Imaginez-vous au restaurant, à New York, dans les années 70. Les murs sont jaunes, le bas de votre pantalon marron est un peu ridicule (comme votre coiffure et belle ceinture), mais ça, vous ne le savez pas encore - et de toute façon ce n’est pas ça qui compte, non. L’important, c’est ce type à la table à côté de vous, seul avec cet élégant cartable en cuir qu’il vient de poser à côté de lui.
Le type s’approche de vous : il n’a pas d’allumettes, dit-il et vous demande si par hasard vous auriez du feu. Vous en avez peut-être. Ou peut-être pas, d’ailleurs, ce n’est pas grave. C’est ensuite que tout se passe. Car, surprise ! Au lieu de se rasseoir à sa table, le type s’en va vers le fond du restaurant. Presque immédiatement un autre type s’approche, prend le cartable de votre voisin et s’en va tranquillement avec.
Voilà.
Que faites-vous ?
(Attention, soyez honnêtes ! Remettez-vous bien en condition, les années 70 tout ça… Revoyez Taxi driver, éventuellement, avant de lire la suite…)
Ce que vous faites, donc : à 87 %, vous laissez partir le voleur de cartable.
Si, si, ne mentez pas ! Car en réalité, un certain Pr Moriarty vous faisait participer à une expérience. Le voleur de cartable était un de ses complices. Et il a compté.
87 % !
Cela dit, ce n’était là qu’une moitié de l’expérience. Car le Pr Moriarty remet ça. Dans les mêmes conditions, bien sûr. Sauf que cette fois le type ne demande pas du feu, mais explique à son voisin qu’il doit s’absenter quelques minutes et lui demande de surveiller ses affaires (ce qu’il appelle « situation d’engagement »). Dans ce cas, 95 % des gens interviennent pour arrêter le voleur.
Ouf !
Comme quoi, nous ne sommes pas (que) des gros lâches…
En lisant cette anecdote (dans un très scientifique et sympathique Traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens), j’ai eu envie d’optimisme.
Alors je suis sorti des seventies US et de la psychologie sociale pour aller dans la rue.
Et j’ai repensé à cette statistique que je n’arrive pas à retrouver : dans mon souvenir, seuls 40 % des gens tiennent spontanément la porte d’un magasin à la personne qui les suit (l’expérience a été faite à Paris…). Mais si le client précédent a lui-même tenu la porte, alors la stat grimpe au-delà de 70 %. Du moins, je crois.
Si vous connaissez cette expérience, faites-moi signe… Ma porte est toujours ouverte, ma chandelle est presque morte, mais j’ai du feu.
Commentaires
la vraie énigme, c'est :
qui sont ces 5 % de types à qui on leur dit "pouvez vous surveiller mes affaires ?" et qui laissent faire sans intervenir.
non ?
(personnellement, je ne tiens pas la porte derière moi quand je porte le cartable de mon voisin.)
ça tombe bien... j'ai toujours besoin de feux et j'allume souvent mes bougies ... et mes clopes ! Oui oui... cependant je tiens toujours la porte pour ceux derrière moi, mais en même temps je dis aussi pardon aux personnes dans le métro quand serrée comme une sardine je marche sur des pieds... comme je dis bonjour le matin à ceux que je croise dans la rue.... et j'habite Paris... et je dois être une très mauvaise cible pour ces sondages... Par contre je deviens hargneuse quand on laisse la porte me tomber sur le nez !
Il parait que si on est en voiture, qu'on s'arrête pour laisser passer un piéton (d'ailleurs il faudrait redire que les gens doivent laisser passer les piétons sur les passages, ils oublient on dirait ...) et bien la personne suivante dans la file de voitures a plus tendance à elle aussi s'arrêter pour laisser passer les piétons. Montrer l'exemple, il n'y a rien de tel ! ;-)
Je vais faire ma peste pétasse.
Déjà, si un type seul me demande du feu dans un bar, je me dis " tiens, il essaye" et si, en plus, après, il se dirige vers le fond du bar, je me dis "tiens, il veut que je le suive"..Et je suis tellement occupée à me demander si j'y vais ou pas que je ne vois même pas le voleur de cartable.
Ensuite, pour ce qui est de tenir la porte, j'ai l'impression qu'à Paris, tout le monde tient les portes surtout dans le métro. Même quand tu es à 20 metres de la porte avec des talons et un gros sac et que tu n'as rien demandé. Du coup, tu dois presser le pas, courir presque, t'emmeler les pieds pour ne pas faire attendre le galant. Et ça, c'est gonflant.
Voilà, c'était la peste, je me retire.
moi en ce moment j'arrete pas d'aider les meres de famille à porter des poussettes dans les escaliers du métro... D'ailleurs vous avez remarqué ? C'est pas évident du tout... Y'a vraiment le risque d'envoyer valdinguer le gamin...
> Arnaud : la même expérience a été refaite sur une plage, cette fois ils n'étaient plus que 90 %...
