La première fois que j’ai lu Fanny Salmeron, c’était sur un écran. C’était cette période effervescente de 2005 ou 2006, où l’on prenait plaisir à aller de blog en blog, où l’on découvrait de nouvelles écritures, souvent meilleures que bien des romans, où l’on tentait souvent de deviner l’auteur sous les récits codés, et où parfois, après quelques commentaires puis échanges de mails de moins en moins cryptés, on finissait par se rencontrer pour de vrai.
Bref. A l’époque Fanny Salmeron avait un blog (ne cherchez pas, il est fermé depuis longtemps). Il y était questions d’amours impossibles et de vie de bureau – mais il aurait pu être question de n’importe quoi, l’important n’était pas dans le fond, mais dans la forme.
Fanny Salmeron ne racontait pas, elle évoquait, elle créait des images qui n’appartenaient qu’à elle et qui parlaient à tous, tout en mélancolie et en tendresse, comme de l’amour brut qui aurait trouvé des mots tout neufs, et qui sonnaient juste.
Parfois de sa page montait le son d’une playlist. Des chansons tristes et éthérées qui donnaient le sourire, un peu comme son écriture. Je me souviens notamment de celle-là, vers laquelle je revenais souvent :
Emiliana Torrini - Sunny Road. Voilà, ça c’est elle, avec de la musique pour maquillage.
Bien sûr, à l’époque je ne connaissais pas le nom de Fanny Salmeron, seulement son pseudo (n'insiste pas). Son blog mentionnait aussi d’autres textes qu’elle n’osait montrer à personne, ou presque. Et puis, un jour, j’ai appris qu’un de ces textes serait publié dans la revue Bordel. Je l’avoue, j’ai d’abord eu peur que le charme soit rompu. Passer de la fulgurance de blog à la narration, même sur une nouvelle de cinq pages, beaucoup s’y étaient cassé les dents. Parce qu’écrire bien, voire très bien, et savoir mener une histoire, même très courte, ça n’a rien à voir. J’ai parfois l’impression que certains éditeurs français n’ont toujours pas compris ça – mais pardon, je digresse encore.
Je suis allé écouter Fanny Salmeron lire sa nouvelle dans une soirée qu’organisait l’éditeur de la revue (Stéphane Million) à l’occasion de la sortie. Elle était habillée en robe à pois rouge mais elle avait envie de disparaître, bouffée de trac, sa voix était faible, mais dès les premières phrases on a entendu dans le fond de la pièce des mouches qui volaient admiratives. En dix lignes ou en cinq pages, l’écriture de Fanny Salmeron se diluait à peine.
Il s’est passé quelques années, ensuite, pendant lesquelles Fanny lisait ses textes devant des assemblées parfois clairsemées, toujours touchées – et chaque trimestre elle étincelait au milieu du Bordel.
Puis il y eut le roman, en 2010. Il y a si peu d’endroits confortables, c’était un beau titre, et il lui ressemblait. Là encore, j’ai eu très peur. Elle dont la voix se brisait après cinq minutes de lecture, tiendrait-elle la distance sur 200 pages ? Et là encore, j’ai été surpris : la voix était là, dès le début, et elle tenait, avec cette histoire de deux cœurs perdus qui ne ressemblait à aucune histoire d’amour connue. Elle y peignait Paris en nuances de gris et ajoutait à chaque page de petites touches de couleur – comme Hannah, sa narratrice, qui grave la phrase-titre sur tous les bancs publics - « J’écris ‘Il y a si peu d’endroits confortables’ dans son cou et Paris me répond. »
Il y a eu un autre roman, l’année suivante (Le travail des nuages), où il était question, entre autres, de faire l’amour tendrement, sans s’y perdre et surtout sans s’y chercher.
Et maintenant Les étourneaux, et ses trois personnages qui partent à la campagne fuir une série d’attentat à Paris, chacun avec son passé, ses casseroles et ses rêves. On retrouve ses thèmes fétiches : l’enfance, l’innocence, les triangles amoureux, et cette pluie qu’elle fait ressembler à un printemps. Et elle ne parvient toujours pas à me décevoir.
Mais je ne trouve pas les mots qu’il faudrait pour vous parler de Fanny Salmeron. Je pourrais prendre ses mots à elle mais là non plus ce ne serait pas juste. Tirés de leur contexte, ses images pourraient ressembler à des formules. Elles n’en sont pas. La grâce ne se montre pas en échantillon, il faut entrer dans le flacon, avec ou sans ivresse.
Je ne peux que vous recommander d’aller voir par vous-mêmes.
Certains peut-être n’y seront pas sensibles - j’en connais, je les plains.
D’autres, plus nombreux, tomberont amoureux.
Je vous le souhaite.