Il y a des jours comme ça, des lendemains d’une très bonne soirée au mauvais vin blanc, par exemple, où l’on sent qu’on pourrait très bien ne rien faire. Pour se donner bonne conscience, on repense à ces journées de salarié qu’on pouvait perdre en réunions, ou à éteindre en dix heures des incendies allumés au matin pour mieux recommencer le lendemain…
On se dit ça en allant chercher mollement, en pantoufles, son courrier du matin. Et là, dans la boîte aux lettres, l’incendie. Du genre qui commence par une douche froide pour mieux brûler ensuite. Ainsi donc, sous une noble en-tête, l’organisme X ne s’embarrassait pas de Madame, Monsieur pour me signaler tranquillement que le montant à payer pour 2008 était de… 15 000 euros. A régler au plus tard le 15 avril, bien sûr.
Le temps d’évacuer une petite suée et la course commence, donc, pour tenter de comprendre comment pourquoi qui et surtout comment faire pour ne pas. Je vous passe les détails (Vous z’êtes bien t’au siège de l’organisme X – tût, tût, etc.) – finalement me voici en milieu d’après-midi, en personne au siège de l’organisme X, dans mon costume de petit garçon pas doué sollicitant la compréhension de la dame-à-l’ordinateur.
La dame est gentille et son langage aussi confus que technique. Je comprends assez vite l’essentiel – que des 15 000 euros je peux me contenter de ne payer que les trois zéros de la fin. La dame m’explique aussi comment se passeront nos relations à l’avenir. Elle m’explique trois fois, d’ordinaire je comprends ce qu’on me dit mais là non, je suis comme le cancre qu’un prof de maths indulgent a appelé au tableau : l’élève joue le porte-craie, il tente maladroitement de suivre tandis que le professeur fait l’exercice à sa place, et quand l’indulgent barbu demande « tu as compris ? », il dit « oui » en sachant qu’il n’en est rien mais c’est pas grave, il sait que ce coup-ci au moins il aura la moyenne. (mention spéciale : la dame gentille qui me dicte jusqu’à la formule de politesse de la lettre de demande de remise gracieuse qu’elle me propose de lui écrire)
Vers 16 heures, donc, je sors du siège de l’organisme X, au fond rien n’a changé depuis que je suis sorti de mon lit hormis cette petite aventure, il aurait parfaitement pu ne rien se passer, je me dis, mais bon, 15 000 – 15 000 = la tête à toto, et c’est déjà un peu mieux que zéro.
***
Sur le trajet du retour, le métro file vers le Nord à l’heure de la sortie des lycées. Face à mon strapontin s’installent trois beurettes du genre mignonnettes, elles n’ont pas le code vestimentaire du cool de banlieue populaire mais elles en ont l’accent, elles s’apostrophent avec ce ton qu’au départ je prends pour de l’agressivité et qui n’est que de la vie qui déborde.
- Z’y va mate là y’a trois places !
Elles se lèvent, pouffent ensemble et vont s’asseoir derrière moi. Rapidement je comprends qu’elles ne sont pas seules :
- Ah non mais faut pas te sentir gêné, hein !
- Sur ma vie, on t’a vu toutes les trois ensemble
- Allez, vas-y, file-nous ton 06 !
Le dialogue se poursuit un peu, mais je sens dans mon dos qu’on se lève. Et c’est un jeune cadre en cravate, tout sourire, qui salue les demoiselles en partant. Je le regarde, je me retourne, je croise un regard revêche.
- Bon, ben tu vas nous filer le tien, de 06 alors ! me lance Naima, et je comprends bien que je ne compte pas (d’ailleurs j’aime déjà), que c’est sa façon de dire aux copines « j’ai osé », qu’il se joue des trucs importants qui me dépassent. J’ai à peine le temps de penser à la façon dont je vais jouer le jeu qu’un autre cri déchire le wagon – Eh les filles, c’est pas la bonne direction !
Et les voilà sur le quai, direction Gare du Nord tandis que déjà la rame repart vers le terminus.
En remontant les escaliers je caresse l’idée d’un livre qui s’appellerait Porte de Clignancourt, et l’idée sourit sous la caresse.
Commentaires
Lewis Carroll, qui les préferait beaucoup plus jeune, ce joyeux tordu, écrivit Alice's Adventures in Wonderland à la suite d'une promenade en barque avec les jeunes soeurs Liddell.
Les temps changent mais l'écrivain ne change pas porte de clignancourt.
"How doth the little crocodile
Improve his shining tail,
And pour the waters of the Nile
On every golden scale"
Quelle aventure ! Ton nouveau bouquin... hum, l'idée est excellente. Z'y va, faut oser dans la vie ;o)
je pourrais TRES mal vivre ce " au fond rien n’a changé depuis que je suis sorti de mon lit hormis cette petite aventure" mais comme j'ai une grand-mère à enterrer hein je vais pas bouder...
