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  • La ville gagne toujours

    omar robert hamilton, sarah gurcel, la ville gagne toujours, gallimard2011. Au Caire, "la rue" a renversé Moubarak depuis plusieurs mois, mais l’armée a pris sa place et des révolutionnaires en veulent plus. Qui exactement ? Quoi ? On ne le saura jamais vraiment. Et c’est encore plus fort.
    Mariam, Khalil et leurs amis manifestent pour la libération de camarades emprisonnés, ils diffusent des podcasts pour informer l’Egypte et le monde sur des violences policières et des mensonges d’État, ils prennent soin des blessés dans des hôpitaux "sûrs", ils montent des collectifs pour veiller à la sécurité des femmes place Tahrir et ailleurs, espèrent souvent, désespèrent parfois, tentent de mener une vie normale aussi, un peu.
    Ils sont des fourmis de la révolution dans la très très grande ville, des pions actifs et héroïques dans le jeu de l’armée et des Frères musulmans qu’ils combattent pareillement.

    Et c’est la grande force du roman : Omar Robert Hamilton n’a pas choisi de faire de ses personnages des héros de la révolution qui a chassé Moubarak, il chronique à leurs côtés les mois d’après, ceux des élections (manipulées ou pas ? ils ne savent pas, nous ne saurons pas), des manifs monstres contre Morsi, mais aussi ceux des déceptions, des défections, et du général Al Sissi qui s’installe au pouvoir.

    Le roman d’une révolution manquée qui pourrait être celui de tant d’autres, ailleurs dans le monde. Le roman d’une révolution qui invente ses codes et ses moyens d’action - son vocabulaire, aussi, loin des militants de chez nous, de leurs « luttes » et de leur convergence qui sonnent toujours à mes oreilles (suis-je le seul ?) comme l’expression d’un combat perdu d’avance, d’un combat qu’on n’aurait pas tant que ça envie de gagner.

    Mais je m’égare.

    La ville gagne toujours, grand roman d’une révolution tout court, à hauteur de rue et avec entre les lignes une intelligence folle. Et pas seulement entre les lignes. La preuve :


    « Peu importe ce qui se passe aujourd’hui : [les Frères Musulmans] ont un plan.
    - Donc on marche droit dans un piège, dit-il.
    - C’est trop tard pour y faire quoi que ce soit.
    - Tout le monde a un plan, sauf nous.
    - On n’a jamais de plan.
    - Ouais. Notre grande force.
    - Oui, c’est une force. »
    Il ne répond pas.
    « Tu préférerais quoi ? Préparer d’autres élections supervisées par l’armée ?
    - Non, ça me va très bien de passer ma vie à manifester contre tous les gouvernements de merde qui se succéderont parce que je suis trop pur pour m’essayer à gouverner.
    - Si ce que tu veux, c’est jouer à la politique, va donc te choisir un parti.
    - Ce que je veux, c’est savoir pour quoi je risque ma vie. Quel est le plan, le projet. Depuis quand c’est une question absurde ?
    - Mourir pour le plan, ça s’appelle être dans l’armée. Mourir pour quelque chose de neuf, c’est faire la révolution.
    - J’ai l’impression d’entendre parler une folle.
    - Eh bien reste ici, personne ne t’oblige à venir.
    - Je ne vais pas rester ici et vous regarder vous faire tuer à la télé. »

    Omar Robert Hamilton, La ville gagne toujours - Gallimard (trad : Sarah Gurcel), p. 211

     

    PS - à propos de distance, en écrivant cette note je repense à une des toutes premières chroniques de roman publiée ici. Le monde à hauteur de petite fille, disais-je à propos du Manège(s), de Laura Alcoba. C’était en 2007, mince. 11 ans, déjà. Et du coup, à la faveur d’un message récemment reçu, gonflé de rosé et d’encouragements (merci S.), revient l’idée de publier certaines de ces notes en recueil. Pas seulement sur les livres - peut-être pas du tout, d’ailleurs.
    « Blog, 2005 - 2020 », ça aurait de la gueule, comme titre, non ?
    Le premier qui prend cette balle au bond aura ma reconnaissance éternelle (en plus de fortune, voyages, amour et gloire, bien sûr)

  • Des Fleurs dans le vent, Sonia Ristić

    fleurs, vent, ristic, intervallesIl y a de grandes fresques que des auteurs étirent en plusieurs volumes. C’est un vrai savoir-faire, un secret d’auteur à succès.
    Et puis, parfois, un auteur réussit à condenser une fresque sur 200 pages, et c’est la grâce.

    Il y avait La Condition pavillonnaire, de Sophie Divry, par exemple. C’était en 2014. Et maintenant, Des fleurs dans le vent, de Sonia Ristic.

    Ce n’est pas le premier roman que je lis d’elle. Il y a quelques mois, j’ai retrouvé le brouillon d’une note que je n’ai finalement jamais publiée ici sur son premier roman, La belle affaire (quelle couverture, quand même). C’était à l’automne 2015, et j’y regrettais que son livre ne puisse figurer parmi les finalistes du Prix de la page 111. (alristic, la belle affaireors que S. Divry, l’année précédente, y avait figuré en bonne place). Il y avait pourtant une écriture assurément singulière, éthérée, profonde et légère à la fois… Une seule page ne lui rendait pas justice, dommage.

    Trois ans plus tard, on retrouve cette écriture dans son deuxième roman chez Intervalles.
    L’histoire ? Elle tient en trois personnages. Summer, JC et Douma, amis d’enfance dans les années 70 et qui vont grandir ensemble jusqu’aux années 2000 où deux d’entre eux (c’est la 1e scène) attendent la sortie de prison du troisième. Vingt ans d’une amitié indéfectible, avec la fin du siècle en toile de fond : l’élection de Mitterrand, le sida, la chute du mur et les cartes scolaires qui vacillent, la guerre en Irak et les 2be3, Zyed et Bouna en 2005… Et les trois enfants de la Goutte d’Or qui cherchent leur voie dans tout ça, se perdent et se retrouvent, sans jamais rien trop souligner. Une grande fresque par petites touches, si l’on veut. 200 pages qui vaudraient bien trois tomes ailleurs.
    Bravo.