et des mères célibataires, des sœurs aînées qui deviennent auxiliaires maternelles, et puis l’adolescence, les petits boulots, la discrimination, du harcèlement parfois, la débrouille, la drogue parce qu’on s’emmerde, les trafics parce qu’il faut bien, l’horizon qui se bouche et ces amis/cousins qu’on retrouve toujours sur le chemin.

    Jesmyn Ward raconte cette vie-là en romancière. Pendant quelques heures, je te préviens, tu seras une jeune femme noire de DeLisle, Mississippi, fille d’une femme de ménage et d’un maître de kung-fu sans élèves. Et tout ne va pas être simple, autant le dire tout de suite. Mais en tant que lecteurice (dédicace à V. si tu lis ces lignes), tu vas te régaler.

    L’écriture de Jesmyn Ward est limpide, vivante, sans fard et douce à la fois. Et le dispositif du livre, tout simple, apporte au livre une vraie tension romanesque, en même temps qu’un contrepoint à l’histoire de la narratrice.
    C’est qu’en l’espace de 4 ans, 5 jeunes hommes avec lesquels J. Ward avait grandi (à commencer par son frère) sont décédés de mort violente. Accident, overdose, assassinat - ces morts à elles seules dressent un constat sur la vie de communautés abandonnées, et Jesmyn Ward les conte par ordre antichronologique, intercalés dans le récit autobiographique. C’est tout bête, mais quand vous croisez un petit gamin souriant page 57 et que vous le trouvez défoncé au crack page 64, l’effet est saisissant.

    Tout le livre est empli de cette tension - mais aussi de la nostalgie du Sud qui prend la narratrice dès qu’elle s’éloigne de son Mississippi.
    Un portrait collectif autant qu’un portrait personnel - ici si j’étais chroniqueur littéraire je trouverais une petit formule de conclusion pour emballer tout ça mais heureusement je ne suis pas chroniqueur littéraire, tu as déjà compris tout ce qu’il fallait comprendre, le reste est dans le livre, tu me remercieras. Bon voyage.

    Jesmyn Ward, Les moissons funèbres, 10-18 - trad. Frédérique Pressmann

     

  • Concision, concision

    Prolix, Prolix!
    Nothing a pair of scissors can't fix !

    (Nick Cave, I call upon the author to explain)

    Je ne pense pas qu'il existe une quelconque corrélation entre la taille d'un livre et le temps nécessaire à l'écrire. Certains auteurs français publient des livres courts par pure paresse, d'autres par une sorte de politesse, ou d'exigence : ceux qui prennent le temps de faire court - et le risque d'être sous-estimés par les fans de littérature américaine qui jugent souvent au poids. 

    ... Et donc, à l’heure où une éditrice impitoyablement compétente me somme de couper l’équivalent d’un roman d’Amélie Nothomb dans un manuscrit en cours, deux bijoux de concision :

    maria pourchet, les impatients, gallimard- Les Impatients, de Maria Pourchet, dissèque le monde de l’entreprise avec sa verve acérée, plus joyeusement caustique que jamais.
    (les lecteurices historiques de ce blog se souviendront qu'ici on aime beaucoup Maria Pourchet (attention, c'est contagieux) ; ça ne se dément pas, au contraire)

    - Première Dame, de Carcaroline lunoir, première dame, actes sudoline Lunoir, imagine une sorte de Pénélope Fillon (mâtinée de Trierweiler et autres Bernadettes) en campagne électorale et parvient à en faire une figure universelle. La famille, la dévotion au mari Candidat, les timides tentatives d'émancipation : à première vue, ça ressemble à un roman bourgeois ; ralentissez la vitesse de lecture et vous découvrirez une satire délicieusement subtile.

    La start-uppeuse et la femme-de : pas besoin de 500 pages pour écrire des sagas.

    Sur ce, j’y retourne, mes ciseaux sont aiguisés.
    Bonne lecture.