(... et si on te demande "pouvez-vous surveiller ma porte ?")
> Cafeclope : dire bonjour aux gens le matin ! alors je te reconnaîtrai facilement quand on se croisera ;-))
(des feux de croisement, en quelque sorte)
> Cassiopée : formons donc une Ligue des optimistes, avec tous ceux qui pensent qu'il suffit de pas grand'chose pour (presque...) tout changer !
> Lib : (rappellez-moi ce que vous faisiez à New York dans les 70s, déjà ?)
Je suis d'accord, par rapport à l'expérience de tous les jours les chiffres me paraissent bas. Mais peut-être mes souvenirs me trompent-ils. Peut-être aussi remonteront-ils si les estes se mettent à gronder !! ;-))
> Mr Pat' : idem ! et à chaque je me sens hyper responsable. Peut-être pour ça que parfois un inconnu me bouscule pour le faire à ma place ?
arrête j'ai passé l'été à chanter au clair de la lune, et aussi le bénéfice du doute, moi j'ai cru que c'était un truc d'agents secrets, ne pas se mêler des affaires des autres, faut voir
En effet, ça corrobore les résultats d'une autre expérience dont je n'ai pas non plus les références sous la main, mais que j'ai probablement lue dans le New Scientist.
On testait la capacité des gens à faire une action de compassion envers un handicappé, un SDF ou un jeune auteur clairement dans le besoin devant eux, genre gamellé dans les escaliers. Les résultats montraient que les stats, autrement plutôt basses, montaient très fort quand les gens avaient été témoins d'une action de compassion juste avant (les testeurs avaient mis au point une scène d'aide avant de faire tomber les cibles de l'expérience dans la scène où ils pouvaient choisir d'agir ou non).
Morale, faut montrer de la gentillesse aux gens pour qu'ils deviennent sympa ? Mais pourtant, avec tous ces films mélo...
@ Cassiopé(e ?) >
Mon expérience personnelle montre que dans 20% des cas la voiture derrière moi me klaxonne pour ce respect inopportun des piétons (et du code de la route de surcroît).
Bref, je suis un peu moins optimiste que toi...
> Griz : ... pour écrire un peu ? ;-)
(Moi aussi, en écrivant je finissais par y croire, à cette histoire d'agent secret)
> Alan : Welcome back ! En ce moment j'ai envie d'être optimiste... J'y vois qu'il existe encore des ressorts pour lutter contre nos lâchetés.
(je vous entends dire "mouais")
Et si les mélos nous mithridatisaient ? A creuser...
> Comme une constellation : il est vrai que j'ai surtout en tête la guerre sans merci entre piétons et voitures, le week-end du côté des Puces...
Je m'inscris dans la ligue des optimistes : quand quelqu'un est subitement poli ou galant dans le métro ça me met tellement de bonne humeur, que je deviens super patiente et attentionnée. Malheureusement, quand je prends une porte dans le nez, ça me fait l'effet inverse... Non à la dilution des responsabilités : chacun a plus d'influence qu'il ne pense sur l'ambiance générale...
Moi, j'aurais interpelé le voleur de cartable, je le jure sur l'athlète de ma mère. (En même temps, bon, c'est vrai que ça dépend un peu de la personne. Si c'est un mec à costume rayé, chaussures bicolores et étui à violon sous le bras, je me contente de penser "Oh, quel toupet".)
Ce n'est pas une mauvaise idée, le truc d'Alan King, pour la manche. Un complice, comme au bonneteau, un mec qui viendrait régulièrement mettre des pièces et des billets dans la soucoupe, avec un regard ému, humain.
Pour les portes qu'on tient, il me semble également que c'est bien supérieur à 40%. Le truc délicat, comme dit Lib, c'est de trouver l'équilibre entre le geste utile et le geste contraignant (moi aussi, quand je dois sprinter comme un démon sur vingt mètres pour ne pas froisser le poli, ça me dérange un peu). Il faut vraiment faire ça à l'instinct, calculer la distance au-delà de laquelle tenir la porte est embarrassant pour l'autre (c'est évidemment fonction de la personne qui arrive, un jeune cadre au pas vif peut être pris de plus loin qu'une petite mémé – d'un autre côté, on a tendance à attendre un peu plus quand c'est une petite mémé, mais alors si on la voit se mettre à trottiner, la bouche ouverte et les yeux exorbités, on regrette). Le pire, ce qu'il faut à tout prix éviter, c'est l'hésitation. Cas d'école : une femme entre deux âges est à 20 mètres. Que faire ? Une fois qu'on s'est retourné et que nos regards se sont croisés, lâcher la porte peut faire craindre de passer pour un mufle (elle est moche, je vais pas perdre mon temps). Mais comme elle n'accélère pas, peut-être est-ce le signe qu'elle est très forte en poussage de porte et n'a besoin de personne. On lâche ? Bon, euh, oui. Malheureusement, le temps qu'on se pose toutes ces questions, elle a bien progressé, elle n'est plus qu'à cinq mètres (ces femmes qui ont l'air moins rapides qu'elles le sont en réalité, c'est terrible), elle se prend quasiment la porte sur le nez et c'est le drame, nous passons pour un sale type qui purge sa haine de l'humanité en traînant toute la journée dans le métro pour faire des mauvaises blagues aux braves gens.
