Je viens de me désinscrire de ta liste de diffusion pour les présidentielles. J’imagine que tu t’en fous un peu, mais comme mon petit doigt me dit que je ne suis pas le seul, je voulais quand même te dire pourquoi.
Tu ne t’en souviens sûrement pas, mais on se connaît. C’était dans les années 90. J’avais entendu parler de toi, on s’était donné rendez-vous dans le XVe arrondissement, tu m’avais donné ta carte, tu avais même voulu me confier quelques micro-responsabilités parce que de dangereux gauchistes (les "poperénistes" ! ha ha) menaçaient de prendre le contrôle d’une section de ton mouvement de jeunes.
J’ai fait campagne avec toi, j’ai participé à un de tes Congrès, et comme beaucoup tu m’as désespéré. Je dois reconnaître que tu m’as bien déniaisé, aussi. Je sais maintenant pourquoi Oui Oui ne sera jamais élu. Je sais que pour un homme de valeur il y aura toujours trois hommes d’appareil prêts à consacrer leurs soirées à lui savonner la planche. Grâce à toi je sais comment fonctionnent les réseaux – comment les ficelles tirées d’en haut finissent par déterminer le vote d’un petit groupe local. Je les ai vus, tes jeunes pousses, se jetant dans le combat d’une élection interne à venir, se soûlant de beaux discours sur la justice sociale en rêvant de l’emploi fictif qui les attendait à la Mnef si Machin était élu.
La plupart t’ont quitté, depuis, parfois pour travailler dans des banques. Quelques-uns, rendons-leur hommage, ont fait honnêtement leur chemin : ils travaillent dans des mairies (au plus près du terrain, diraient tes communiquants) et forcent mon respect quand ils me racontent les situations qu’ils gèrent tous les jours, pragmatiques mais pas cyniques. D’autres, enfin, ont poursuivi sur la voie de leur vraie passion : les réseaux, et le pouvoir. Ou plutôt : les jeux de pouvoir, bien au chaud dans les salons vip, sans avoir à se tacher le costume à prendre des décisions ou à écouter des philosophes et autres responsables associatifs qui décidément ne comprennent rien aux calculs électoraux. On les retrouve dans les think tanks, ils déjeunent avec des lobbyistes qui parlent le même langage, et se placent dans l’état-major de leur champion pour la présidentielle. Ceux-là, quand je les ai connus, faisaient de la com parce qu’au fond ils ne connaissaient que ça ; et ils en font toujours, parce qu’ils ont fini par croire qu’il n’y a que ça qui compte. Pour les idées, bah : on lance des mots dans l’air du temps, on les regarde rebondir, on attend le dernier sondage et on écoute les Barbier et Joffrin commenter le creux de la campagne. Mais cela nous en parlerons plus tard – après tout on ne sait jamais, peut-être François aura-t-il vraiment des choses à nous proposer d’ici avril. Pour l’heure revenons donc à nos moutons, militants et sympathisants.
Peu à peu, dans tes réunions, j’ai vu les mots se désincarner : on disait "service public" comme un mantra, parce qu’on avait besoin des voix des militants historiques, mais il n’y avait plus rien derrière, alors on a privatisé. On disait "les forces de progrès"' mais on ne savait pas trop quoi faire progresser. On écoutait Moscovici (mais pourquoi diable écouter Moscovici?) parler de la nécessité de rassembler, de faire barrage au FN, etc. Tu t’es remis au travail (oui, parfois tu empruntes ta rhétorique aux entraîneurs de foot) et tu as fini par pondre des Projets (ne mens pas, je les ai lus) qui ressemblaient à des disserts de Sciences-Po. Des incantations, tout ça, rien qu’on ne t’imagine vraiment faire si d’aventure tu revenais en responsabilité, comme tu dis si joliment désormais. Rien de très éloigné de ceux d’en face, non plus.
Bref !
J’ai déchiré ta carte depuis longtemps, mais comme tous les cinq j’avais le foll espoir que tu allais changer. Au moins un peu. Je suis allé voter aux Primaires, et me suis réinscrit à ta liste de diffusion.
Alors dans ma boîte mail j’ai reçu ces messages, parfois deux par semaine :
- Tous ensemble avec notre candidat
- Nous rassembler pour gagner !
- Un nouvel espoir à gauche
- L’alternance, vite.
