A 6 ans, la petite Abnousse se mettait nue dans la cour de son école de Téhéran pour défier les barbus et les tchadors des surveillantes. A 8 ans, elle arrive à Paris avec sa famille. Elle découvre l'Occident, les jeans troués dans les cours d'école, la liberté loin des barbus.
A l'adolescence, dans les années 90, elle découvre la littérature libertine du XVIIIe siècle – et je précise toute de suite pour toi, lecteur/trice, ce libertinage-là n'a rien à voir avec des galipettes franchouillardes de club échangiste : c'est d'abord le triomphe de la raison, c'est l'esprit qui libère les hommes (et les femmes plus encore) de l'emprise de la religion sur les corps et des curés sur les âmes. Crébillon, Mirabeau, Laclos et Sade ont montré la voie : oui, il est bien possible de se libérer des barbus de tous poils !
Mais dans le même temps, la jeune Abnousse constate les premières fissures de la société française : les premiers tchadors, l'amie de fac qui se voile la face après un échec amoureux, et l'islam des barbus qui prospère sur lit d'ignorance, de peur et de malheur.
C'est là toute la tension du livre, d'ailleurs : les barbus qui poursuivent l'exilée iranienne athée jusqu'au pays des Lumières.
A partir de là, le livre se lit à deux niveaux : l'histoire personnelle et familiale de l'auteur, et celle de la France des trente dernières années, de l'insouciance relative des années 80 à la fange dans laquelle on se débat aujourd'hui, avec ses dates-clés : 1998 et les lendemains qui déchantent, le 11 septembre et ses conséquences, le 21 avril et la démission collective, les attentats et les prises d'otage, les révolutions arabes et leurs soubresauts...
Une Histoire à la fois sensible, militante et désespérément factuelle, qui se fout des régimes politiques parce qu'elle dit "nous" - le tout sous l'éclairage faiblissant des Lumières qu'une Française fraîchement naturalisée vient raviver.
Et puis il y a l'écriture, qui s'affirme en même temps que l'auteur, et qui vise de plus en plus juste à mesure qu'approche aujourd'hui. Une écriture où perce crescendo la colère de voir la religion regagner le terrain si chèrement conquis, l'amertume face aux crispations racistes et la rage devant les poses des belles âmes qui laissent faire et déguisent leur indifférence en tolérance.
Khomeiny, Sade et moi, c'est les barbus, Diderot et nous. Un constat implacable qu'on ne peut que tristement partager, mais une énergie communicative qu'on a très envie de partager aussi.
Vivement qu'on relise les libertins sans les classer X. Le fatalisme n'est pas la seule option.
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PS - c'est ce livre que je lisais dans le métro, l'autre jour.
Ça fait du bien, la rage et la Raison,
quand elles se muent en énergie positive. Merci A.