Alfred Wallace : explorateur et naturaliste, vous connaissez ? Moi non plus. Contemporain de Darwin, il a parcouru le monde pour étudier l’origine des espèces, il en a retenu les mêmes conclusions que Darwin sur la sélection naturelle mais l’histoire n’a retenu que le nom de son cadet - sorry mate, il n’y a pas de place pour nous deux dans ce manuel...
Il a existé, vraiment - au XIXe siècle il était même assez célèbre… Mais La ligne Wallace n’est pas un roman sur Wallace, ou très peu.
Amos, jeune chercheur français, s’est expatrié au nord de l’Angleterre, au sein de l’obscure et farfelue Fondation Wallaciana pour la biodiversité, pour écrire une biographie romancée du grand homme. Il n’arrive pas à écrire, observe son environnement en naturaliste sans trouver goût à grand-chose, saute allègrement les repas et occasionnellement Elizabeth, l’énigmatique épouse de son patron.
- Et, heu… C’est tout ?
Oui, ou presque.
Mais chez Agnès Mathieu-Daudé, ce n’est pas le pitch ou les rebondissements qu’on attend, c’est la façon de l’écrire, le goût du détail et de l’absurde, l’humour à froid et le détachement impitoyable dans l’analyse du milieu - la petite société de Durham et cette Fondation Wallaciana, son patron mégalomane et ses philanthropes acquis au greenwashing.
J’ai pensé en lisant à Julia Deck, à Caroline Lunoir, à Maria Pourchet aussi. Il y aurait presque là un courant, si le mot existait encore (les tongue-in-chicks ?). Comme une école française de l’observation fine et du détachement ironique - mais une ironie douce, avec du sens et du doute, une façon de voir plutôt que de savoir, rien à voir avec cette ironie 90s des Beigbeder et consorts, cette désinvolture qu’on disait post-adolescente et qui n’était qu’une autre forme de fin de siècle, cette Génération Canal+ qui est aussi un peu la mienne, qui a bien vu arriver la catastrophe et s’est contenté de ricaner.
L’époque a pris un sacré coup de vieux, depuis lors - ou de jeune, c’est selon. Elle exige du sérieux - c’est peut-être ça, me dis-je en écrivant, que j’aime tant en lisant ces autrices : parler du monde avec l’air de ne pas y toucher, être sérieux sans en avoir l’air, c’est peut-être la plus élégante politesse qu’on puisse avoir aujourd’hui envers ses lecteurs.
Bien à vous
Agnès Mathieu-Daudé, La ligne Wallace, Flammarion, 2021