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Décibel de jour

cri2.jpgBus, voitures, collégiens : mes fenêtres ont fini par s’insensibiliser aux bruits de la rue. Mais ce matin, une voix couvre tous les autres sons. C’est une voix d’homme, comme une engueulade entre amis sauf qu’il n’y a qu’une voix. J’entends : "Tu vas te calmer !" sur ce ton exaspéré qui jamais ne calme rien.

Badaud, j’ouvre la fenêtre. Sur le trottoir d’en face, un homme seul, téléphone à l’oreille. La quarantaine sèche et dégarnie, blouson et pantalon de costume, je parie sur un salarié du dépôt de bus, rue Belliard. Il s’y dirige tout droit.
- TU VAS TE CALMER, JE TE DIS !
La démarche est rapide, le visage raide. Si quelqu’un se trouvait sur son chemin il ne dévierait pas de sa trajectoire. Mais qui voudrait se trouver sur son chemin ? Un peu plus loin, deux salariées en pause clope changent de trottoir. 
- C’EST TOI LA PUTE. T’ES UNE PUTE PARCE QUE T'ES UNE FEMME. T’ES UNE SALOPE !
Il raccroche et accélère encore le pas, puis tourne dans la rue Belliard.
Une pensée pour la femme, un soupir pour ses collègues et je referme la fenêtre.

Quelques minutes plus tard, la voix de l’homme perce à nouveau les vitres. Toujours au téléphone, il retourne vers le boulevard au pas de charge.
- JE REPRENDS LE TRAVAIL MARDI.
Le ton a légèrement changé, pas le niveau de décibels. La rue entière s'est de nouveau arrêtée, tout le monde se demande s'il parle à la femme de tout à l'heure.
- MARDI, JE TE DIS.
A nouveau une pause, puis il reprend plus fort (c’était donc possible), en martelant chaque syllabe :

- JE REPRENDS LE TRAVAIL MARDI, MAMAN.

Il arrive déjà sur la place, notre bout de rue peut reprendre une activité normale.
Au moins jusqu'à mardi.

... et bonne fête maman.

Commentaires

  • Ah, une variation, décibels à don'f, sur la Maman et la Putain.
    Un grand classique du genre, que tu sais renouveler avec ton humour... :)

  • Ha ha ! Si j'avais pensé à faire le rapprochement... Voilà ce que c'est que d'écrire des notes sur le vif, le nez à la fenêtre
    (merci!^)

  • :)
    Vivent les notes sur le vif.

  • P'tain, y en a, ils me font mal aux cheveux... Vous n'aviez pas un pot de fleur à lancer malencontreusement ?

  • Vous avez raison, Volu, il m'arrive parfois d'avoir envie de crier depuis ma fenêtre, je pourrais me contenter de le dire avec des fleurs... ^

  • Vingt millions de Russes sont morts à la guerre, mais vingt millions aussi affrontent l'après-guerre sans toit. La plupart des enfants n'ont plus de père, la plupart des hommes encore vivants sont invalides. On croise à chaque coin de rue des manchots, des unijambistes, des culs-de-jatte. On voit partout aussi des bandes d'enfants livrés à eux-mêmes, enfants de parents morts à la guerre ou d'ennemis du peuple, enfants affamés, enfants voleurs, enfants assassins, enfants retournés à l'état sauvage, se déplaçant en hordes dangereuses, et au bénéfice desquels l'âge de la responsabilité criminelle, c'est-à-dire de la peine de mort, a été abaissé à douze ans.

    (...) Plus tard encore, ils vont chez Kostia dont la mère, veuve de guerre, proteste et se lamente quand ils s'enferment dans sa chambre pour continuer à boire. "Ta gueule, vieille chienne, répond élégamment son fils à travers la porte, sinon mon copain Ed va sortir t'enculer !"

    E. Carrère, LIMONOV

  • (Je t'ai lu dans mon lecteur rss, mais je tenais à repasser pour te dire tout le bien que je pense de ton titre.)

  • (de la part d'un maître, je suis flatté! repasse quand tu veux^)

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