Et tu voulais que je les ouvre ? Je te promets que j’aurais préféré d’austères messages techniques. Je ne les aurais peut-être pas plus lus, mais au moins je t’aurais respecté.
Et puis, la semaine dernière, un nouveau mail. Le changement c’est maintenant. Je ne savais pas encore qu’il allait devenir le slogan de la campagne. Pour moi ce n’était qu’un message creux de plus. Dans un grognement j’ai cliqué sur "Se désinscrire". Puis quand même, par acquit de conscience, j’ai ouvert ta newsletter. Après tout, il se pouvait que derrière le vide du titre se cache un peu de réel. Mais non, bien sûr. Tu me proposais de "revivre une semaine de campagne" comme si tu étais Yves Calvi, et de regarder une vidéo "décalée" sur la TVA sociale, faite par des petits communiquants en roue libre rêvant de bosser pour Ardisson.
J’ai confirmé la désinscription. Froidement, cette fois. Tu reviendras vers moi quand tu seras prêt à parler pour dire quelque chose.
J’espère vraiment que ce moment arrivera.
En attendant, pardonne-moi d’avoir été aussi long, si tu veux je me résume :
Tu t’es converti aux sondages parce que tu ne croyais plus en grand’chose. Tu t’es vendu à ceux qui parlent bien parce que tu ne savais plus quoi faire. Peu à peu tu as fini par ne plus écouter qu’eux, à parler comme eux. Es-tu donc devenu aveugle à ce point pour ne pas te rendre compte qu’ils ne disent rien ?
Commentaires
moi j'aime Dany d'amour mais je crois qu'il désepère aussi des partis politiques français :-(
Gauchiste ! Cela dit, bien que la pique soit aigue et bien fendante où sont donc les maires si ce n'est "au plus près du terrain" ? Tu crois qu'ils sont "des élus au coeur des territoires?
Lire ou relire 1984...
Oui, relire 1984 de Mauroy "pourquoi nous avons mis en place la rigueur, mais que nous restons socialistes....
Oui, d'accord, tout cela est bel et bon et maintenant, on fait quoi ? Parce que si l'analyse me semble pertinente, je ne vois pas bien quelle en est la conclusion.
> Columbine : oh que oui...
> Nestor : ... et Candide.
> Castor : je dirais, au coeur des préoccupations quotidiennes des Français, en appelant à un nouveau pacte républicain pour reconstruire une espérance à gauche. Chiche?
> Zoé : la conclusion provisoire, c'est que pour une fois je vais m'asseoir et rester sur le côté. Il sera bien temps en mars-avril de regarder ce que chacun propose (et avec qui il le ferait), et d'aviser en fonction. Je sais, c'est décevant. Si "on" a mieux à proposer, je reste à l'écoute.
Castor : le Mauroy repris de justice condamné pour abus de confiance, le signataire de "Mémoires - Vous mettrez du bleu au ciel", le grand pachyderme de l'ordre national de la légion d'honneur, ou encore le socialiste qui (toujours en 1984) a fait de ses pieds et de ses mains pour imposer une statue du cardinal pétainiste Liénard aux Lillois ? Merci de (ne pas) préciser...
Columbine : le Dany d'amour des petits éléphants ?
Il m’est arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : “Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi vous m’avez choisi, moi, et pas les autres gosses ?” Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même. Alors on m’accusait de “perversion”.
Cohn-Bendit, Le Grand Bazar, 1975.
SF : Ce n'est pas pour me vanter mais je n''ai rien lu du Dr Ralph ; le ferai, merci pour le tuyau !
"Un Télémaque d'un genre nouveau."
Hé-hé !
... Et sinon, Zoé (et les autres), il pourrait y avoir bientôt du nouveau de ce côté :
http://www.nouvellegauche.fr/
T'as voté pour qui aux Primaires, au fait ?
(Moi je reste adhérent encore un petit peu, il me reste quelques illusions à perdre.)
MAx2
(et toi?)
(salue tes illusions pour moi, et garde-z-en précieusement certaines!)
(Ben moi pareil, tu sais !)
C'est que je tiens à ce que le monde sache que nous étions nombreux ! ^
C'est ça la phrase choc choisie alors : "le changement, c'est maintenant"…
Moi je préfère celle que dit ma copine quelquefois aux garçons timides : "c'est maintenant ou maintenant" ;-)
Choc au BN, oui.
(au nom de tous les garçons timides, je salue respectueusement ta copine^)
« Philippe, pourquoi faut-il que tu vives de cette horrible manière ?
