Ils ont des choses à nous vendre, en toute simplicité. Si je vous appelle, Monsieur Guillot, c’est tout simplement pour vous proposer de bénéficier de… Stop.
Là où j’ai progressé dans la vie, c’est que maintenant je sais éconduire gentiment Aurélie et Pascal avant qu’ils ne se livrent trop. Fermement (impératif), mais toujours gentiment, parce que je connais leurs conditions de travail, entre l’ordi qui compose le numéro à leur place et le chef de plateau qui hurle ses instructions dans le casque.
Tout à l’heure, c’est Pascal qui m’a appelé, avec son accent marocain. Il n’avait rien à vendre, Pascal, il voulait tout simplement savoir si j’étais content du service biip… Et comme je suis content du service biip, que je suis sympa et que j’étais de bonne humeur, j’ai dit Banco, un bon point pour tes stats, mon gars, vas-y mais vite. Très vite.
On va faire vite, il a promis (tout simplement).
Et il m’a posé ses questions, le Pascal. Comme elles s’affichaient sur son prompteur. Et j’avais beau le couper, il ne m’épargnait aucune option, y compris les « sans opinion » quand j’avais déjà donné la réponse.
Pendant qu’il déroulait ses questions, je repensais, en vrac :
- au service clientèle d’Alice, mon ex qui va changer de mac se faire racheter
- aux télé-opérateurs insupportables qui contractuellement vous donnent du « Monsieur X » toutes les trois phrases
- à cette boîte de négriers télémarketing qui promet à ses clients que "nos télé-opérateurs respectent scrupuleusement le script" (traduction : ils sont enchaînés à leur ordi... et à son contenu)
Je repensais à tout ça et j’avais envie de couper Pascal dans son élan – OK, gars, allons un peu moins vite et discutons, rigolons un peu, soyons humains…
Mais lui aussi était enchaîné à son script, je n’ai rien pu faire, et quand à la fin il m’a assuré que Biip-et-moi-même -vous-remercions-Monsieur-Guillot d’avoir répondu à nos questions, je me suis dit que bientôt il n’y aurait plus de Pascal, ni d’Aurélie.
Qu’à force de robotiser leurs employés, les télémercateurs finiraient bien par les remplacer par des machines.
(à suivre)
Bande-son : Le poinçonneur des Lilas
A lire : Service clientèle (B. Duteurtre).
Commentaires
Tiens, j'ai lu ce titre qq part y'a pas très longtemps "la robotisation des humains vs l'humanisation des machines", qqch comme ça... ça laisse rêveur!
(Heureusement que j'ai mon h – et je vais le garder : comme dit Rivette, Touche pas à mon h.)
Oui, je voulais dire : il y a ton ex dans Voici avec un mec, 2ndF !
C'est ça le piège.
Ils travaillent dans des conditions tellement horribles qu'on est gentils, on répond. Finalement, ça marche bien.
y'a 8 ans dans ma belle ville natale de mon beau Sud Ouest pour payer ma venue parisienne, j'ai été derrière écran et micro casque...franchement après la première semaine où on te teste comme un rat de labo, en 2 mois je me suis bien marré, appris beaucoup sur mes compatriotes, enrichis mon ressenti social et beaucoup ri (ah! me suis fait insulté pas mal aussi, mais c'est accessoire)
ne noircissez pas trop le trait mon cher Pdf...
ceci dit je ne leur répond jamais plus que "raaah bonjour mais ça va pas être possible"
bonne journée et merci de votre confiance.
Pour être passée derrière l'écran aussi mais en tant que "Bonne Samaritaine du Week-End", je confirme les propos de la petite brune... et suis quelque peu sceptique quant à la déshumanisation totale des services : je vois mal un robot faire des pieds et des mains pour garder quelqu'un en ligne !
cruellement vrai :-(
> PJ : ... et voilà un nouveau filon pour la littérature d'anticipation !
> Phj : Damned ! Et tu m’annonces ça comme ça, à la h, sans prendre de gants ?
