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Courir après nos ombres

C'est une histoire de 2015...

... Non, en fait, ça commence bien avant. Le jour où j'ai rencontré Sigolène et où nous avons pris la route ensemble pour aller casser des murs et faire pousser un jardin au Logis du Musicien d'Erwan Larher. On a causé de Charlie Hebdo où elle travaillait, de romans et de ce qu'elle écrivait, de voyages et de Springsteen. "On aurait pu aller jusqu'à la mer", écrira-t-elle un jour, et c'était vrai.
Tout ça pour dire que je connais un peu Sigolène Vinson. Très peu, en vérité. Juste assez pour connaître sa douceur, sa générosité, sa droiture, et cette mélancolie toujours soluble dans l'amitié.

Ensuite il y a eu janvier 2015. Je ne m'étends pas dessus, chacun l'aura vécu à son niveau, et pour Sigolène c'était dans les journaux.
Heureusement, elle avait terminé deux romans, avant.

sigolène vinson le caillou tripode bernardEn mai, le Tripode a publié Le Caillou. C'est une histoire dont elle m'avait parlé tandis que nous mettions à nu un mur vieux de plusieurs siècles – celle d'une femme qui veut se transformer en caillou.
Hum, dis-tu (ne mens pas, je t'entends d'ici).
Eh bien, sache qu'elle est belle, cette histoire. Je l'ai lue en cherchant un peu Sigolène entre les lignes, comme si le roman faisait suite à son premier livre autobiographique, J'ai déserté le pays de l'enfance. Nous étions encore un peu chez Charlie, mais il y avait des sourires, dans le Caillou, du désespoir tendre, de l'espoir aussi, et on y partait en Corse. On se refaisait une santé collective.

Et puis l'été est passé, on a chacun ramassé nos petits cailloux pendant que le monde grondait tout autour... et c'est là qu'arrive le deuxième roman de Sigolène.
Courir après les ombres, il s'appelle.
vinson, courir après les ombres, plon, nouvelle maquette, bravo lisaIl se passe loin de Paris, dans la corne de l'Afrique. C'est l'histoire de Paul, Français désabusé qui s'est mis au service de la Chine, pour l'aider à établir des bases navales un peu partout le long des côtes de l'Orient et de l'Afrique – non sans négocier au passage des deals léonins sur les matières premières. Paul qui, quand il ne pille pas les ressources minières de la corne de l'Afrique, poursuit une chimère : celle des "écrits jamais écrits" d'Arthur Rimbaud, l'espoir fou que le poète enfui à Aden soit resté poète et non marchand d'armes.

Courir après les ombres, c'est aussi Harg, le Djiboutien qui seconde Paul dans ses chimères et côtoie les pirates. C'est Mariam, la petite pêcheuse qui un jour a cru attraper Paul dans ses filets. C'est Cush, qui fuit l'Afrique dans une barque, c'est Louise qui fuit tout court sur un tanker.
C'est tout ça, c'est le monde comme il va en ce moment, avec ses destins singuliers et les grandes puissances qui tirent les ficelles au-dessus, pour piller les sous-sols et déverser leurs déchets nucléaires dans les eaux africaines.
C'est un monde que Sigolène décrit avec sa douceur intransigeante, qui donne envie de vivre dedans quand même à condition de se battre un peu. C'est à la fois grand et fin, réaliste et symbolique, construit et poétique. Et oui, disons-le : ça me ferait plaisir que tu le lises.

... Ah, et signalons-le aussi, on en parle trop peu souvent : le livre pour une fois est à la hauteur de son histoire. L'objet, je veux dire, avec sa couverture soyeuse et ses pages qu'on a plaisir à tourner. Les éditions Plon ont réussi leur coup en revoyant intégralement maquette et charte graphique. Il était temps, franchement, ils partaient de très loin. Les ombres de Sigolène Vinson le méritent bien, en attendant 2016.

 

Commentaires

  • Je n'ai lu que Le caillou (mais j'ai lu aussi les polars de S. Vinson avec P. Kleinmann), un roman tendre et fort, très lent, très beau

  • ... alors il ne manque vraiment plus que celui-là !
    (j'irai regarder du côté des polars aussi)

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