C'est l'histoire d'une ville qui, en mille ans d'histoire, s'est toujours retrouvée sur une frontière.
Pendant les premiers siècles, c'était plutôt une bonne chose : au confluent du Bug et de la Mukhavets, Brest était un carrefour d'échange sur la route commerciale qui menait de la Scandinavie à la Baltique. Ensuite, évidemment, la situation géographique et la prospérité ont attiré les convoitises. La ville a été ravagée par les Mongols, par les Chevaliers teutoniques et les Tatars, elle a été successivement lituanienne, polonaise, russe - jamais le même maître mais toujours à la frontière, toujours la première ou la dernière à y passer en cas de guerre, toujours reconstruite mais jamais pour longtemps.
Au XIXe siècle, la ville se retrouve à la limite ouest de l'Empire russe. Les stratèges du tsar trouvent l'endroit idéal pour bâtir une forteresse. Alors on détruit la ville et on la reconstruit un kilomètre plus loin, la sécurité de l'Empire est à ce prix.
Le siècle est assez stable pour Brest, qui prospère quand, au début de 1915, s'avance l'armée allemande. Ils sont plus nombreux, ils sont plus forts, ils ont l'air peu commodes : les généraux russes décident d'abandonner la forteresse et de se replier sur Minsk. Les Brestois peuvent souffler... Mais les généraux russes, malins, se souviennent de cette tactique de la terre brûlée qui avait si bien marché contre Napoléon. Alors ils rasent Brest. Ils laissent quand même debout la forteresse : c'est ici que Lénine viendra signer l'armistice avec l'Allemagne en février 1918 (la fameuse Brest-Litovsk des manuels d'Histoire).
Après la guerre, la frontière bouge de quelques kilomètres et Brest revient en Pologne. Pas de chance : en 1939, Staline attaque et se partage la Pologne avec l'Allemagne. Et où se trouve la frontière provisoire entre le Reich et l'URSS ? Sur le Bug, bien sûr. Autant dire qu'en 1941, quand Hitler rompt son pacte avec Staline, c'est par Brest qu'il commence, et pas en douceur.
Sauf que cette fois, la forteresse résiste ! Pendant près d'un mois, nous apprend l'Histoire officielle, les combattants freinent l'armée allemande, malgré la faim, la soif et le manque de balles. Cette lutte héroïque vaudra à Brest d'être sacrée ville-héros par Staline.
(bon, en fait, quand on lit entre les lignes au musée de la forteresse, on comprend que la Résistance n'a duré qu'une petite semaine. A l'issue de laquelle les Allemands étaient déjà à Minsk, 300 kilomètres à l'est. Mais les Grandes Guerres Patriotiques ont besoin de lieux de mémoire (la Biélorussie n'en manque pas))
Aujourd'hui encore, la ville est visitée par quelques touristes russes qui viennent saluer la forteresse, sa porte étoilée et sa statue du Courage. Des enfants de cinq ans s'y font prendre en photo par leur papa debout sur un char, et sur un stand de tir près de la boutique de souvenirs on peut se faire tirer le portrait dans un uniforme de l'Armée Rouge.
Plus de 500 mètres pour atteindre l'entrée de la forteresse, sur fond de musique militaire et de sons d'époque. Il n'y a pas à dire, les soviétiques savaient y faire pour célébrer la Grande Guerre Patriotique.
... Ah oui, j'allais oublier. La ville, elle, a été rasée par les Allemands en 41, reconstruite en 1945. Aujourd'hui le Bug marque la frontière entre la Biélorussie et l'Union européenne, grande zone de trafics en tous genres.
A l'ombre de sa forteresse, la ville s'est développée tranquillement. Elle a sa place Lénine, son marché, son stade, sa patinoire. L'église orthodoxe et la catholique se font cordialement face, la rue Gogol allume chaque soir ses lampadaires qui figurent chacun des romans de l'auteur.
Brest compte aujourd'hui plus de 300 000 habitants. Les Historiens la datent de 1019, mais au croisement des rues Sovietskaia et Gogol, la ville a déjà inauguré sa statue du millénaire.
On n'est jamais trop prudent.