Traumatisée par son premier amant à l'Université (un footballeur - autant dire un beau salaud), la belle Karyn n'a pas eu d'homme depuis cinq ans. Cinq longues années à prendre des bains en écoutant la radio, à lire des blogs de filles et à se dire que finalement elle est très bien comme ça. Mais bien sûr, la lectrice n'est pas dupe (elle n'a pas choisi au hasard la collection Audace).
Evidemment, elle a trop envie de baiser, Karyn.
Sauf qu'elle a peur.
Il te faut un homme capable d'être patient et d'attendre que tu sois prête, résume Anne, sa meilleure amie (pas de Harlequin sans meilleure amie) en allumant la radio pour écouter l'émission de Docteur Désir (oui, oui). Mais comment faire ? Karyn a déjà épuisé tous les psychothérapeutes de la ville (c'est vrai qu'elle est un peu fatigante), et le chocolat ne résout pas tout.
Alors Anne prend le taureau par les cornes et le téléphone par surprise. Elle appelle la radio, demande Dr Désir et met le combiné dans la main de Karyn. L'héroïne va-t-elle se défiler ? Au contraire ! Le feu aux joues, envoûtée par la voix chaude et ténébreuse du Docteur, en direct à l'antenne, elle lui demande... de faire l'amour avec elle.
Oui Madame !
Et nous n'en sommes qu'à la page 12.
Pressé par des auditeurs en émoi, Dr Désir accepte de dîner avec Karyn. A contre-cul. Mais quand il la voit, qui l'eût cru ? Il est troublé. Elle est si belle ! En gentleman pourtant il se promet de ne pas coucher avec elle : il risquerait de lui faire trop mal (psychologiquement, s'entend (vous vous croyez où?)). Alors, à la fin de ce (très) long dîner, riche en omega 3 et en monologues intérieurs, il maîtrise ses pulsions et embrasse Karyn... sur le front. Horreur !
Elle rêvait qu'il prenne les devants, maintenant elle prend la mouche.
Nous sommes page 63.
Sa raison aurait voulu le gifler pour lui faire payer cet affront*, mais son cœur, qui espérait toujours un vrai baiser, l'en avait empêchée. Trois jours plus tard, son cœur l'espérait toujours. Chris hantait ses jours et envahissait ses nuits.
(* subtil jeu de mot de la traductrice - les Harlequin sont bien meilleurs en VF)
Ô, impitoyable incertitude de l'amour ! Pendant 150 pages, Karyn et Chris (car sous Dr Désir se cache un homme, avec un prénom, un cœur et une) vont se chercher, se manquer, se trouver, se perdre, se retrouver...
Le lecteur fruste pourrait buter devant les circonvolutions des cœurs déchirés de ces deux personnages perdus dans une histoire cousue de fil rose. Quelle tristesse ! Car si L'amant interdit éblouit par son départ en fanfare, après la page 64 l'oeuvre confine au sublime. Avec un suspense majeur, mené de plume de maître : comment diable atteindre les 224 pages prévues au contrat ?
(Laçon n°7 : La contrainte stimule la création)
Entre cul et cucul, Kara Sinclair ne recule devant rien pour reculer l'échéance. Une même scène qui se répète à 50 pages d'intervalle, une longue promenade à cheval tout en métaphore ("l'après-midi enfin l'avait détendu", magnifique), un méchant qui vient les surprendre au moment où... Jusqu'aux hésitations surhumaines de Dr Désir, capable d'étaler de nobles pensées sur dix lignes tout en réajustant son jean pour tenter de soulager son sexe dressé contre la fermeture éclair. Quelle tension narrative !
La traductrice Isabelle Donnadieu (on ne cite jamais assez les traducteurs) n'est pas en reste, ne renonçant à aucune tournure précieuse pour gagner une ligne, n'hésitant pas, page 132, à glisser un de façon à ce que au milieu d'un dialogue - de l'Audace, on vous dit!
La raideur de la morale se noie peu à peu dans un style ruisselant d'adjectifs, le crescendo est insouteneble - et quand enfin la zigounette turgescente (what else) de Chris pénètre le pilou-pilou en feu de Karyn, quand dans un dernier coup de rein il la rejoint dans la jouissance, l'extase est quasi-religieuse.
Et encore, je ne vous dis rien de ce final haletant, ni de cet audacieux épilogue en pique-nique (véridique). Je m'en voudrais, et je suis déjà bien assez long (soyons métonymiques).
