La première question question qui vient, quand vous dites que vous écrivez des livres, c’est : « Quel genre ? »
Et bien sûr, à moins que n’ayez choisi de vous n’écrire que du polar, ou du roman historique, ou du dinoporn (ça existe), vous ne savez jamais quoi répondre.
Parce qu’évidemment, vos livres empruntent un peu à tous les genres, et surtout à aucun.
Parfois, des critiques professionnels auront tenté de classer vos romans. Ils auront noté que le premier était "une fantaisie plus grave qu'il n'y paraît", que le deuxième était à la fois un récit et un roman, que le dernier relevait autant du conte que du roman réaliste… Vous y repensez, et vous soupirez. Parce que vous savez le sort qu’on réserve aux œuvres "entre deux genres" : quatre-vingt dix-neuf fois sur cent, elles tombent dans le trou béant qui se trouve au milieu.
Et puis, une fois sur cent, c’est la grâce : le livre à cheval entre les genres embrasse les deux à la fois, et soudain bim ! un grand roman apparaît.
C’est le cas de ce Circé qui vient de paraître.
L’histoire de la déesse sorcière qui recueillit Ulysse, fille rejetée d’Hélios et d’une nymphe de l’Olympe, exilée seule sur son île et qui pourtant, dans sa vie d’immortelle, croisera et aidera Prométhée, Dédale, Médée, Jason - et d’autres mais je les passe, car je compte bien que vous lisiez ce livre et je m’en voudrais de divulgâcher, alors que le suspense est réel.
Circé, donc, c’est un roman sans genre et qui les embrasse tous. Il a le romanesque d’un récit mythologique, la profondeur d’un roman psychologique, la puissance d’un portrait au regard mystérieux. Une réécriture féministe de l’Iliade, dira l’éditeur américain (le livre y a été n°1, je crois) : le qualificatif un peu facile m’avait rendu sceptique, mais après ces 400 pages, je dois reconnaître que c’est vrai. La Circé de Madeline Miller n’a rien, mais alors rien à envier à celle des "Contes et légendes" que je dévorais enfant, et elle éclaire d’un jour nouveau toute la mythologie grecque.
Et quand on sait que cette mythologie s’est construite en épisodes successifs, je me demande si elle ne vient pas d’y ajouter une figure nouvelle.
Entre ici, Madeline Miller, etc.
Et bravo.
Ah ! Si, quand même, je dois te prévenir : les dix premières pages sont un peu ardues - c’est qu’il faut bien entrer dans ce monde où Dieux et nymphes sont éternels et se font la guerre - mais une fois l’histoire lancée, elle ne faiblira pas.
Comme quoi l’éternité ce n’est pas si long, sauf peut-être au début.
Madeline Miller, Circé, ed. rue fromentin, 428 p.