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  • Success stories

    Où après, promis, on ne reparlera plus de Philippe Claudel

    Le succès, donc.
    Je ne sais pas trop ce que c'est, que de soudain devenir "auteur-à-succès" (ou n'importe-quoi-à-succès), ou Philippe Claudel, mais à raison de 50 000 interviews par semaine sur le sujet dans les médias, on finit par se faire une idée.
    Donc.
    J'ai cru comprendre que ça vous prend assez souvent par surprise, le succès, et j'imagine qu'en gros, on peut choisir :
    1. d’en faire ce qu’on veut (au risque de le perdre)
    2. de confier à quelqu’un d’autre le soin de le faire fructifier (et le subir)

    J’imagine aussi que quand le succès vient, arrivent avec lui quelques types souvent très sympas qui poussent au choix n°2. Avec un carnet de chèques plutôt tentant et des paroles rassurantes – "T’inquiète, ça roule".
    Ça roule.
    L’image qui me vient, là, c’est celle du tapis roulant : dès lors que l’éditeur/producteur/whateveur, bref : dès lors que le Décideur a la main sur le calendrier (il me fait ton truc pour juin, coco, je me suis déjà engagé à livrer pour septembre), le tapis avance à son rythme, plus de retour en arrière possible, et pas de bouton d’arrête d’urgence, on ne peut descendre qu’en sautant en marche - et ne compte pas remonter dessus avant longtemps.

    Et sur ce, hop, on s’y remet, loin des dangers de la gloire.
    Pour le plaisir.
    Roulez jeunesse.

  • L'auteur qui fait son cinéma

    Ah ! On aimerait trouver les bons mots pour parler des bons livres, de Jérôme Ferrari ou de Patrick Goujon, et puis…

    … Et puis on tombe sur "L’Enquête", de Philippe Claudel.
    on_a_lu_l_enquete_de_philippe_claudel_article.jpgDe Claudel, j’avais retenu la finesse d’écriture des Ames grises – un texte lent mais qui vous enveloppait, un texte d’atmosphère qui le temps de la lecture transportait ailleurs.
    Je n’avais rien lu de lui depuis, mais l’envie de temps en temps me titillait. Entre temps, le Grantauteur s’était mis au cinéma ; les bandes annonces de ses deux films étaient désespérantes, mais après tout ce n’était pas bien grave.
    Alors quand l’autre jour je suis tombé sur L’Enquête, j’ai voulu voir. Si la magie du texte fonctionnait encore, après la gloire, après l’image. Certes, le sujet était casse-gueule (l’Entreprise, et les suicides corporate), mais pourtant j’ai ouvert le livre plutôt confiant.

    Ha !

    Les deux premières pages étaient conformes à mes souvenirs de l’auteur, puis page 3 une sorte de gag maladroit m’a mis la puce à l’oreille : visiblement l’auteur avait quelque chose à nous dire. Danger !
    Certes, il pouvait encore le dire bien. Avec style – c’est à dire avec un style qui ne se fasse pas remarquer. La finesse des Ames grises me laissait un espoir. Las ! Je vous épargne les détails, de toute façon vous n’avez pas lu L’Enquête et ne le lirez pas (ou alors, parlons-en).
    Claudel a choisi pour son sujet de jouer la carte de l’absurde, mais avec la finesse d’un éléphant. "Entre Kafka et Aldous Huxley", écrit Le Point. Ah ? Sans aller jusqu’à réveiller les classiques, il existe pourtant d’excellents exemples d’absurde contemporain – le Martin Page de Comment je suis devenu stupide ou de La difficulté d’être soi, le Benoît Duteurtre de Service clientèle et de La petite fille et la cigarette… Mais peut-être Claudel n’a-t-il pas eu le temps de les lire.
    Dans la première partie, le moindre petit élément comique est souligné par une remarque candide l’Enquêteur (tous les personnages sont ainsi nommés, avec une majuscule, pour souligner délicatement leur côté Universel), l’histoire sans cesse se commente elle-même, les ficelles ont la taille de câbles de fibre optique, quant aux métaphores…
    La narration elle-même est bâclée, comme s’il s’agissait moins de créer une atmosphère par les mots que de jeter sur le papier les intentions pour un film à venir – là on imaginerait un décor comme ça, le garde ressemblerait à ça, pour cette scène insister sur la bouche des personnages.
    Bref : Claudel fait son cinéma.