Bref - disons-le sans fard : la collection Audace porte son nom à merveille. Dans la construction, Kara Sinclair ose la transparence - une sorte de mise à nu de l'auteur dans un scénario avec ficelles apparentes. Ensuite il y a la vie, la vraie. Chez Harlequin, aujourd'hui, on ose le mot masturbation - et même la chose !
Et le style, enfin. Inimitable.
Son désir rugissait dans ses veines, comme un torrent impétueux prêt à rompre ses digues, ça vous vaut presque l'Académie.
C'est bien simple : on dirait du Giscard.
Dr Désir.
PS - tous les billets des "Harlequinades 2009" sont chez Fab'shion...
(Et pour le tout début de l'histoire, c'est ici, juste en-dessous)
Commentaires
Si Harlequin cherche un dircomm...
Putain, tu m'as trop donné envie (ha ha) je fonce à la bibli taxer le Giscard "c'est pour ma grand-mère, madame, pour qui me prenez vous"?
« Pour me séduire, elle doit être romantique »
dit le bandeau de pub inséré par H&F au dessus de l'article.
Pour le reste, j'en suis tout interdit.
t'es trop bon en critique littéraire :- )
encore, encore, encore!
Grandiose ! (j'en pleure presque)
tu devrais t'estimer heureux, tu aurais pu à avoir à critiquer ça...http://lagene.wordpress.com/2009/10/05/stephane-bern-et-barbara-cartland-se-font-passer-pour-giscard/
> Castor : on le tient, "L'Académicien" !
> CUI : perso j'ai droit à "Maîtrisez vos risques" (ce qui me fait penser que dans les Hard-le-Quint on ne s'embarrasse pas trop de capote...)
> Columbine : merci! (j'ai voulu rappeler à "la meuf" l'existence du Passage, mais viens de voir qu'un zélé commentateur l'avait rappelée à l'histoire littéraire^)
> Léo : tu veux un mouchoir ? (merci ;)
très sympa cette critique. Ca fait envie ! ;-)
Excellent! :D
Là, je suis à deux doigts de mettre un lien vers cette note sur fessebook ! +1
Excellent, vive l'in extremis, quelle force d'interprétation ! ^^
Je sais que je ne devrais pas le dire, mais dans une période de misère autant financière qu'intellectuelle (je ne parle même pas du reste...), j'ai postulé chez Harlequin pour un job de traducteur (aujourd'hui, j'entre par la petite porte, sans métaphore aucune, non, non, dans le grand monde de l'édition, mais demain...Die Welt). j'ai même passé des tests et tout et tout et bien crois-le ou non, mais ils n'ont pas voulu de moi...
je me demande ce qui est le plus humiliant, en fait ???
Un commentaire joliment mené, j'avoue j'ai un peu de mal avec les histoires où l'homme joue son chaste histoire de faire naître chez la désabusée forcément sublime l'idée de l'amour et d'une relation (avec des piques niques et tout ça)
J'ai plus un faible pour celles où au début ils se détestent et s'horripilent avant d'être happés par le gouffre de la passion dont forcément ils ne sauront s'extirper. Je crois qu'il me faut 240 pages pour mon contrat, j'ai intérêt à m'y mettre sous peu. Sinon aussi un sourire à la lecture de ce charmant clin d'oeil à celui qui aimait observer deux papillons (Pouf Pouf)
> Emeraude : attention, après lecture tu pourrais perdre tout contrôle! ;)
> Fashion : merci ! (un double^)
> Lola H : la morale de L'amant interdit, c'est qu'il faut foncer quand vient l'impulsion !
> May : merci! (et bonne chance pour l'endurance)
> Mikael : j'ai été à quelques doigts de faire pareil, figure-toi !
(NB - j'ai lu hier une note d'une traductrice pro qui s'était faut recaler... je ne retrouve plus, mais sinon il y a ça :
http://voila-le-travail.fr/2009/08/30/le-plus-dur-a-reecrire-cest-la-scene-erotique/comment-page-1/#comment-508
> Centsous-si : et pourtant... si tu savais comme l'amour de Chris est pur! Il te faut lire ce livre.
(Tout ce que l'on peut dire, avec une marge d'erreur infime, c'est que la nuit sera fraîche :)
je suis écroulée de rire, bravo, bravo, et quelle bonne idée ces Harlequinades qui ont fait éclore de talentueux critiques littéraires en chacun de nous...