– Mais je ne vis pas d’une manière horrible.
– Si. En faisant semblant d’être pauvre alors que tu ne l’es pas, et en habitant dans ce petit appartement de rien du tout, sans prendre de domestiques, et en te baladant de droite et de gauche avec toutes ces espèces de brutes.
– Quelles brutes ?
– Oh ! ces types comme ton poète d’ami. Tous ces types qui écrivent pour ta revue. Ils ne le font que pour te taper. Bien sûr, je sais que tu es socialiste. Moi aussi. Je veux dire que nous sommes tous socialistes, de nos jours. Mais je ne vois pas pourquoi tu dois distribuer tout ton argent et te lier d’amitié avec les classes inférieures !
– Hermione, ma chérie, je t’en prie, ne les appelle pas les classes inférieures !
– Pourquoi pas ? Ce sont bien les classes inférieures, non ?
– C’est une si détestable expression. Appelle-les la classe ouvrière, veux-tu ?
– La classe ouvrière, alors, si tu veux. Mais l’odeur est exactement la même !
– Tu ne devrais pas dire des choses pareilles, protesta-t-il faiblement.
– Sais-tu, Philippe, parfois je crois que tu les aimes, les classes inférieures.
– Bien sûr que je les aime.
– C’est lamentable ! Absolument lamentable ! »
Elle reposa, paisible, consentant à ne pas discuter plus longtemps, ses bras autour de lui, comme une sirène endormie. Il s’exhalait d’elle le parfum de la femme, puissante propagande muette contre tout altruisme et toute justice.
ORWELL, Et vive l’aspidistra !, 1936
"Je veux dire que nous sommes tous socialistes. Mais..."
"La femme, puissante propagande muette...", etc
Il était fort, ce George!
C'est là le moins que l'on puisse dire, Vieux ! Labrosse et moi venons de lire et annoter les deux ouvrages susmentionnés, ainsi que le savoureux Un peu d'air frais. Incontournable(s) !
En lisant l'extrait d'Orwell, je pense aussi au Système Victoria de Reinhardt…
Ou est le chemin ?
C'est ici.
C'est pour quand ?
Chaque jour.
Et comment ?
Comme tu veux, comme tu peux, avec tes armes et tes idées.
> Nestor : "un peu d'air frais", grande idée, je m'en vais chercher ça bientôt
> Ficelle : encore une personne qui me parle de Reinhardt et je m'en vais mettre au défi mes préjugés!
> LOP : le retour de LOP !! C'est ici le chemin, les grands Pierre nous l'avaient dit, mais ici, il y a des guillemets ?
Enjoy !
> ... et Candide.
Très rigolo, Vieux ! longue vie aux bibliothèques publiques ! Maintenant, c'est parce qu'à différentes reprises il y est fait mention de Hollande, et/ou pour l'Optimisme, que tu (m')en recommandes ici la lecture ?
Tiens, d'ici à ce que tu te confesses ^^
Aussitôt on les dépouilla nus comme des singes, et ma mère, nos filles d'honneur aussi, et moi aussi. C'est une chose admirable que la diligence avec laquelle ces messieurs déshabillent le monde. Mais ce qui me surprit davantage, c'est qu'ils nous mirent à tous le doigt dans un endroit où nous autres femmes nous ne nous laissons mettre d'ordinaire que des canules.
(...) et le prix fut adjugé à un savant du Nord, qui démontra par A plus B, moins C, divisé par Z, que le mouton devait être rouge, et mourir de la clavelée.
– Ma foi, monsieur, dit frère Giroflée, je voudrais que tous les théatins fussent au fond de la mer. J'ai été tenté cent fois de mettre le feu au couvent, et d'aller me faire turc.
Ah oui, tiens, j'avais oublié la Hollande! (vive les bibliothèques publiques, oui)
(...) Cela dit, les Corps francs, ces organisations paramilitaires dédiées à la lutte contre le bolchevisme, voient leur existence officialisée par un gouvernement social-démocrate. Mon père dirait qu'il n'y a là rien d'étonnant puisque, d'après lui, les socialistes ont toujours trahi. Pactiser avec l'ennemi serait une seconde nature pour eux. Il a toujours des tas d'exemples. En l'occurrence, c'est bien un socialiste qui écrase la révolution spartakiste et fait liquider Rosa Luxemburg. Par les Corps francs.
L.Binet, HHhH