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  • Qu'on me donne des gens qui se demandent si, pas des gens qui pensent que

    Je n'ai pas envie de parler du FN. Trente ans qu'il progresse, et ce n'est pas à cause de ce qu'il propose. C'est bien que la solution est ailleurs. Combattre les idées du FN, faire barrage, c'est bien gentil, mais...

    regionales carte fn 2015.pngDans les années 80, j'ai vu les débuts du Front National. Les premières affiches "La France aux Français", c'était étrange. D'ailleurs, ça ne mobilisait pas tant de monde que ça.
    Au début des années 90, j'ai vu grandir les mouvements anti-FN. Ils parlaient haut, ils étaient fiers, ils avaient conscience de leur grande importance.
    J'ai vu Ras l'Front devenir la principale école militante du PS : on apprenait à organiser des manifs, on enflammait des discours, on écrivait des tracts, on était prêts à tout po
    ur apparaître comme celui qui s'opposait le mieux au FN : c'était l'engagement d'une vie : on luttait contre le fascisme, quoi de plus noble, quoi de plus beau, quoi de plus urgent ?
    Evidemment, la Lutte laissait peu de temps pour penser au reste. L'économie, le chômage, la démocratie locale, les questions sociales ? Secondaire ! Mais construire des majorités, verrouiller un appareil, ça, on savait faire. Comment s'étonner qu'ils n'aient rien su faire du pouvoir une fois qu'ils l'ont eu ?
    Mais je saute des étapes...

    En 1997, j'ai vu la gauche pour la dernière fois faire naître un espoir. Ca a duré un temps, et puis l'usure. J'ai vu Lionel Jospin se laisser imposer une campagne par des Moscovici et des Séguéla. J'ai vu Jospin se retirer de la vie politique. Et ensuite, la chute.
    Après 2000, j'ai vu le PS désespérer ses militants. J'ai vu le PS désespérer ses cadres. J'ai vu le PS désespérer ses électeurs.
    Pendant dix ans, j’ai entendu les leaders de gauche parler de "tirer les leçons du 21 avril", j’ai entendu tous les éléphants du PS dire qu'il fallait "se remettre au travail".
    Je les ai vus ne surtout rien faire.
    Mais d'élection en élection, ça, on pouvait leur faire confiance, on allait être les meilleurs pour faire barrage au FN. Des mots, des mots, toujours les mêmes mots qui n'avaient plus prise ni sur la réalité ni sur les électeurs.

    (quand on y pense, c’est étrange, ce parti majoritaire qui ne sait plus se définir que contre son plus petit concurrent, comme si son désir inconscient était de le voir grandir, encore et toujours)

    En 2007, on a vu Sarkozy, et soudain la mécanique anti s'est remise en marche. Penser non, trop compliqué, mais dénoncer, ça oui, hein. On est entrés en résistance – t'as vu le slogan que je lui ai mis dans la gueule ? T'as vu ma tribune engagée ? Tout ça qui ne parlait qu'à des convaincus, l'entre-soi de la Résistance, comme une messe de l'anti-fascisme où on venait communier sans trop se soucier de ce qui se passait hors de l'église.
    Pendant ce temps, les gens commençaient à voter FN non pas pour la France aux Français, mais parce que c’était le meilleur moyen de dire Merde.
    Et on n'avait encore rien vu.

    En 2012, j'ai entendu le discours du Bourget. Et pour la suite, eh bien, on sait : le vide, les renoncements, la démission face aux lobbies, les reniements en douce (qui est-ce qui sabote en sous-main les projets européens de taxation des transactions financières? la France! youpi.). Qui peut blâmer l’électeur de s’être dit « tous les mêmes » ?

    Ce que je n’ai pas vu venir, en revanche, c’est la construction d’un discours officiel. Le discours bourgeois drapé de tendance, qui s'est mué en machine à exclure.
    Une pravda plus moderne et plus libérale que celle de l'URSS, mais presque aussi absurde : si le FN disait blanc, il fallait dire noir, il fallait surtout faire semblant que tout allait bien, ou que tout irait mieux.
    Pendant longtemps, il n’y a eu que des mots. Et puis on a commencé à dénoncer des dérapages, à exiger des démissions. A les obtenir.
    2015 n’a fait qu’accentuer le mouvement.
    Tu me diras que j’exagère, mais franchement, décentre-toi une minute, sens la morgue du camp du Bien, mets-toi à la place de celui que tu dénonces et tu verras qu’il n’a pas forcément tort de penser que c’est lui qui entre en résistance. En résistance contre cette unanimité "de bobo" (à chaque camp ses mots qui évitent de penser), le je-suis-charlisme comme un début de totalitarisme.
    Alors dans l’isoloir, ils ont dit Merde encore plus fort.
    Et pour dimanche prochain, on verra bien.