Remarque, je pouvais m’en douter, depuis des mois qu’elle aguichait tous les mecs avec ses sourires en 4x3…
> Brg : ah non, quand même… mais pour les timides, l’autre « truc », c’est de raccrocher AVANT la conversation: depuis que les ordis composent les numéros automatiquement, il y a toujours un clic suivi d’un léger blanc quand ça vient d’un centre d’appels. Et c’est assez jouissif de les débusquer à temps.
> Petite Brune / Miss K : je reste marqué par une expérience terrible où deux jeunettes prisonnières de leur script se faisaient rembarrer par 100% des personnes qu’elles appelaient (faut dire qu’on les jetait en pâture à des DRH) pour vendre un produit que j’avais conçu avec amour. J’en ai mal au ventre rien que d’y repenser.
Cela dit je me souviens qu’autour l’ambiance était plutôt bonne. Comme tout job, j’imagine qu’on finit par se blinder et trouver son espace de plaisir. Mais quand même, ces deux-là…
> Justine : j’aurais pu faire vraiment cruel (s’il m’avait réveillé de ma sieste, par exemple)… mais décidément je suis trop gentil ;-))
- Monsieur Guillot, je vous remercie de bien vouloir m'accorder quelques secondes de votre temps précieux - et joignent leurs remerciements chaleureux aux miens les Entreprises Durond, mon chef d'équipe, le chef de mon chef d'équipe, l'ensemble des actionnaires et investisseurs des Entreprises Durond, les ordinateurs et prompteurs Dell, mon processeur Athlon, les casques et micros sony, Alka-Seltzer et Guronzan pour l'ensemble de leurs oeuvres respectives, EDF qui fournit son électricité aux Entreprises Durond, le parking réservé du 8 de la rue qui permet à tout un chacun de garer son véhicule tranquillement, mon épouse sans laquelle je ne serais rien, mes parents sans lesquels je serais encore moins que rien, le gros Michaël qui a bien voulu épargner ma vie l'année de mon CM2, la petite Lulu qui a bien voulu ne pas m'épouser lorsque je lui ai posé la question fatidique (sans quoi je n'aurais pas pu épouser mon épouse-sans-laquelle-je-ne-serais-rien), ainsi que toute personne dont vous souhaiteriez qu'elle vous remerciât. Mention spéciale, aussi, à l'imparfait du subjonctif.
- Merci.
- De rien. Bon, on va commencer le sondage. Juste quelques secondes de votre temps, c'est promis...
Etrange, j'ai eu droit, dernièrement, à la version féminine de Pascal. Elle allait si vite, que j'avais parfois du mal à comprendre ses questions.
Lui demander de répéter était un vrai parcours du combattant...
Du chiffre... Du chiffre...
Tant de client par jour... Hop hop !!!
"Bonjour, Aurélie Dupont de la société Vosfenêtressontnosamies, je vous appelle tout simplement pour savoir si vous avez pensé à refaire l'isolation de votre maison ?
- mais très certainement ! malheureusement à l'instant je ne suis pas disponible, puis-je prendre votre numéro personnel afin de vous rappeler à votre domicile ce soir pour que nous en discutions posément ?
- ... euh, je suis désolée je ne peux pas vous communiquer cette information
- bien entendu ! je présume que vous n'avez guère envie qu'une inconnue vous appelle chez vous, à une heure qui ne vous arrange pas, sans que vous l'ayez sollicité, pour vous poser des questions sur un sujet qui vous indiffère, n'est-ce pas ?
- .... (elle a compris)
- figurez-vous que je suis précisément dans le même cas, je vous remercie pour votre appel et vous souhaite bon courage, au revoir"
Un jour il y a bien des années, dans une émission radiophonique dont je tairai le nom, un animateur a mis en relation deux télé-opératrices en leur ayant préalablement donné des informations différentes et erronnées relativement à leur identé respective et à la nature du problème à traiter.
Et le résultat était franchement cocasse, parce que les deux, tellement engluées dans leur protocole ultrarigide, elles ont mis au moins une demi-heure à se comprendre et à démêler les données du problème (on aurait dit deux machines avec des programmes incompatibles se renvoyant sans cesse la balle) .
