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  • Les leçons du vertige (destins possibles d'un roman de septembre)

    290.04739336493_450_240.jpgJe n’ai jamais parlé ici de mes deux expériences de Rentrée littéraire.
    Il n’y a pas forcément grand chose à en dire, d’ailleurs.
    La première fois, je ne m’attendais à rien de spécial et il ne s’est rien passé du tout (ou presque). Je me suis dit : ça, c’est fait.
    La deuxième fois, j’attendais beaucoup et il ne s’est rien passé (ou presque), je me suis dit : plus jamais.

    Et dire que c’est le lot de 90 % des livres qui sortent chaque année en septembre…
    Voilà pourquoi on a toujours envie de souffler très fort pour pousser les romans qui ne semblent pas taillés pour la Rentrée.
    C’était le cas de Marie Charrel l’autre jour. C’est le cas de cet autre roman que je viens de finir - Les leçons du vertige, de Jean-Pierre Montal.

    Il faut imaginer l’éditeur en réunion de représentants (cette sorte de grand jury 3 mois avant la sortie où se joue en grande partie, devant des commerciaux fatigués, le sort d’un livre en librairie), il faut imaginer l’éditeur, donc, sommé de pitcher le roman en quelques phrases :

    Eh bien, c’est l’histoire de Pierre Varlin, la quarantaine, qui promet à son père vieillissant d11e retrouver sa tante pour recoller de vieux pots cassés. C’est aussi, en flashback, l’adolescence de Pierre à St Etienne, et son apprentissage du grand monde avec son oncle, fascinant noctambule. Le roman oscille entre les deux époques en s’offrant des détours par le Forez, Paris XVIe et l’engagement politique radical du frère de Pierre… Mais surtout, l’écriture, l’écriture… !

    Je fais confiance à l’éditeur pour s’en être sorti mieux que ça. Mais globalement, si vous n’êtes pas Gallimard, Grasset ou Minuit, si votre nom n’est pas déjà connu, vous avez peu de chances d’accrocher la meute si votre histoire ne se résume pas en deux phrases choc.
    Et pourtant, il faut le dire : ce roman est bon. Très bon. Si bon qu’on aimerait le mettre entre toutes les mains - les vôtres, tenez.

    Mais pour ça, que dire ?

    Qu’il y a du Claude Sautet dans ce livre, par exemple - un Sautet version 2017, à la fois intemporel et actuel, à la fois intense dans l’intime et diablement juste dans sa dimension sociale.
    Que c’est, au fond, un grand roman de l’engagement, si on est client de romans de quelque chose.
    Que c’est aussi un roman d’apprentissage - dans les boîtes de Saint-Etienne en 1985 ou à Paris en 2017, parce qu’on apprend à tout âge.

    Qu’on y trouve aussi des petits bars de province, des vieux amis, des trahisons, l’art de mener une foule depuis les platines d’une cabine de DJ, un nègre qui enquête après son point final, des activistes politiques - et un climax d’une quinzaine de pages où toutes les histoires se rejoignent avec une finesse parfaite.

    Bref.

    Ce roman pourrait être chez Gallimard (entre nous, l'auteur en remontrait à pas mal d'auteurs de la Blanche) et on en parlerait, de ce père, de ces fils et de ce groupe radical qui proclame : "l’homme est de retour" ; on s’offrirait même peut-être une polémique : Montal est-il un visionnaire ou un "regretteur d’hier", comme l'écrit LivresHebdo ?

    Ce roman pourrait aussi être américain, il ferait 500 pages et non 300 parce que l’auteur prendrait ses aises et on se pâmerait devant cette façon exceptionnelle d’entremêler les histoires, la famille et la politique, aujourd’hui, hier et demain, et cette vision sans fard d’un Pittsburgh dévasté par la crise.

    Mais non. Jean-Pierre Montal est français, Les leçons du vertige se passe à Saint-Etienne et non à Pittsburgh, l’écriture est dense et et son éditeur n’a pas l’oreille de François Busnel (enfin, je crois).

    Allez, j’arrête là. D’autres l’ont déjà salué, tout de même, et tant mieux. A vous, maintenant. Vous me direz.

     

    Jean-Pierre Montal, Les leçons du vertige, éd. Pierre-Guillaume de Roux

  • Julien Blanc-Gras, Dans le désert

    Mon rêve même pas secret, c'est d'un jour parler à une éditrice (ou un éditeur, hein) de la Biélorussie, de la Macédoine ou du Turkménistan et qu'elle/il me dise : « Ah mais oui, va donc voir comment on vit là-bas et fais-nous un livre ! »

    Bien sûr, je serais dépendant de ce que je trouverais sur place. Pendant longtemps, cette pensée m'a bloqué. Mais maintenant je sais que ce n'est rien. Ce qui compte n'est pas de trouver, c'est de chercher.

    blanc-gras, dans le désert, qatar, petit salaudPrenez Julien Blanc-Gras. Il part au Qatar pour y trouver "l'homme de la rue" au-delà des clichés. Problème : l'homme de la rue est rarement qatari à Doha, le Qatari moyen n'existe pas vraiment, et il est fuyant... Comment dès lors faire un roman de 200 pages – et un bon roman, si possible ?

    Voilà une douzaine de pages que je suis au Qatar et je n'ai toujours pas adressé la parole à un Qatari. Ah si, peut-être au douanier de l'aéroport. Quoique, à la réflexion, non, nous ne nous sommes pas parlé.

