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Les Tifs, Charles S. Wright

 Où l'on décide qu'on continuera à bloguer quand ça vaudra vraiment le coup.
Et où l'on s'abstiendra (non sans fierté) de tout jeu de mots sur le titre de ce livre.
Hop.

Les Tifs, Charles Wright, Tripode, Recoursé, Scot-Heron"J'étais aux abois. Tous les trois mois, mon ventre pas plus épais que du papier à cigarette se remettait à grouiller. Pendant ces jours de jeûne, j'étais d'une humeur de dogue. J'avais du mal à garder le sourire ; tout le monde semblait foncer en première classe vers les horizons de la Grande Société, et moi, je restais sur la touche (…)"
Charles Stevenson Wright, Les Tifs, p. 1 (trad. Charles Recoursé)

Tous les éditeurs te le diront : publier un livre, c'est une aventure. C'est vrai. Mais il y a l'équipée du 'coup éditorial' (tiens, si on misait sur ça?), et l'aventure un peu folle dans laquelle on se lance par amour.
Et quand on aime, on ne compte pas. Ou alors, différemment.
Parce que s'ils comptaient, les éditions du Tripode (entre autres aventures encore plus folles) n'auraient sans doute pas publié Charles Stevenson Wright. Encore moins en ajoutant au texte des illustrations contemporaines (de Félix Godefroy, franchement réussies).
Mettons-nous à leur place : pourquoi donc publier un texte écrit dans les années 60 par un métis new-yorkais à peu près inconnu, sorte d'autofiction avant la lettre sur fond de luttes raciales ?
La réponse est dans le livre : parce que c'est bon ; parce qu'on n'avait pas encore jamais vraiment lu de texte comme ça. Autant de raisons qui ne garantissent pas le succès - Les Tifs, d'ailleurs, n'en eurent aucun à leur sortie, en 1966 - mais qui, parfois, font des miracles. Bref.

Le livre en deux mots ? Lester, le narrateur, découvre un produit miracle pour lisser ses cheveux crépus. Avec Les Tifs, tout semble possible : sortir de sa condition de Noir, s'inventer des origines, choper la fille de ses rêves couleur caramel ("une fille extra à la peau fauve, qui jouait avec ses gants blancs et détournait ses yeux injectés de jaune et de rouge comme des œufs au bacon"), des comptes en banque et des chaussures classe - tout, quoi.

les tifs tripode wright recoursé godefroySûr de son nouveau pouvoir, Lester sort de son taudis de Harlem et se mesure au monde extérieur. On y croise des travestis et des prostituées plus ou moins flamboyantes, de l'herbe (pas celle de Central Park) et du mauvais vin, un chauffeur de taxi effrayé à l'idée d'avoir deux nègres sur sa banquette arrière, une gloire déchue du cinéma et mille autres silhouettes croquées en une page. On y passe une audition pour faire un disque après s'être pointé au flan au siège de la maison de disques, on y gagne une bataille épique contre des rats chez une voisine, on y fuit les poulets pour finir par trouver un boulot qui...

Mais je ne t'en dis pas plus, je te laisse découvrir, et tu verras, au bout des 200 pages, tu pourras dire que toi aussi, un jour tu as été Noir à New-York dans les années 60, et que désormais tu as dans ta bibliothèque un livre qui compte.

Bonus pour ceux qui suivent

Il y a deux ans, toujours grâce au Tripode, j'avais découvert Le Messager, le premier roman de Wright.
Il y avait là quelque chose de neuf – une façon éthérée de parler des bas-fonds, peut-être, et le rythme du récit, entêtant comme un vieux blues.

Les Tifs reste dans le blues, mais côté balade, se mêlant à d'autres styles à mesure que Lester parcourt les rues de Manhattan. En l'écoutant, j'avais en tête le Blinded by the light du jeune Bruce S. (Mama always told me not to look into the sight of the sun / Oh but Mama that's where the fun is) – et plus encore The revolution will not be televised de Gil Scott-Heron, pour la radicalité du texte et la douceur du beat. Le titre date de 1970, quatre ans après Les Tifs mais en lisant, tu comprendras, Wright était clairement en avance.

De rien.

 

Commentaires

  • "Avec ses deux mètres, ses cent-vingt kilos et sa peau d'Irlandais de mauvais ton, mon père avait appris à lire et écrire remarquablement bien à l'âge de trente-six ans. Il est mort pendant qu'il m'écrivait la lettre Z. J'avais dix ans, et je ne pouvais offrir qu'un maigre réconfort à ma mère. Je me souviens qu'elle voyait tout en noir, même le pain (…) On se pelotonnait dans notre studio miteux comme des prisonniers planqués dans une ferme abandonnée. Ma mère me faisait la lecture à la lumière de la bougie. Je me suis juré d'apprendre à lire et à écrire, pour devenir humain par respect pour mon père. Les Tifs, ce n'était pas juste pour le plaisir. Leurs racines plongeaient dans quelque chose de plus profond, dans la douleur de l'hiver de mes dix ans."

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