Alors bon, je sais, ce n'est pas bien de se moquer des Aurélie et des Pascal qui bossent dans des conditions très difficiles, mais c'était vraiment drôle, et surtout assez révélateur d'un problème de fond quant à la façon dont on apprend à "communiquer" aux télé-opérateurs.
Eh bien, j'avoue qu'au fil des années, je perds patience. Quand j'étais étudiante, j'avais droit une fois par semaine à "bravo madame, Vous avez gagné (ding tilt tilt) une réduction de 30000F sur une cuisine intégrée. Etes -vous contente ?
- Ah ke beu beu, je suis locataire dans un 15 m2, vous comprenez - c'est bien dommage madame ! (salauds!).
Récemment j'ai eu droit au laüs annuel. Si vous payez + de 1500 euros annuels, vous avez droit à un baratin GRATUIT pour vous aidez à payer moins d'impôts, payez vous plus que cette somme
- Ah ke beu beu ché pas (de quoi je me mêle, occupe toi de tes oignons, l'affreuse, hé!)
- nous allons vous aider. Combien payez-vous d'impots chaque mois (mais c'est qu'elle insiste l'abrutie, je sais faire une multiplication par douze, hé ho, surtout avec ma calculette, excel et gougueule à portée de main). Mais ça ne vous regarde pas madame. (Est-ce qu'on vous demande combien vous payez d'impôts ... et hop je raccroche).
Et maintenant, c'est vrai que j'ai 2 politiques, soit je suis d'humeur, je baratine un max, ça leur fait perdre du temps, maivais pour les stats, héhé, soit je me rends compte que ça commence à me gonfler et hop je raccroche. Ils me font perdre du temps precieux et m'em. pas de pitié! Quand ils se rendront compte que ça ne marche pas, il n'y aura pas de robots, ils arrêteront, et les gens seront employés à qqchose de plus utile (on peut tjrs rêver).
Ouh là, ce ne sont pas des commentaires, mais des notes entières, là !
(à la limite, pour prolonger, on pourrait tous aller faire un tour au "Salon des centres d'appel" qui se tient en ce moment - les syndicats qui manifestent ont sûrement besoin de renforts ;)
> Franswa : toujours aussi bon dans le dialogue.. ;-)
(tu as juste oublié un truc essentiel : "merci bien, MONSIEUR MACHIN", on dit. Non mais !)
(exemple : "Merci d'avoir patienté, Monsieur Guillot". Je l'ai eu 5 fois l'autre jour, avec un autre télétruc)
> Nevea : c'est justement ce que dénoncent les syndicats !
> Hémi : une certaine classe, assurément. Tout simplement ! ;-)
> Catherine : (ça fait plaisir) en voilà une idée maline...
(et un slogan : "La téléopératrice ? Il vaut mieux l'avoir en podcst")
> Cassiopée : faire durer pour plomber les stats ? tu perds sur tous les tableaux !! (et ce n'est pas gentil pour le pauvre télétruc qui se fait pourrir dans le casque par son "chef de plateau"...)
Cela dit, il m'arrive aussi de rêver que, obéissant à un grand mot d'ordre révolutionnaire, plus personne n'achète par téléphone. Aussitôt après (un réflexe), je vois les titres de la presse - "XX 000 emplois menacés!" Alors je retourne me coucher, en espérant qu'Aurélie ne me réveillera pas.
Et vous avez de la chance quand vous vous appelez Monsieur Guillot... Parce que l'opérateur au fort accent africain qui m'a appelée tout à l'heure (privilège du statut de chomeur à domicile) s'y est repris à quatre fois pour écorcher mon nom flamand.
Mais moi non plus je ne m'énerve pas, je suis ferme et polie. Car je me souviens très bien qu'à la fin de la journée ce qui me détruisait le plus était de compter le nombre de fois où on m'avait insultée dans la journée pour un boulot de chien auquel moi non plus - pas plus que mon interlocuteur téléphonique- je n'accordais aucun crédit.
Je signale, au passage (et parce que je suis amoureux d'elle) qu'Aurélie Dupont est une danseuse étoile de l'Opéra de Paris (et, par ailleurs, la plus belle femme du monde)... Elle ne passe pas son temps à vous téléphoner. Mais si c'est le cas (je ne suis pas au courant de tout), Secondflore, peux tu lui filer mon numéro? Par avance, merci!
