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Petite ceinture et grandes poussettes

eff4bbfff4d25ec2d4dd183a42f2ed17.jpgDe La Villette à Porte Maillot, le PC3 traverse le Grand Nord parisien. Populations mélangées, colorées, peu de petites vieilles en tailleur, pas mal de poussettes. Et une frontière invisible mais sensible – celle qui sépare l’Est populaire et l’Ouest bourgeois, et qui passe, en gros, entre la Porte Pouchet et la Porte de Clichy.
Et ce matin, Porte Pouchet justement, les deux mondes qui se confrontent.
Le bus est plein sans être bondé, une jeune mère, arabe, va pour descendre avec sa poussette, mais elle se heurte à une vieille bique septuagénaire, bien blanche. Tension silencieuse, la jeune femme finit par descendre, et la vieille carne qui regarde à la ronde, cherchant la complicité des voyageurs : "Non mais elle pourrait laisser monter, quand même !"
Les voyageurs de toutes les couleurs regardent leurs pompes pour ne surtout montrer aucun signe d’acquiescement. Je reste silencieux comme les autres. En fait, je pense surtout à cette quadragénaire montée dans le sillage de la vieille. Sa fille, manifestement, elle arbore le même nez pincé. J’aimerais savoir si elle a honte de sa mère, s’il est possible de se dégager de quarante ans de bourgeoisie raciste, si l’époque peut vaincre petit à petit les déterminismes sociaux.

Sur le trajet du retour, combat de poussettes à nouveau. Des bambins pleurent, on se frotte un peu, on s’organise, il reste un peu de place. Porte Pouchet une petite voix m’interpelle, c’est une gamine de huit ans, dix ans au plus – S’il vous plait monsieur, ma maman va monter avec mon petit frère dans sa poussette. Et avec le sourire on se pousse pour laisser monter la petite famille. Je comprends bientôt que la mère ne parle qu’arabe, que sa fille lui traduit les inscriptions sur la porte.
Merci Monsieur, me dit-elle quand je descends porte de Clignancourt.
Merci petite, ma journée a vraiment commencé avec toi. Que la vie te protège des vieilles biques et autres bâtons dans les roues du bus. Que la force douce soit avec toi.

Commentaires

  • Ce la me fait penser à ce que je vois tous les jours: mes grands-parents et certains membres de ma famille racistes qui cherchent à prouver, surtout en criant et invectivant qu'ils ont raison ; et moi, prof en ZEP avec beaucoup d'élèves turcs et marocains, (zep plutôt facile), qui leur dit que j'ai plus de problème avec les blancs qu'avec les Arabes, que eux me respectent, m'apporte des gâteaux au Ramadan, disent bonjour dans la rue, etc ...
    Un contraste parfois rageant de les voir dominés par le journal télé et leur ignorance, et parfois je laisse courir en me disant que je fais un peu et donne une chance, à ceux qui le veulent, de s'en sortir.
    C'est une note qui me plaît, merci.

  • Tout ça n'arriverait pas s'il y avait des autobus réservés pour nous les Français.

  • Quand j'étais venu chez toi, via le PC3, en provenance du 9-2 aux frontières de Paris, la coupure était effectivement très nette.

    C'est même un moment dont je me souviens encore nettement.
    Un déclic dans ma tête. Que ça nous rendait malade d'habiter là. Qu'on n'avait rien à faire là, sinon cracher sur leurs tombes (mais ça fait pas une vie, la haine).

    Déterminisme n'est pas fatalisme.
    Certains le prophétisent, à coup de "long manteau d'églises" notamment. Mais c'est trop tard pour eux. Historiquement.
    :)

  • Très sensible ton texte, cher très sensible second flore.

    "Le simple fait de réduire le racisme à l'expression d'un relent néocolonial relève de l'erreur de diagnostic. Car cette analyse minimalise l'impact des mécanismes économiques et sociaux frappant les enfants d'immigrés, lesquels sont avant tout discriminés parce qu'ils appartiennent à des classes pauvres. A moins de considérer qu'un enfant d'ouvrier maghrébin subit le même sort qu'un sociologue d'origine maghrébine..."

    (Caroline Fourest [Le choc des préjugés (L'impasse des postures sécuritaires et victimaires)] chez Calmann-Levy

    très bon livre.

  • > Peggy : toujours ces petites questions de domination... ;)
    (à rapprocher de la citation de Fushturn un peu plus bas)
    bon courage !

    > CUP : on fermerait les lignes faute de rentabilité, je pense ;-)

    > E-cedric : "long manteau d'églises"... Mignon, si j'ose dire !
    (Monsieur a des références ;)

    > Fishturn : merci merci. Je ne sais pas pourquoi la tête de Caroline Fourest ne me reviens pas (eh oui, tiens, encore une discrimination au faciès) - mais l'important est ce qu'elle écrit, n'est-ce pas. Et là, ben, c'est limpide. (et le titre, entre excellent et salutaire)

  • Voilà notre Bertrand en Zorro de la ceinture. Tu es donc démasqué Don Guillot de la Porte Pouchet.

    N'as tu point honte d'aider une resquilleuse aux dépens d'une charmante octogénaire ?

  • Bien écrites ces conneries. Chouette. Enfin... l'écriture est chouette. L'histoire un peu moins.

  • J'apprécie beaucoup ces tranches de vie quotidiennes... et Parisiennes.

    Accent Grave

  • > Bouboune : dis-donc, où as-tu vu une resquilleuse ?
    (et chut! je ne suis pas zorro, je suis don diego de la petite ceinture)

    > Bester : merci, mr langs - le nord de paris est plus propice à l'écriture sans fioriture que le quartier latin, sans doute

    > Accent Grave : ... et la source est inépuisable!

  • Les personnes qui montent là où les autres descendent sont toujours des resquilleuses ... Et désolé pour la petite ceinture mais c'est Modiano qui s'est accaparé de ce titre !

  • Qu'est ce qu'on peut être lâche des fois. Moi une fois je trimbalais mon fils et 3 copains à lui dans le bus. 2 des enfants se levaient de temps en temps car ils trouvaient le temps un peu long. Une quinqa ultra pincée arrive, me demande si la place est libre, je réponds qu'un enfant s'y est installé, elle rétorque "puisqu'il est debout..." et s'installe. Le petit revient vers moi et me lance "Mais il est où mon gilet ?", je réponds "Sous les grosses fesses de la dame" oups, ça m'a échappé :-)
    Je précise qu'il y avait d'autres places assises dans le bus...

  • > Bouboune : rien à voir mais... merci pour Sepulveda
    (qu'il vienne, Modiano, je l'attends ;)

    > Thael : joli !! (et si rare que les voisins doivent s'en souvenir encore)

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