« B.a.-ba » aura dix ans bientôt. Il s’en est passé des choses, depuis… Mais je n’oublie pas qu’en 2011 déjà, les journalistes répondaient à l’attachée de presse : « Oh, les sans-papiers, on en parle déjà beaucoup ». Et pas la peine de leur répondre que les personnages du livre en avaient, des papiers, l’amalgame était comme un réflexe.
Puis est venue la vague de 2015. J’ai continué à donner des cours, à une toute petite échelle j’en ai rencontré quelques-uns, de ces nouveaux arrivants, plusieurs fois j’ai eu envie d’écrire sur le sujet, à chaque fois j’ai fini par me dire : A quoi bon ? Les témoignages existent déjà, les essais sont légion - mais par qui sont-ils lus, hormis par des gens déjà convaincus ? Ils ressemblent à des manifs du 1er mai : utiles pour resserrer les rangs, maintenir la flamme, mais pour changer les choses, il faut d’autres moyens.
Et puis, il y a ce livre, là. Ces Carnets de solidarité, parfaite distance entre le récit personnel et le document d’enquête.
Le récit personnel, d’abord : Julia Montfort a sauté le pas un jour et accueilli un jeune Tchadien - une aventure familiale, comme ça l’est souvent (cf le Prince à la petite tasse, d’Emilie de Turckheim).
Puis elle est partie sillonner la France pour rencontrer d’autres gens qui aident, qui accueillent, qui soutiennent, qui organisent : des particuliers, des associatifs, des responsables politiques.
Et ça fait du bien, de voir qu’il y a une autre France que celle de Gérald Collomb, de Gérard Darmanin ou de mon voisin du 3e. De rappeler aussi que la solidarité, même entravée, est toujours contagieuse - et qu’il suffirait au fond d’un brin de volonté politique pour mettre en branle de nouvelles énergies, de ce genre d’énergies positives qui font du bien à celui qui donne comme à celui qui reçoit…
... Bref ! Il n’est pas si facile en ce moment de trouver un livre dont le message soit à la fois positif et collectif. En voici un. Bravo Julia Montfort, et que vos carnets soient hautement contagieux.
Julia Montfort, Carnets de solidarité, ed. Payot-Rivages, 2020
> A lire aussi : Je voulais juste une chance de vivre, dirigé par Claude Roméo aux éditions de l’Atelier.
Des témoignages de "mineurs isolés étrangers", comme on dit - où l’on voit que tout n’est pas noir, que rien n’est très rose mais que parfois la vie l’emporte sur le déni et les labyrinthes administratifs auxquels ils ne comprennent rien (j’ai tenté moi-même d’y comprendre quelque chose un jour pour aider un élève, bon courage). Des témoignages bruts, comme ceux qu’on aimerait parfois recueillir en croisant un regard dans la rue sans oser tendre la main. Un livre, ce n’est pas la vie, mais ça rapproche aussi.