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La 7e fonction du langage

binet, ellis, barthes, salutAllez, n'en faisons pas des tonnes. Je me connais : j'aimerais écrire une note parfaite, et puis je diffère, je diffère... Et puis, souvent, rien. Donc, avanti, petit, tu n'iras pas te coucher avant d'avoir fini.

Je n'aurai pas besoin d'en faire des tonnes pour vous enjoindre à lire Laurent Binet, de toute façon, parce que d'autres l'ont déjà fait.
Ici ou là, si j'en crois la presse que je ne lis pas, vous avez sûrement lu que ce roman est excellent, ou génial, ou désopilant, eh bien...
Eh bien, c'est vrai.

L'intrigue uchronique est simple (Roland Barthes n'a pas été renversé par accident par cette camionnette rue des Ecoles, il a été assassiné – mais qui donc pouvait bien vouloir sa mort?)
Le défi, c'était de faire revivre l'année 1980, ses acteurs et son bouillonnement politique et intellectuel, le tout sans se perdre dans du trop-plein ou du documentaire. Et ça marche : dans le bureau de Giscard, dans la cuisine de Sollers et Kristeva, au Collège de France ou à la fac de Vincennes, on y est – à la fois en vrai (ah, ce dîner vu par la femme d'Althusser!), et pour rire.

L'autre idée toute simple et géniale (ça va souvent ensemble), c'est de faire mener l'enquête par un flic un peu bourrin, un giscardien des RG qui ne connaît rien à la sémiologie ni au petit milieu du Quartier latin, avec lequel le lecteur découvre Michel Foucault ou Umberto Eco sans avoir besoin d'avoir fait une thèse de linguistique... Et de lui coller en binôme un jeune maître de conf' (salut à toi, double de l'auteur) qui, lui, ne connaît rien à la police mais profitera pleinement de l'enquête pour s'offrir sa dose de romanesque.

Parce que c'est ça, je crois, la plus grande force de cette immense farce : de l'intelligence det de la recherche au service d'un romanesque pur, l'auteur qui y va à fond et le lecteur qui se dit : "Noooon", et qui rit autant des surprises que des scènes attendues, autant du grotesque (il y en a) que de cette petite référence glissée l'air de rien au coin d'une phrase (il y en a encore plus).

Et l'histoire voyage, et l'intrigue rebondit, et le texte joue du clin d'oeil aussi bien que de la grosse caisse, en mettant en scène aussi bien Derrida sur son campus que le jeune Fabius aiguisant ses canines dans l'équipe de campagne de Mitterrand, le tout avec une joie de garnement communicative.

[ici, normalement, si j'étais dans une démonstration, je devrais te donner des exemples. je t'avoue que j'ai un peu la flemme – crois-moi donc sur parole]

On se demandait ici, l'autre jour, ce qu'il restait des livres qu'on lit.
On pourrait croire (pauvres de nous) que ce qui est drôle ne dure pas. Que la farce imprime moins que le drame, que le rire glisse.
Erreur !
D'abord parce qu'il n'y a pas que le rire - évidemment.
Ensuite parce que oui, le plaisir peut laisser une trace quand il n'est pas que mécanique. Je m'en souviendrai, moi, de ces moments où je me suis échappé de certaines obligations pour retrouver mon livre. Parce qu'il y a bien plus que le rire, évidemment. L'irrésistible duo de comiques Sollers/BHL, les joutes oratoires racontées en mode épique, les clins d'oeil rétro-futuristes, le petit suspense de l'intrigue (même si, comme dans tout bon polar, on se fout un peu de l'identité de l'assassin)...

... Et puis cette façon de raconter les scènes à multiples personnages, en variant les points de vue d'une ligne à l'autre, c'est du grand art.
Je sais que Binet est admirateur de Bret Easton Ellis : c'est bien la première fois que je lis un auteur qui réussit à prendre le meilleur d'Ellis sans pour autant l'imiter. Je peux vous dire que ça, ça me restera. Ça, et la liberté de narration, qui respecte tous les codes du romanesque et n'oublie pas de s'amuser avec. J'ai pris des notes, des vraies, pour ce roman à venir qui à force de pousser va bien finir par sortir de terre un jour. S'il est réussi, il le devra un peu à cette Septième Fonction du langage.
On en reparlera.
En attendant, vous aurez lu ce livre, et vous m'aurez dit merci.
De rien.

Commentaires

  • Dis donc, chenapan, tu sais toujours autant nous donner envie ! Bravo pour cette note, camarade. Et puis je dois avouer que mon petit dernier doit un peu à HHhH, donc je te comprends sOOoO much.

  • Vous m'avez tous convaincue sur FB... du coup, il va falloir que je me le prenne!

  • > r1 : Libérons la narration, multiplions les points de vue, gardons le sourire dans l'intelligence! à suivre...

    > Karine : ... et hop.

  • Je sais que je lirai celui-ci, bien que j'ai toujours HHH non encore lu, sur une étagère

  • Les deux sont tellement différents. (et HHhH se lit très bien après avoir passé deux ans sur une étagère^)

  • Je l'ai acheté et il m'attend !!

  • Bonne attente... et bonne lecture!

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