> Fishturn : le seul crocodile que connaissent les jeunes filles de la porte de clignancourt, je le crains, c'est celui de Lacoste...
(ce qui n'empêche pas de traquer d'autres merveilles)
> Nath : l'idée suit son chemin, oui... mais il y en aura au moins un autre avant cela
> Brunette : comment oserais-je vous qualifier de "petite aventure", Petite Brune, vous qui me portez bonheur ?
(et en vrai... condoléances...)
J'espère que je serais en dédicace, grâce à moi, tu te la bouffes en entier la ligne 4! Si tu veux que t'écrives le chapitre consacré à Alesia ou Mouton-Duvernet, où les toxicos sniffent de la colle bio...
Trois zéros ? C'est sévère. Enfin, tant que les fans vous soutiennent dans le métro...
Qu'est-ce qui t'arrive? Tu es endetté? ou alors tu as déjà vendu tellement de livres que le fisc te courre après? J'espère que ce n'est rien de grave.
Il existe une lettre type pour les gracieuses remises ? ça peut servir ! Non pas que... mais bon.
> Castor : ah ben oui, j'aurai bien besoin d'un contrepoint rive gauche ! (où je n'ai jamais rien vu de spécial)
> Brg : sévère, oui... mais contrairement aux Lensois (toute cette histoire de banderole pour faire oublier un péno scandaleux, quand même...) , j'ai obtenu que le match soit à rejouer
> Cassiopée : rassure-toi, s'il arrivait quelque chose de granve je n'en parlerais sûrement pas ici !
> Esperluette : la seule recette, c'est d'être gentil avec la dame... (j'aurai appris aussi qu'on peut terminer la lettre par "Salutations". mais pas sûr que ça suffise... ;)
Sans ces petits financiers ou autres, la vie serait bien monotone!
Accent Grave
(toute cette histoire de banderole pour faire oublier un péno scandaleux, quand même...)
Ah ! Non mais pour l'exemple, on devrait attribuer la coupe à Lens, comme ça, pour voir.
Les supporters cérébraux apprécieraient - je fais référence à Maurice, c'est la nuit.
L'auditeur : Maurice, espèce d'enculé de fils de pute de consanguin, je t'encule sale...
Maurice : Ah...
Encore un cérébral.
(clic)
ce genre d'idée sourit toujours ;-)
heu ! Je n'ai rien compris au passage avec le "06" ? C'est parce que je suis sudiste ? :)
> Accent grave : je trouve parfois du charme à la monotonie....
> Brg : il sévit encore, Maurice ??
> Benoît : j'en connais qui n'ont pas souri très longtemps ! ;)
> A@T : c'est sans doute parce que j'ai écrit vite... imaginez les trois demoiselles demandant bruyamment le n° de tel. d'un jeune cadre dans le métro... souriez... vous y êtes.
Bravo pour votre blog que je viens de découvrir et au plaisir de lire vos commentaires sur http://journalpetitbelge.blogspot.com
Ah la la, ces filles !
ah ! Ouh la la ! J'y étais pas mais pas du tout :)
(je souris presque tout le temps et surtout si je me sens un peu mal à l'aise :D
très sympa.
mais tu le sais déjà...
que pourrais-je dire à la place? pas grand chose...
"alors pourquoi laisser un commentaire?"
ca n'a pas de sens, tu as raison, mais j'avais envie de te dire que j'avais bien aimé ton aventure; et toutes tes metaphores qui vont avec.
bonne soirée,
> Marie : bah... souvent elles varient !
> a@t : suis un type du nord, moi - j'aime bien les sourires gênés du sud ;)
> ecaterina : eh bien... merci! ça fait tjs plaisir
@ second flore
de rien
dis, tu pourrais me donner l'adresse du blog de ton ami fishturn? l'ai eu, mais je n'arrive plus du tout à charger la page de son blog, peut-être a-t-il changé d'hebergeur?
File nous ton 06
c'est pas mal comme incipit, ou commme titre...
Je passais par là en faisant un petit tour sur la blogo littéraire. C'est sympa chez vous. La prochaine fois, je m'arrêterai à la cuisine pour boire une café, si vous voulez bien.
Bon WE et à bientôt de vous lire.
@Julou
Comment ca va?
Pourquoi tu ne te fais pas un blog qu'on sache au moins ou te retrouver?
> Ecaterina : ben non, seul reste le poisson.
je crois que l'ami F. a décidé d'être (provisoirement?) muet comme une carpe...
> Julou : eh bien... à bientôt!