    J’admets, c'est un procès d’intention. Le cinéma n’explique peut-être pas tout, me disais-je en attaquant la deuxième partie. Mais devant ce florilège de maladresses, devant ce foutage de gueule manifeste, j’ai pensé que Claudel pouvait être victime du syndrôme Eric-Emmanuel Schmitt.

    Le syndrôme Eric-Emmanuel Schmitt, en un mot, c’est sa propre vessie que l’auteur prend pour une lanterne.
    Nous autres simples mortels avons tous connu ça : une idée qui paraît séduisante au premier abord, on pourrait illico acheter un aller simple pour l’Espagne pour aller y construire des châteaux, sauf qu’après une nuit de sommeil on se rend compte que l’Idée Géniale ne pisse pas très loin.
    Eric-Emmanuel, lui, ne s’embarrasse pas de nuits de réflexion. Quand il a une idée, il la trouve géniale, et hop! il avance. Au pire le livre ne fera que 120 pages, mais qui s’en soucie ? De toute façon pas le temps de relire, hein, l’éditeur a déjà programmé le livre et il attend le texte, de toute façon il se vendra par cartons entiers, pourquoi s’emmerder ?

    J’exagère. Evidemment.
    Si ça se trouve, Philippe Claudel a simplement voulu tenter un truc, et il n’a pas réussi. Ça aussi, on connaît tous.
    Peut-être même s’est-il rendu compte qu’il allait dans le mur (page 203, son personnage fonce littéralement dans un mur ; c’était peut-être un avertissement au lecteur). Mais Stock avait déjà promis son Claudel pour septembre, pas de marche arrière possible…

    ***

    J’avais écrit ça après la première partie du livre. La deuxième commence mieux mais s’achève dans une bouillie métaphysique que je n’ai pas pu suivre. Quant à la fameuse Enquête, ben… l’auteur s’en foutait encore plus que son personnage, apparemment.

    "Claudel donne l’impression d’avoir relu Le Procès à la lettre, d’avoir mal compris les didascalies de Beckett et faussement interprété Ionesco", écrit Assouline qui vient de me rassurer (j’ai lu sur L’Enquête des critiques positives de gens pourtant censés).

    Brisons-là. Veuillez pardonner ce mouvement d'humeur, ça va déjà mieux. La prochaine fois, promis, si je parle d’un livre, ce sera d’un bon.

  • L'épée de l'académicienne

    Ce matin vers huit heures vingt, j’ai été réveillé par une femme que je ne connaissais pas.
    Elle venait d’être élue à l’Académie Française au fauteuil de Maurice Druon, disait le journaliste de la radio nationale.
    Ha ! Mes dents étaient déjà toutes prêtes à grincer, mes oreilles à se moquer, mes yeux à se lever au ciel.
    Et puis…
    Le journaliste ne nous a pas rappelé le parcours de la dame, il lui a d’emblée posé la seule question qui vaille : à quoi sert un académicien ?
    arton16-b77d3.jpgEt contre toute attente, la dame a répondu. Bien, très bien, même. Elle avait la pensée sûre et la voix posée, on la sentait sans concession sur l'utilisation du subjonctif mais aussi sans chichis, et bizarrement elle n’a pas parlé de littérature, mais de la vie.
    Défendre la langue française ? Bien sûr, puisque c’est elle qui nous permet de penser notre pluralité et de rassembler ces gens d'origines différentes.
    Le grand enjeu ? L’enseigner, cette langue, donner envie, en commençant par apprendre à lire, notamment au CP. Intégrer par la langue, pour éviter de créer un fossé entre les gamins (tous les gamins) et la société.
    Sur la laïcité, sur l’enseignement, sur la vie de la langue, sur le français et la (le) politique, pendant dix minutes Danielle Sallenave a montré un chemin, sans effets de manche, et donné envie de la suivre, sans l’habit doré mais l’épée à la main. Parce qu’il semble parfois que la sagesse est un combat.
    Merci Madame, et bravo.
    Puisse-t-on vous inviter dans un an pour que vous nous disiez si l’Académie vous aura permis d'avancer sur ce chemin.

    PS - parmi les livres de Danielle Sallenave, je vois celui-ci : "Nous on n'aime pas lire". Ah, Madame, je sens que je vais vous envoyer "B.a.-ba". Ou mes élèves d'alphabétisation - vous voudriez bien les accueillir à l'Académie? Bien à vous.

