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Le Pont sur la Drina

514pMJUSKML._SY344_BO1,204,203,200_.jpg… Et donc, voici quelques semaines, en l'an un avant CH, j'avais rouvert Le Pont sur la Drina.
Je m'étais étonné de ne me souvenir de rien, dix ans après l'avoir entamé une première fois. J'avais voulu me rassurer en me disant que l'essentiel des livres finit toujours par pénétrer le cerveau, que c'était cette somme un peu nébuleuse des livres qu'on lit qui fait non pas la culture (celle qu'on étale), mais la sagesse. Trois cents pages et un point final plus loin, j'espère bien que cette intuition est juste. Parce que quand même, quel livre.

Le Pont sur la Drina, c'est la chronique de la petite ville de Visegrad, à la frontière entre Bosnie et Serbie. Une ville où en 1506 les Ottomans construisirent un pont pour faciliter le passage entre les deux parties de leur Empire qui s'étendait jusqu'en Hongrie. Une chronique sans héros sinon le pont lui-même, écrite en tableaux successifs et pourtant tout en continuité, sans le moindre bout de ficelle qui dépasse (tu écris ? viens ici prendre une leçon, petit). Parce que ce qui compte pour Andric, ce n'est pas la mécanique romanesque, mais la mécanique humaine. Andric se moque des héros. Il s'intéresse à cette majorité, silencieuse ou braillarde, qui ne demande qu'à vivre tranquillement, à jouer, à aimer ou à s'enrichir en paix, mais que toujours un maître vient soumettre au nom de la grandeur d'un empereur ou de la machinerie d'une administration. Et donc, autour du pont, c'est une histoire de révoltes, de frontières que l'on dresse et que l'on défait, de Turcs puis d'Autrichiens puis de miliciens serbes.
Le Pont sur la Drina, c'est l'homme tel qu'il est dans le flot de l'Histoire – celui qui résiste et s'adapte aux changements de régimes, aux progrès techniques, aux données politiques, celui qui change et reste le même. Le roman d'un grand sage, avec l'immense sagesse de savoir que les hommes sont déraisonnables – mais pas toujours.

Bref ! Brisons-là. Je ne me leurre pas, j'imagine bien que personne ne se précipitera en librairie pour acheter ce livre (6,60€ en poche). Mais toi qui lis ces lignes, un jour, je te le dis, tu tomberas sur ce livre – peut-être quand sortira le film de Kusturica, tiens (hum). Ce jour là tu auras oublié qui t'en avait parlé et ce qu'on t'en avait dit, mais sans trop savoir pourquoi cette fois tu l'ouvriras. Et ce jour-là, je te le promets, le monde ira un tout petit peu mieux.
Hop.

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"… Et le lendemain, au lever du jour, musulmans et Serbes vaquaient à leurs affaires, offraient les uns aux autres des visages éteints et inexpressifs, se saluaient et discutaient en échangeant la centaine de mots, indispensables à la politesse de rigueur, qui circulaient depuis toujours dans la ville, passant de l'un à l'autre comme de la fausse monnaie, rendant malgré tout les échanges possibles et plus faciles."

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"L'année 1908 arriva et avec elle une grande inquiétude, une menace sournoise qui ne cessa plus désormais de peser sur la ville. En réalité, cela avait commencé bien plus tôt, avec la construction du chemin de fer et les premières années du siècle nouveau. En même temps que les prix montaient et que le papier-monnaie, les dividendes et l'argent faisaient des bonds ou s'écroulaient dans une ronde infernale et incompréhensibles (...) on s'était mis à parler de politique."

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"Les plus vieux regrettaient le "doux silence" qui était considéré, à l'époque turque, comme le but ultime à atteindre (…) et qui régnait encore dans les premières décennies de l'occupation autrichienne. Mais ils étaient peu nombreux. Tous les autres aspiraient à une vie bruyante, excitante et agitée. Ils voulaient une vie intense ou du oins l'écho de celle que d'autres menaient, en tout cas la diversité, le vacarme et la fièvre qui donnaient l'illusion d'une vie intense. Et cela changeait non seulement l'état des esprits, mais aussi l'aspect extérieur de la ville."

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