    Eh bien oui, c'est possible. Il faut le talent insolent de l'auteur pour parler avec légèreté de sujets qui le sont moins, son regard pour trouver le sel dans une conversation peu épicée avec trois types au coin d'une rue, son inconscience pour s'aventurer dans un raid en 4x4 avec des inconnus, sa sympathie opiniâtre pour finalement trouver... je ne dévoilerai rien, mais on finit toujours par trouver quelque chose.

    Un jour, mon rêve même pas secret se réalisera, je le sais. En attendant, les jours de septembre froid, pour me réchauffer, je lis Julien Blanc-Gras. Et vous ?

  • Ta Rentrée en slip

    lamour-est-une-maladie-ordinaire.jpgArrivé à l’apogée de son amour avec Marie, le narrateur décide de se faire passer pour mort afin que leur amour reste éternellement pur.
    Evidemment, quelques chapitres plus loin, il rencontre quelqu’un d’autre…
    Il y a plein de choses dans ce roman : un cimetière, des bars, une agence immobilière, de l’amour, encore de l’amour, de l’humour, des sdf, un brin de fantastique, et surtout, surtout : de la fantaisie.
    L’Amour est une maladie ordinaire, c’est un peu comme les bons Woody Allen : quelques ingrédients qui s’emboîtent à la perfection, un zeste de surprise pour relancer le rythme quand il le faut, et le plaisir d’une intelligence avec le sourire en coin.
    Osez le slip, et portez-vous bien.

    François Szabowski, L'Amour est une maladie ordinaire, Le Tripode

  • Marie Charrel, la ligne claire

    charrel yo laur.jpgC'est une arrière-grand-tante dans une famille qui tait ses secrets. Une femme peintre née en 1879, épouse d'un as de la Grande guerre, amie de Nungesser, morte sans descendance à Ravensbrück sans que personne ne sache vraiment pourquoi elle a été déportée.
    De cette arrière-grand tante, Marie Charrel ne connaît que quelques tableaux – les mignons petits chats avec lesquels elle s'est fait une petite réputation au début du XXe siècle, puis des portraits de femmes algériennes, plus sombres et lumineux à la fois – et les silences des neveux. Alors elle part en quête de ce qui pourrait rester de cette fameuse "Yo Laur", entre les lacunes des archives et l'Alzheimer des derniers témoins nonagénaires.

    Partant de là, le roman est double.
    Une enquête d'abord, entre les lacunes des Archives et l'Alzheimer des derniers témoins nonagénaires. L'auteure voyage dans le passé, à Alger, à Ravensbrück, elle découvre des trésors oubliés dans des coffres oubliés de maisons familiales où se cachent aussi de vieux fantômes, et on suit ça avec elle comme un jeu de piste.
    Une fiction, aussi. Entre deux recherches, l'auteure insère comme des extraits d'une autobiographie imaginaire, tout en ellipses et en sensibilité pour tenter d'approcher le plus fidèlement possible ce qu'aura été la vie de Yo Laur, des lolcats Belle-Epoque aux dessins de charbon qu'on fait sortir clandestinement du camp de concentration.
    ... Et tout ça, sans jamais tomber dans le piège classique qui consisterait à faire à tout prix de son sujet une héroïne, ou un talent fabuleux à côté duquel le monde serait passé, bla bla bla.
    Et c'est encore plus fort comme ça.

    Yo Laur n'est pas une grande peintre. Sa technique frôle la perfection mais elle n'appartient pas à l'avant-garde. Ses tableaux n'ont pas la force de Delacroix ou de Fromentin. Ils ne délivrent pas de message. Ils offrent un regard sur le monde. Ils ne bouleversent pas l'ordre établi : ils témoignent.
    Yo Laur n'est pas une grande peintre. C'est une femme libre. Une audacieuse (...).

    Avec ce livre entre les mains, j'avais l'impression étrange de tenir un objet fragile au milieu d'une rentrée littéraire de bulldozers.
    Le roman d'une tenante de la ligne claire dans une époque qui, quoi qu'elle en dise, préfère l'esbroufe. Un roman qui ne se paie pas de mots, qui creuse son sillon en cherchant la vérité et non l'effet, qui va en profondeur sans le souligner, un roman parfaitement construit sans jamais dire "Regardez comme je suis complexe", un livre à multiples niveaux où réel et fiction se répondent sans s'alourdir de ce métatexte qui fait saliver les critiques.

    On prend tellement pour léger ce qui se lit facilement. C'est pourtant ça, le talent de l'élégance : donner une forme simple à ce qui est profond, parvenir à contenir son sujet alors qu'on sent qu'il déborde, ménager les silences et laisser la place au lecteur.

    Je suis ici pour vaincre la nuit est un objet fragile, disais-je, au milieu d'une Rentrée de bulldozers. Je genre de livre qui donne envie de se battre comme on protège un plus petit que soi (alors qu'il n'a de petit que l'apparence), un roman qui mérite qu'on le prenne par la main – je vous promets qu'il le rend bien.

     

    Message personnel
    C'est aussi ça les livres qui comptent : ceux qui vous renvoient à vous-même sans le faire exprès. Tout au long de ma lecture, une petite voix ferme et bienveillante ne cessait de me dire qu'il serait peut-être temps d'arrêter de peindre des petits chats pour courir le monde et trouver mon sujet comme Marie Charrel, à l'évidence, vient de le trouver. Il est sans doute là, quelque part, en tout cas pas sur un écran d'ordinateur. Restera ensuite à trouver la bonne distance, et un peu de courage.

    On n'en est peut-être pas si loin.