Oh, quelle saine lecture! Joli coup, je m'en vais voter pour vous chez Happy Few...
Merci !
Daniel Fattore, si vous voulez voter pour moi au passage, ça me fera une voix ! (voyez où j'en suis rendue ^^)
Euh... évidemment, c'est une blague, il n'est pas question qu'on m'accuse de corruption ou d'influençage, hein...
> Didouchka : vu! "224 pages", bien sûr - je corrige illico ;)
> Daniel F : merci merci ! (en attendant la 4e de couv...)
> May : le billet biblique est dans ma liste provisoire depuis avant-hier... mais il me reste un tiers à lire^
(je suis incorruptible)
Pourquoi interdit?
Chiche !
raaaaaaaaaaaaaaaaaah ! j'exulte ! et j'ose un "Quel talent !"
C'est énorme. (au meilleur sens du terme) (en tout bien tout honneur, bien sûr) (non je ne suis pas lourd)
> Divani : bonne question ! Le titre original est "Whispers in the dark" ; ça reste assez con, mais moins.
(ils doivent avoir un logiciel de génération aléatoire de titres, chez Harlequin. J'ai regardé, c'est au moins le 3e amant interdit)
> Lola H : chiche^
> Petite Brune : oh oui, encore !^
> Marco : pas lourd, non - à peine gonflé... merci!
Vive l'incorruptibilité ! Je viens de voir ton vote, merci, ça me va droit au coeur.
Incorrompu je reste!
@May: j'ai déjà attribué mes suffrages... mais je m'en vais visiter votre blog!
Extraordinaire. Tu me donnerais presque envie de le lire.
Sérieux.
Ou pas.
:-)
Si tu entends à nouveau l'appel de l'Audace, n'hésite pas ! ;)
ah, ah, ah... ah non alors ça, c'est trop drôle. merci, je ne m'attendais pas à rire autant, un dimanche matin trop tôt... ça y est je suis réveillée ! merci.
héhé ! je te dédie ce "métonymiques", tiens ;)
Oh, mais tu t'es défilé cher ami, ce n'est pas de la critique, c'est de la paraphrase!
A vrai dire, je manquais d'outils conceptuels pour m'attaquer à une telle oeuvre...
C'est pas très malin de me faire ricaner devant mon pécé, c'est pas ça qui va faire remonter les finances de la Hollande. M'en fiche, si on me demande des comptes, je te dénonce.
Ne te gêne surtout pas ! Tu sais bien que la Hollande m'a déjà déclaré coupable.
Si jamais, voici un petit lien qui vous permettra de plonger encore plus dans la beauté et la complexité de ce genre de littérature...
http://lesideesheureuses.over-blog.com/32-categorie-10521200.html
Vu !
"Tant pis si le comportement du zéros paraît absurde, l’essentiel est que la séquence tienne bien droite dans la glu d’un poncif, telle une cuiller dans du porridge" - j'ai bien ri.
(et puisqu'on est à l'abri, ici, sous le manteau vous pouvez me dore le Grand Secret - combien sont donc payés ces rewritings ?)
Allez savoir, le taux de la bourse à sa clôture était peut-être d'un centime les cent mots.
Hum... Si je ne m'abuse, on arrive plutôt au prix de vente public, là.
(il y a eu krach à la bourse ?)
Dis donc tu fais quelle profondeur de bonnets pour avoir tout ca de commentaires ?
Ah mais tu te trompes, ce n'est pas la taille qui compte, ni la profondeur de la prose. J'avais mis en illustration une photo de mon irrésistible petit cul, voilà tout.
"On ne cite jamais assez les traducteurs" écrivez-vous dans cet audacieux billet.
Sachez que chez Harlequin, si des traducteurs traduisent (et sont mentionnés), des rewriters rewritent après eux (et restent dans l'ombre, où on ne les voit pas, d'où leur appellation de "nègres".)
CQFD, pour la plus grande joie de tous j'imagine.
Allez je le remets :
http://voila-le-travail.fr/2009/08/30/le-plus-dur-a-reecrire-cest-la-scene-erotique/comment-page-1/#comment-508
Il est mort, ton lien, camarade...
Sorry!
http://voila-le-travail.fr/2009/12/09/httpvoila-le-travailfr20090830le-plus-dur-a-%E2%80%A6scene-erotiquele-plus-dur-a-reecrire-cest-la-scene-erotique/