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Le bouffon et le parano

"On va pas se prendre la tête", qu’ils disaient…

Hier, pour la première fois, j’ai pensé que la frontière était ténue.
Que la démocratie dans laquelle nous sommes nés et que nous pensions éternelle était une petite chose bien fragile quand elle est médiocre.

J’y ai pensé quand j’ai lu que Bockel, "ministre d’ouverture" (haha) préconisait le dépistage de la violence chez les gamins de trois ans. Ce titre du Monde, j’avais l’impression de lire une coupure de presse dans un livre d’histoire qui montrerait la montée progressive vers… (pas de nom, svp)

J’y ai pensé aussi, évidemment, avec ces histoires de journalistes espionnés et cambriolés. J’ai imaginé les rendez-vous secrets qu’ils devaient désormais donner à leurs sources, des appels masqués dans des cabines téléphoniques, des têtes qui regardent en arrière pour vérifier qu’on n’est pas suivi, des documents qui s’échangent sous le manteau, des gens ordinaires qui doivent maintenant faire attention. Tout ce qui a bercé notre imaginaire des régimes totalitaires pendant qu’on se savait croyait à l’abri.

Je me suis énervé en lisant des articles qui faisaient immanquablement référence aux années 30 et j’ai pensé qu’il faudrait peut-être écrire maintenant l’histoire possible de notre chute – lente, progressive, collective. Une histoire qui redonnerait leur figure éternelle à la folie du pouvoir, aux petits complices pas fiers, aux indécis silencieux, au corps électoral aveuglé, aux ambigus de tous poils, à ceux qui fuient les prises de tête, aux Lumières qui s’éteignent et aux hommes de l’ombre.
Une histoire où le personnage fort ne serait pas Nicolas S, mais toi, moi, et Claude G.

***

La surveillance des journalistes est directement piloté par l’Elysée, écrit le Canard Enchaîné. Ce n’est pas une surprise. Mais pour que le Canard l’écrive, c’est qu’il y a des gens qui ont parlé – et ça, c’est nouveau. Mediapart enfonce le clou et désigne Guéant, le chef d’orchestre, qui superviserait l’espionnage de ses troupes. Evidemment.
Plutôt que de me raser, ce matin, je me suis dit qu’il y a toujours eu des Guéant. Des hommes grisé par le pouvoir, heureux de l’ombre dans laquelle ils peuvent tirer manettes et ficelles, serviteurs de l’Etat tout heureux de se servir des outils de la puissance, hommes d’appareil, regardant avec dédain ceux qui se servent dans la caisse, pas jaloux de la lumière qu’attirent à eux des dirigeants qu’ils admirent et méprisent sans doute tour à tour. Des hommes de l’ordre qui n’en reçoivent que de très haut, avec une obsession – tenir l’Etat – et une passion : le renseignement.
Ah, ouvrir un courrier sous la censure, écouter en secret Carole Bouquet en 1985 ou Gérard Davet en 2010, ça doit être grisant, quand même.
D’autant qu’on peut le faire de façon presque légale. Après tout, la loi sur la sécurité des sources autorise des exceptions si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie. Des atteintes à la sûreté de l’Etat, par exemple.

Rien qu’à lire ça, on imagine aisément ce qui se passe dans n’importe quel Château.
Quand le type tout en haut, dans sa folie narcissique, confond l’Etat et Lui-même.
Quand l’homme de l’ombre nous expliquerait avec morgue que déstabiliser le maître en place revient à déstabiliser l’Etat.

Y a-t-il un contre-pouvoir à ce couple infernal ?
L’élection, peut-être. La rue, qui sait. La presse, quand elle travaille. Mais aussi, avec elle, tous ces exécutants de l’ombre qui opposent leurs états d’âme aux coups tordus de l’Etat, et qui en secret osent en parler.

Dans son édito d’Arrêt sur images, Schneidermann imaginait hier qu’avec ces fuites de la DCRI, il faudrait peut-être espionner ceux qui espionnent, pour être sûr. Il concluait :
"Les régimes policiers sombrent immanquablement dans la bouffonerie ou la paranoia. Ou les deux. On y arrive."

On y arrive.

Commentaires

  • Je préférais la version Fouché, paranoïa, mais talent, là on sombre vraiment dans la bouffonerie...

  • entendu à propos du peu d'indignation dans l'opinion publique à propos des frasques de Berlusconi: le peuple italien doit être comateux pour ne par réagir (Berlusconi a fait libérer des geoles italiennes une de ses conquêtes en prétextant qu'elle était de la famille du Président d'Egypte!). nous autres en France on est pas mal comateux aussi en ce moment je trouve, question libertés individuelles. oui les rois ont existé de tous temps et ont toujours fait n'importe quoi. la démocratie pensais-je ce matin en me brossant les dents (je ne me rase pas!), c'est juste une façon de mettre de l'ordre dans la société, le gouvernant nous demande notre avis mais à la fin il fait ce qu'il veut.

  • Et oh on ne déconne pas hein, le livre sur la montée d'un état totalitaire en France c'est moi qui doit l'écrire !!! Pinaise ça fait deux ans que je postasse, que je me documente... alors un peu de respect quoi ;)))

    a+

    yann

  • > Castor : faudrait retrouver ce qu'en disaient les contemporains du XIXe...

    > Columbine : ... et Berlusconi a été réélu, comme Balkany...
    (soupir)

    > Yann : bon, d'accord, j'écrirai juste la préface ;)
    (bon courage!)

  • Quand il faut des surveillants pour surveiller ceux qui surveillent, ça s'appelle une mise en abîme ou un processus obsessionnel selon le père Lacan, bref un truc de ouf

  • La République abîmée, en somme...

  • Ouroboros.
    Notre chance, je vais te dire, c'est qu'on est gouvernés par de parfaits abrutis. Ils ont soif de pouvoir absolu, mais ils sont mille fois moins intelligents et mille fois plus maladroits que les tyrans du passé. Je crois qu'on le sait tous, inconsciemment. Cela dit, oui, heureusement qu'il y a encore ça et là des gars qui ont de l'éthique, et bien sûr le "Canard Enchaîné", seul journal que j'achète depuis quatre ans maintenant (j'arrive pas à m'inscrire à Médiapart, j'ai essayé trois fois sans succès).

  • Le Canard, évidemment.
    Pour le reste je ne dirais pas ça, malheureusement. Parce que l'Histoire oublie vite les abrutis, et que l'actualité ignore les vraies intelligences... (même si je t'accorde qu'il y en a un paquet, d'abrutis, là^)

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