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Te quiero

jp zooey, margot nguyen beraud, te quiero, asphalteBonnie but la moitié de son verre en deux gorgées, puis dit :
« J'ai envie de faire l'amour avec un petit cœur doux et tiède.
- Ah bon, répondit Clyde.
- Le malaxer d'abord, puis l'avoir en moi pendant qu'il bat toujours. »
Clyde songea qu'elle essayait de la provoquer ; il prit un air supérieur, fit mine de n'en avoir rien à faire et se gratta la barbe.
« Mais là, il me faut un moment de silence », dit Bonnie.

(J.P. Zooey, Te quiero, ed. Asphalte - p. 18)

C'était l'année dernière, dans un avion pour Madrid.
Quelques mois plus tôt, j'avais commencé à apprendre l'espagnol dans un manuel (leçon 29 : l'imparfait du subjonctif), et l'heure était venue de confronter mon castillan au monde réel.
A ma gauche, côté hublot, il y avait une jeune femme. Discrète, svelte, jeans et chemise à carreaux, une coiffure à la Jeanne d'Arc qui commençait à s'émanciper, elle avait le regard vif et un piercing au nez adorable. Elle était plongée dans un roman - mieux, encore : elle était plongée dans un roman et elle riait.

Le livre était en espagnol, son titre me faisait face et disait te quiero
La jeune femme au rire malicieux, elle, était française. Traductrice, elle allait régulièrement en Espagne pour chercher les romans qu'elle pourrait avoir envie de traduire, et rêver de châteaux qu'elle pourrait y construire ou d'un deux-pièces à Lavapies.
- Et pourquoi pas celui-là ? j'ai demandé. Ils ne sont pas si nombreux, les livres qui font rire.
Elle a dit qu'en effet, pourquoi pas, et au-dessus des Pyrénées nous sommes tombés d'accord : si elle le traduisait, elle laisserait le titre originel.

Quelques jours plus tard, nous partions tous les deux à l'assaut des moulins à vent dans la Mancha.
Mon espagnol a progressé, un peu, mais pas au point de lire en VO.
Et voilà qu'un an après, Te quiero paraît en français. Avec son titre originel.

L'histoire ? Ah oui, bien sûr.
C'est celle de Bonnie et de Clyde, à Buenos Aires. "Lui se consacre entièrement à l'écriture, elle étudie le stylisme sans conviction ; chacun vit avec son chat.", dit la 4e de couverture.
Clyde, c'est le gentil paumé, celui qui a plus peur d'exister que de mourir, et qui mange dans la main de Bonnie, l'irrésistible pulsionnelle – celle qui un instant exige la tendresse de Clyde, et la seconde d'après propose qu'ils aillent ensemble aller braquer un zoo.

Le roman est court (120 pages) et comme les chansons d'amour, il joue suffisamment de l'ellipse pour qu'on s'y projette. On a tous en nous un côté Clyde, on connaît tous une Bonnie, réelle ou non, qu'on a tour à tour envie de prendre dans ses bras ou d'emmener au bout du monde comme une traductrice de l'espagnol.
L'écriture, elle, à la fois monocorde et colorée, reflète à la perfection (JP Zooey est un pseudo, je parierais que l'auteur a moult romans derrière lui) les flous d'une relation naissante, entre maladresse et poésie, obsessions et troubles de l'attention. Le monde glisse sur les deux personnages à moins que ce ne soit l'inverse, et bizarrement le livre, lui, ne glisse pas. Une semaine plus tard il en reste plus que des traces : sa charge hardie contre les écrivains postmodernes, les sarcasmes de Bonnie contre les auteurs-de-statuts-facebook, et ce style entêtant...

Sur ce je vous laisse, j'ai très envie de faire l'amour à un petit cœur doux et tiède.

A bientôt

 J.P. Zooey, 'Te quiero', éd. Asphalte – traduit de l'espagnol par Margot Nguyen Béraud.

 

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