Eh eh.
Monsieur Machin, c'est toi qui a commencé, à la ligne 5 de ton texte. Je me suis donc permis, comme disent les chiens quand ils parlent.
Et LVSfromNoWhere, c'est un nom flamand ? On m'aurait donc menti tout au long de ma vie ?
(ah non, en fait, je viens de comprendre ce que tu m'as dit, avec ton "Monsieur Machin". Je m'étais mépris, c'est à dire épris de moi-même, un peu. Ca m'arrive.)
Et sinon, c'est bien, ces commentaires qui n'indiquent pas les heures : ça me permet de camoufler le fait qu'il m'en aura presque fallu une (d'heure, donc) pour comprendre (enfin) ce que tu voulais dire.
C'est bon pour la dignité.
> LVSausFlanderen : compter les insultes à la fin de la journée... je ne vous connaissais pas ce côté maso !
(et sinon, une technique que j'aime bien :
- M. Guillot ?
- Heu... Non, son fils.
Et hop, on raccroche bons amis)
> Mandor : maintenant que tu le dis... Mon inconscient a dû parler pour moi - car oui, je me souviens maintenant d'avoir été ébloui par Mlle Dupont.
(son numéro commence par 0800, je crois, mais j'ai oublié la suite ;)
> Franswa : ha ha ! je note surtout (avec fierté) que tu passes près d'une heure sur mes notes et tes commentaires ;-))
ça t'éprendra, tiens !
Ouais bon, rêve pas trop quand même, Deuxièmétage - j'écris mon commentaire, je me barre, je prends (enfin) ma douche, puis je réalise l'étendue de ma connerie, et je reviens l'affirmer à la face du monde.
Hein, alors bon, hein, bon.
C'est vraiment super ici, on apprend plein de trucs. Pour demander le numéro perso afin de rappeler le soir, je retiens. J'essayerai aussi, le truc, non sa fille, ou sa belle-fille. L'autre jour, j'ai cherché à joindre mon mari à son travail et la personne que j'ai eu au bout du fil a cru que j'étais sa fille, je dois avoir une voix juvénile :-D (euh mon mari, il est + jeune que moi, alors, c'est pas lui qui a des airs de vieillard hein ....)
C'est pire que ça encore. Je me souviens, une fois, être incapable de savoir si je parlais quelques secondes plus tôt avec un homme ou une femme. Tout à fait incapable. Moi, c'était plutôt Stéphane Duchemin.
> Franswa : hein ? bon. (na)
> Cassiopée : j'espère que tu as dit "oui" quand elle t'a demandé...
> Frozen Boy : nous aurons tous cette pression, le jour où les Stéphane auront été remplacé par des machines...
("c'est ici le duchemin", disait Mauroy)
Olivier Rousseau, aussi.
Puis un temps je tentais un peu les surprises et utilisais des noms comme Charlie Parker, Isidore Ducasse, Claude Debussy, Jean Echenoz, Elie Faure, Maxime Gorki c'était déprimant personne jamais ne relevait ou quoi.
> Frozen Boy : c'est dommage - "bonjour, ici Maxime Gorki", au moins ça m'aurait fait rire !
(je vois surtout que je suis à peu près le seul ici à n'être jamais passé de l'autre côté du téléphone...)
Ah, j'aurais adoré qu'Isidore Ducasse me téléphone, j'aurais tant de choses à lui dire...! Et puis j'aurais pu lui faire écouter du Théifaine en posant le combiné sur ma chaîne hifi, je suis sûre que ça lui aurait plu. Peut-être même qu'il aurait envisagé une collaboration avec le chanteur, et que j'aurais été ainsi à l'origine d'un événement poétique interchronique de la plus haute importance!
A lire aussi, fameux : le début (et même la suite) de City, d'Alessandro Barricco
> Effeuillée : du début de City, je garde le souvenir d'une grande déception. Je m'étais jeté dessus à sa sortie, et les quinze premières pages m'avaient rebuté.
Peut-être ai-je manqué de délicatesse... Peut-être suis-je un peu plus grand maintenant... Il faudrait donc que j'y revienne ?