Dans le genre statistiques, mais qui n'a rien à voir avec la politesse, voyez les couples dans la rue. Ceux qui se tiennent la main. Je n'ai jamais compté scientifiquement, mais je dirais que dans bien 90% des cas, l'homme est à gauche de la femme. Regardez, c'est surprenant.
Bon. C'est bien joli tout ça. Mais on nous ment.
On-nous-ment.
Enfin, Second Flore nous ment.
Comment, oui, comment peut-on accorder le moindre crédit ne serait-ce qu'UNE SECONDE à une étude réalisée par un type, le Pr Moriarty donc, qui est l'ennemi juré de Sherlock Holmes ???
Mais pauvres naïfs, vous ne vous rendez pas compte que vous êtes manipulés, qu'en accordant foi à cette sinistre mascarade vous participez sans le savoir à un plan machiavélique ourdi en secret dans le but de GOUVERNER LE MONDE ??!!
Vous ne vous rendez pas compte que cette soi-disant étude n'a d'autre but que d'endormir votre vigilance ?
Que partant de ce principe-là, vous allez vous dire "ahah, personne ne m'a demandé de surveiller cet élégant cartable en cuir, c'est donc que je suis autorisé à 87 % à laisser partir le voleur"
Et c'est ainsi que l'ennemi Bolchevique progresse, ami, dans l'ombre et l'indifférence criminelle...
Tu ne diras pas que tu n'as pas été prévenu.
> Pandore : inscription notée !! parviendrons-nous un jour à prendre la majorité (silencieuse, mais souriante) ? ;-)
Ton histoire de cigarette et de valise en cuir avec le second type qui passe ça fait un peu taxi driver justement.
Je me dirais qu'il y a sûrement de la coke dedans ou des biftons, et je laisse l'autre type faire son affaire.
C'est pas une question de pas intervenir.
ça va être dur... Se croiser de bon matin c'est déjà difficile... sinon comme je fréquente des endroits bondés il faut pouvoir se croiser ! Et tu auras intérêt et à dire bonjour et à tenir la porte... Même si je te prends pour un gros dragueur .. sourire
> PhJ :
C'est juste - il y a un truc à faire, avec cette histoire de complice en générosité ! (par exemple, ce serait ça, le fameux "service civil" qu'on va nous proposer en 2007 ?)
Sur les stats de porte, j'ai trouvé des chiffres. Et des commentaires... Update à venir.
Et surtout, j'ai pensé à ton dernier paragraphe ce matin. Je voulais vérifier. Ben, j'ai pas trouvé un seul couple marchant en amoureux !
> L'Ho :
Le raisonnement est imparable.
Mais justement, la conclusion du bouquin est bien "connaître les techniques de manipulation sert surtout à éviter d'être manipulé"...
Vieux renard, va !
> Yann : hum. J’ai peut-être un peu forcé sur le décor. (rappel : l’expérience existe aussi à la plage ;-)
(est-ce là ce qu’on appelle une majorité silencieuse ?)
(à suivre, donc)
> Cafeclope : il me suffira de me poster au bon endroit et de guetter la jeune femme qui dit bonjour !
(être pris pour un dragueur, c'est un rêve de gosse timide ;)
Ca me rappelle une annecdote que relatait Lino Ventura lors du tournage d'Un Papillon sur l'Epaule. A la fin du film, il se fait tuer dans une gare de Paris (désolé pour ceux qui n'ont pas vu le film...), la scène a été tourné dans les conditions du réel en caméra cachée.
Donc, Lino Ventura s'écroule sur les quais, tué par balle (je crois). la foule était dense autour de lui et... personne ne s'est arrêté. Non, personne. Voilà qui ne rend pas optimiste.
Mais bon, la vie est une farce, non ?
Je croyais que le rêve de gosse c'était de Se faire draguer ??!! Ah la ce n'est plus ce que c'était !
> Benoît : il était connu, Ventura, à l'époque ?
(pas sûr que la vie soit une farce... ce qui n'empêche pas de la prendre come telle, au jour le jour ! ;-)
> Cafeclope : ça, quand j'étais gosse, je n'osais même pas en rêver ! ;-) mais nous en recauserons...
Dîtes, agent 002, et jeter un oeil dans ce foutu cartable, vous y avez pensé ? Hum ? Billets de banques ? Strings 70's ? Toblerone ? Carte au trésor ? C'est qui ce type d'abord, qui vous prend pour un vigipirate renforcé ? Et les mères qui vous confient leurs gamins dans les escaliers ? C'est louche, non ?