Pendant longtemps, très longtemps, je n’ai pas compris ce qu’on attendait des étudiants dans la 3e partie d’une dissertation. Thèse, antithèse, synthèse, je voyais bien, mais après avoir dit blanc puis noir, à quoi servait-il de conclure gris ? Et puis un jour, ce devait être en fin de Terminale, j’ai fini par entrevoir la lumière : merde au gris, il s’agissait d’introduire un concept nouveau qui faisait voler en éclats l’opposition basique entre noir et blanc. Un peu de couleur, au fond, et de quoi s’amuser en C un peu après l’académisme de A et B.
J’y ai repensé cette semaine enlisant cet Eloge du métèque haut en couleurs, signé d’Abnousse Shalmani qui décidément, depuis son premier roman, a le don de me regonfler d’énergie au meilleur moment.
Le métèque, ce n’est pas seulement l’étranger, c’est le déplacé - géographiquement souvent, socialement parfois. On connaît la chanson, entre les racines perdues et l’intégration impossible dans un nouveau pays, ou un nouveau milieu. Thèse : si l’étranger ne renonce pas à ses racines, il est suspect. S’il cherche à y renoncer, on l’y renvoie toujours à un moment ou à un autre. Abnousse Shalmani explore ce dilemme, mais pour mieux le faire voler en éclats. Car face à ceux qui voudraient assigner en permanence l’étranger à ses origines, elle oppose la liberté du métèque - celui qui, parce que pris entre deux mondes il ne saura jamais qui il est réellement, se libère de la tyrannie de l’identité et crée sa propre liberté. Le métèque ne se contente pas d’être, il agit, il emmerde conservateurs et réactionnaires parce qu’il n’a pas le choix. Il ne réclame pas des droits, il conquiert des espaces de liberté.
Et ça fait un bien fou d’ouvrir les fenêtres en grand comme ça, en ces temps sombrement essentialistes où tout se fige, où la question bornée de l’identité tend à occuper toute la place abandonnée par le politique - à droite comme à gauche - et où le débat public se révèle souvent aussi fécond qu’une bataille de tranchées.
Éloge du métèque vient rappeler avec flamboyance que personne ne se résume à ses origines, qu’on est d’abord ce que l’on fait - dans le monde et avec les autres, malgré eux parfois mais toujours vers quelque chose, même si le but est (presque toujours) impossible à atteindre.
Bref : la métèquerie est un putain d’humanisme, et disons-le, on en a sacrément besoin.