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Le lien social... dort sous l’attente

Hier midi, Augustin Legrand en aparté.
Il raconte son Canal à lui, la fraternité et l’alcool mauvais, les renaissances et les renoncements, la détresse morale et l’envie de pisser, les tentes et l’attente. Fort. Il n’est pas dans la communication, quoi qu’on dise, mais son engagement est communicatif.

Il raconte que quand il est parti, en décembre, il avait obtenu de Borloo que des travailleurs sociaux prennent son relais pour tenir le camp – au moins 5 ou 6 gars, dit-il, pour éviter que tout parte à vau l’eau. Mais qu’à la place, on a relogé les sans-abri les moins désocialisés, ceux qui avaient pris des leurs responsabilités dans le camp, que pour les autres on a dépêché quelques guichets sur pattes qui n’ont pu que constater. Décalage. Car un ministre, tout Borloo qu’il soit, n’aura jamais à sa disposition des « gars » - juste des professionnels dûment formés et diplômés, des qui ont fait des maths et qui connaissent les procédures.
C’était impressionnant, ce bon sens qui se heurtait à la machine étatique. Don Quichotte, vraiment.

On se dit qu’il faut avoir le temps, mais on ment, bien sûr, c’est une question de courage. Etre assez fort un jour pour suivre un plus Legrand que soi, voilà une ambition.

Plus tard, dans le métro, un vagabond insulte toute la rame en brandissant sa canette de 8°6. Il descend Gare du Nord, jette sa bière sur le quai dans un dernier juron. Je me retourne, ramasse la canette, la mets dans la poubelle. Quand je relève les yeux, je croise ceux d’un jeune type, qui me dit Merci. Peut-être parce qu’il est maghrébin, comme l’autre. Peut-être pas.
- Je l’aurais fait, mais tu as été plus rapide, il ajoute.
Je suis sûr qu’il n’en est rien, mais je sais exactement ce qu’il ressent.
Alors, quand au bout du couloir il me tient la porte ostensiblement et m’oblige à hâter le pas, je le fais avec plaisir.

Le soir. Ça n’était pas prévu mais nous longeons le canal, en route pour une soirée de jeunes entrepreneurs dans le vent, le genre qui a quelque chose à vendre et surtout soi-même.
Près du campement tout est calme. De ce côté du trottoir, quand on passe au large, on ne peut pas imaginer ce qui se vit vraiment. Nous croisons quelques silhouettes fantômes, un Polonais anime son coin en faisant la manche avec des gestes italiens, un aviné quémande une clope. Calme. En marchant je raconte ce que j’ai entendu à midi, nous causons SDF et solutions, associations et relogements, conscients de la triste ironie de la situation lorsque nous refusons une sollicitation.
Faubourg du Temple, au pied du distributeur LCL, un type est assis, fatigué, le regard dans le vague, tout semble las et surtout ce bras qui tient un mini-tupperware. Il ne demande rien, il y a juste ce bras. C’est lui qui aura ma pièce.

Il y avait de la chaleur dans son Merci, nous avons échangé un « Bonne soirée », sincère mais dérisoire.
Finalement nous n’y sommes pas allés, chez les yuppies, nous avons repris le canal, à rebrousse-poil, jusqu’à un café tout simple. Et, oui, j’ai passé une excellente soirée.

Commentaires

  • Dehors, on n'a pas fini d'ignorer la vie qui se passe. Canal Saint Martin, à deux pas de chez moi. Métro Bonne nouvelle, il y a toujours ce type allongé au même endroit, il pourrait être endormi depuis trois mois, ou mort, mais la chaleur de son corps persiste. Peut-être la chaleur de la rame. Ce matin, je ne l'ai pas vu. Une place vide et deux gamines assises.

  • Cher second flore, que n'ya t'il pas plus de reportages tels que ce récit dans nos gazettes; ça réchaufferait autrement les consciences de gauche...

  • Toi, ta pièce, tu l'as donnée au mini-tupperware en bout de bras et, autre jour, autre lieu mais même canal, celui qu'on remonte souvent à "rebrousse-poil", la vie, moi j'ai filée la mienne à celui qui me demandait si je n'avais pas un ou deux soleils pour lui... Parce que, ché pas, si, la formule m'a plu. La tienne aussi d'ailleurs, "être assez fort un jour pour suivre un plus Legrand que soi". Don(t) acte...

  • > Arnaud : exactment. on s'habitue, on ne voit plus... et puis un jour, on remarque juste, et on ose à peine se demander.

    > Castor : lu ce commentaire juste avant, puis après un mail de gauche... belle ironie dramatique ;-)

    > Kiki : merci... très joli en effet, le coupe des soleils.
    Je me souviens d'un type dans le métro, il commençait en chanson, scandant bien sa phrase :
    "je cherche fortune / tout au long / du métro"
    Je suis sûr que beaucoup comme moi cherchaient les rimes, je pariais déjà sur "thune"... et puis non, il a arrêté de chanter. "Bon, je rois qu'c'est clair, non ?"
    La quête fut moyenne, je crois.

  • Intéressant ce "qui avaient pris des/ leurs responsabilités dans le camp"...


    Et une belle note, très juste, comme toujours...

  • Ouh là, je viens juste de comprendre le jeu de mot, fatiguée je suis ;-). Tu sais bien décrire les problèmes en tout cas, bravo pour ton humanité

  • > Pandore / Cassiopée : merci... c'est la première fois, en fait, que je me lève en pleine nuit pour écrire une note ici...

  • Des tentes à la soirée yuppies, le grand écart est violent. Trouver une place sans fermer les yeux ? Bon choix, le café du coin.

  • > Esperluette : il y avait du monde aussi dans les cafés branchés donnant juste sur les tentes. C'est idiot, hein, mais là je n'aurais pas pu...

  • Nouvelle venue dans les comms mais pas sur votre blog, peut-être parce que cette note m'a encore un peu plus touchée que les autres...
    Alors qu'il neigeait l'autre jour, ma fille de 4 ans m'a demandé si je pensais que le "Monsieur" qui vivait dehors et à qui elle avait donné une pièce était mort de froid... et d'ajouter "on a de la chance hein Maman" ?
    La conscience de l'injustice sociale commence certainement déjà à cet âge... le tout peut-être est de savoir l'entretenir pour garder un peu d'espoir.. ?

  • Très belle note monsieur Vermot. Franchement, très sensible... Si, si.

  • > Bridget : bienvenue dans les comms, alors... (il me semble bien vos avoir déjà croisée chez Mlle O', ou dans les comms riants de la FAPM)
    Elle est un peu spéciale pour moi aussi, cette note ; devenir pleinement adulte sans renier sa conscience d'enfant, voilà le défi.

    > Mandor : merci, Président... et pourtant elle n'était pas sur l'almanach ! ;-)

  • C'est incroyable qu'on est encore besoin des restaus du coeur et de la famille Legrand en 2007.
    Dommage qu'il faille regrouper les SDF au bord d'un canal bien visible pour faire prendre conscience aux responsables politiques.
    J'ai pourtant le sentiment que depuis longtemps, les électeurs, le peuple français voudraient qu'on règle ce problème…
    :-)

  • > Filaplomb: Ils le veulent bien, oui, jusqu'à ce qu'on leur dise que pour cela il faudrait quand même leur prendre un peu de sous...
    Et comme les élections ont lieu au printemps, l'émotion est passée... Triste rengaine. A suivre, donc...

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