  • Une star, une vraie

    Un vendredi à Lyon, rue St Hélène, 10h30.
    Depuis la rue de l’Université, je n’ai guère croisé que du 3e âge – c’est l’heure qui veut ça, pas la ville. Ou le hasard.
    Je tourne dans la rue Victor Hugo, sur un banc une demoiselle magnifique se protège du soleil dans les bras de son amoureux. velopub.jpgUn peu plus loin, dans l’autre sens, trois filles à vélo font de nouveau chuter la moyenne d’âge. Mais elles font la gueule et se font doubler par les ménagères en plein shopping.
    Je finis par comprendre qu’elles ne font pas du VeloV' entre copines mais du street marketing entre collègues, promenant derrière leurs gambettes dûment castées un double panneau publicitaire.
    Suchast*r, disent les lettres d’or sur fond noir.
    Au premier abord, j’ai pensé à une nouveauté des chocolats Suchard.
    Mais l’une des filles appuie sur ses pédales, me décoche un regard presque soulagé et me tend un flyer avec professionnalisme.

    Suchast*r, le site sur lequel vous êtes une st*r.

    Je me retourne : les filles ont remis les mains sur le guidon, elles promènent leur panneau mais ne distribuent aucun flyer. J’ai compris. Je souris.
    Un vendredi à Lyon, rue Victor Hugo, 10h36, je suis enfin une star.
    Salut les filles.

  • Lyon-Châteauroux (carnet de route)

    Ah ! C’était un beau week-end.

    C’est une librairie modeste au premier abord, au cœur de la Guillotière, à Lyon. Une librairie toute jeune – pas même deux ans, l’âge où on apprend à marcher (je crois qu’elle marche déjà).

    Je suis arrivé en avance. Je pensais faire un tour dans le quartier mais il était désert ; le sourire de Sylvain, le libraire, a fait le reste. Il a ouvert une porte au fond de sa librairie, c’est là que ça va se passer, il y avait là une trentaine de chaises, et la table basse derrière laquelle lui et moi nous installerions. J’ai quelques habitués qui devraient venir, m’a-t-il dit, mais on m’a déjà fait le coup quelques fois à Paris, j’avoue que je craignais le pire. Plus il y a de chaises, plus le vide paraît grand. Sylvain, lui, avait l’air confiant.

    Il m’a raconté l’histoire de sa librairie, nous avons causé alphabétisation, coquilles et édition. Nous avons parlé aussi des façons d’écrire, des écrivains qu’il avait reçus, de ceux qu’il rêvait d’inviter. Nous avons évoqué les livres comme des vins : Echenoz en petit vin fruité, parfait au goût mais qui s’arrête net au palais (et vers lequel on revient volontiers, pour la soif) ; et d’autres, âpres à l’attaque mais complexes à souhait, et d’une magistrale longueur en bouche. Un exemple ? "Où j’ai laissé mon âme" de Jérôme Ferrari, que je venais de voir en bonne place dans la réserve. Sans réserve le libraire m’a illico conseillé, du même auteur, Un dieu un animal. J’ai tenu à acheter le livre ici, en souvenir – c’est une partie méconnue du plaisir de lire, la façon dont un livre est venu à nous. On y reviendra.

    Il était 19h30, Sylvain a entrouvert la porte de l'arrière-salle. Derrière ils étaient plus de trente, venus pour le thème ou sur la foi de leur libraire. Et l’échange fut long, et la soirée fut belle. On en retiendra les rencontres, évidemment, et la chair de poule que Sylvain m’a donné en lisant le chapitre sur Philomène. On n’en dira pas plus, par pudeur. Mais on n’oubliera rien.

    On aura même envie de se souvenir de la suite.
    (J’ai pris ma voiture exprès. Vous montez ?)

    Le vendredi, traversée sous le soleil de la France du Centre, de Lyon à Châteauroux. L’arrière-pays lyonnais et ses villages méconnus à flanc de collines, une pause déjeuner qui s’étire dans la langueur de Roanne, la ville où les feux rouges durent plus longtemps. Un détour imprévu par Le Crozet, village médiéval au donjon dominant la vallée. Quelques emplettes à St-Pourçain. Les berges du Cher à Saint-Amand… Une nuit à l’abbaye chez le fondateur d’un futur courant littéraire (rappelle-toi, Erwan : le mouvement d’abord, le projet ensuite).
    Puis enfin le salon de Châteauroux, colonie de vacances pour adultes avec son lot de rencontres, de part et d’autre des stands… Mais cela, le sieur Larher vous le narrera bien mieux que moi.

    J’ai presque envie de dire Vive la France, tenez.
    Et merci Lyon.