    Alors, quoi ? me demanderas-tu.
    Bonne question.
    Je n’ai pas la réponse ici, en tout cas pas toute faite.
    (Qu'on me donne des gens qui se demandent si, pas des gens qui pensent que!)

    Je voulais peut-être simplement te dire que ça ne va pas suffire, d’être contre le FN.
    Qu’il va aussi falloir de la force, beaucoup de force, pour être Pour quelque chose, et ne plus se contenter de mots – fussent-ils de bons mots. Je sais, ce n’est pas le plus simple. Voilà pourquoi il va falloir qu’on fasse ça ensemble.
    Tu viens ?

     

  • Des lettres (beaucoup, beaucoup mieux que des mots)

    Après janvier, je me souviens, j'avais développé une brève mais sévère allergie à tout cynisme. Après le 13 novembre, c'est une allergie aux mots qui m'a pris. Les mots qu'on répète en boucle à la radio une nuit d'attente, les grands mots dégainé dès le lendemain par les responsables politiques et qui semblaient les griser, et puis un peu partout, sur les réseaux sociaux ou dans la rue, des gens qui emploient des mots trop grands pour eux comme d'autres pètent plus haut que leur cul (salut à toi, « résistant » de novembre).

    terzani, lettres, guerre, terrorisme, visionnaire, sagesseComme en janvier, j'ai pensé qu'il me faudrait des semaines avant de pouvoir rouvrir un livre sans que tout ne me paraisse futile... Et puis non. Il se trouve que le 13 novembre au matin est paru chez Intervalles un petit livre pas du tout dans l'actualité : un recueil de lettres publiées en 2002 par le journaliste-écrivain-voyageur Tiziano Terzani.
    Ces Lettres contre la guerre, Terzani les a écrites au lendemain du 11 septembre. Terzani avait 60 ans à l'époque, il en avait vu d'autres, mais ça, non, jamais. Comme tout le monde, il s'est dit que plus rien ne serait comme avant. Comme beaucoup d'entre nous juste après Charlie, il s'est dit qu'il fallait faire quelque chose... et il l'a fait, pour de vrai. Il est sorti de sa retraite, il a fui les discours va-t-en-guerre et éteint sa télévision, et il est parti voir le monde de plus près : au Pakistan, en Afghanistan, en Inde.
    Il écrit ses lettres de là-bas, avec une curiosité qui n'a d'égale que que sa lucidité.

    "Le genre d'avenir qui nous attend dépend de comment nous réagirons à cette horrible provocation, de comment nous verrons notre histoire actuelle à l'échelle de celle de l'humanité. Tant que nous penserons avoir le monopole du "Bien", tant que nous parlerons de notre civilisation comme de la civilisation en ignorant les autres, nous ne serons pas sur la bonne voie."
    (Tizio Terzani, Lettres contre la guerre, p. 70)

    Une lucidité sur les mécanismes qui régissent le monde, à petite comme à grande échelle, et qui devient visionnaire quand il écrit, fin octobre 2001 :
    Je voulais voir de près les conséquences de la guerre en Afghanistan (...) pour comprendre ce qui arrivera au reste du monde – notre monde à tous – quand cette guerre se déplacera vraisemblablement d'ici en Irak, en Somalie, au Soudan, peut-être en Syrie.

    Sur place il comprend comme une évidence (et nous avec lui) que la première de ces conséquences ne peut être que le terrorisme, dans une « guerre » qui ne peut avoir de fin.
    "Se peut-il qu'en Europe si peu de voix se soient élevées contre cette rigidité quasi-suicidaire de l'Amérique ?" continue-t-il. Ces même voix européennes qui, quinze ans plus tard, parlent "d'actes de guerre" et de "détruire" l'ennemi...

    Il n'y a que de la sagesse dans les 160 pages de ces Lettres qui ne se paient jamais de mots. De la sagesse, des rencontres, de la vie, et un exemple à suivre. Celui de toujours se décentrer pour mieux penser, de chercher à comprendre le point de vue de l'autre avant de répondre.

    Bien plus que d'une coalition contre le terrorisme, le monde a besoin d'une coalition contre la pauvreté, contre l'exploitation, contre l'intolérance.

    … Et je pourrais continuer mais je m'arrête là, déjà trop de mots alors que je n'ai que deux phrases à ajouter.

    Lis Terzani. Offre Terzani.
    Merci.