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  • Marguerite ne s'occupe pas que de ses fesses

    larher, marguerite, fesses, quidam« Vous vous souvenez de ma réélection avec 85 % des voix ?
    - Contre le candidat d'extrême-droite, oui.
    - Vous vous souvenez de ce que j'ai fait ensuite ?
    - Non ?
    - Voilà.
    - Voilà quoi ?
    - Vous ne vous souvenez pas de ce que j'ai fait ensuite parce que je n'ai rien fait. »

    (Erwan Larher, Marguerite n'aime pas ses fesses, Quidam éd., p. 112(!))

    C'est l'histoire d'un vieux président qui perd un peu la boule mais garde son aura, dans un contexte de mystérieux attentats politiques.
    C'est l'histoire de Marguerite, qui peine à écrire les Mémoires de l'Ex avec ses souvenirs à trous. De Marguerite la frigide qui, pour une fois, ne s'occupe pas que de ses fesses (qu'elle n'aime pas) et se découvre d'étranges pulsions...

    Il y a de la politique, du sexe, et un peu des deux mélangés. J'allais vous dire qu'on retrouve là les thèmes de prédilection de Larher, je m'apprêtais à développer... et puis j'ai retrouvé ce que j'écrivais, dans Standard, de son premier roman (Qu'avez-vous fait de moi?), en 2010 :

    ... Sur un rythme parfait, sans excès de vitesse ni temps mort, Erwan Larher réussit à plonger son personnage et le lecteur dans un engrenage parfaitement maîtrisé, toujours à la limite entre réalité et fantasme, jusqu’au dénouement final, vraiment réussi. Ce n’est pas si fréquent.

    Bam! Je ne saurais mieux dire. Quatre romans et quelques événements plus tard, tout ça reste vrai.
    Et même un peu plus.
    Avec ce foisonnement de protagonistes qu'il maîtrise parfaitement depuis Entre toutes les femmes.
    Avec ce mélange, toujours, de je et de nous (salut à toi, trentenaire engagé(e) sur les réseaux sociaux).
    Avec ce style toujours inventif, où la recherche de la truculence à tout prix (qui pouvait parfois plomber la narration) laisse de plus en plus de place aux voix des protagonistes. Jamais Larher ne s'était aussi bien effacé derrière ses personnages – lisez-moi donc cette tirade homérique d'un flic tendance FN, vous m'en donnerez des nouvelles.

    Bref, Marguerite n'aime pas ses fesses mais ce n'est pas grave, on est comme Larher, on préfère regarder devant.

     

  • Lost in traduction

    traduction, tifs, recoursé, godefroyJe voulais ajouter un mot à ce post sur Les Tifs, à propos de la traduction.

    Je n'en ferai pas des tonnes parce que Charles Recoursé, le traducteur, est un ami – je laisserai les louanges à d'autres lecteurs plus objectifs. Ce que je voulais saluer, ici, c'est l'avant-propos demandé par l'éditeur – une sorte de courte préface où le traducteur évoque le livre en VO, son enthousiasme pour le texte, ses défis de traduction et les choix qu'il a opérés – trois pages qui suffisent à instaurer avec le texte un rapport particulier.
    L'exercice est trop rare, je trouve.

    … Mais tous les traducteurs n'ont peut-être pas quelque chose à dire sur les romans qu'ils traduisent.
    Plus je m'intéresse au sujet, plus je constate qu'il existe deux types de traducteurs – disons plutôt, deux types de traductions, deux métiers bien distincts qu'il serait dommage de confondre.

    D'un côté, ceux/celles qui s'attaquent à des textes délicats (dans tous les sens du terme) et s'efforcent d'en restituer la langue, le rythme, la poésie, l'atmosphère... En vérité c'est un double métier, à la fois lecteur et auteur, qui demande de l'empathie, du temps, de l'énergie, de l'amour. Et il en faut, de l'amour, pour ne compter ni ses heures, ni les signes, ni les canettes de Red Bull quand on traduit 700 pages truffées de références, de sens cachés et de chapitres épiques (Le Roi Pâle, David Foster Wallace), ou un petit roman de 100 pages où chaque phrase compose une ambiance (La douleur porte un costume de plumes, Max Porter).
    De l'amour, c'est ce qu'on trouvera dans les récits d'André Markovicz quand il retraduit Dostoievski, ou quand on écoute Philip Aronson raconter la traduction des
    Frères Sisters, de Patrick deWitt... et je ne parle là que de quelques exemples que je connais – il faudrait aussi saluer tous les traducteurs qui ont su parfaitement s'effacer devant le texte original pour que je ne retienne que le nom de l'auteur.

    ... De l'autre côté, encore plus nombreux, les traducteurs alimentaires qui traduisent au kilomètre des textes écrits avec autant de talent que 50 Shades et/ou autant d'amour qu'un business case de marketing. Et je ne jette pas la pierre !
    D'abord parce que j'en ai traduit, moi, des pages de marketing. Ensuite parce qu'il faut bien avoir en tête que traducteur reste, dans la plupart des cas, un métier sous-payé.
    Il y a deux ans, j'avais fait un test pour traduire des thrillers psychologiques (frisson!) chez un éditeur qui ne manque pas de capitaux. Le test avait été concluant, l'éditrice m'a contacté, ele m'a fait ses compliments... puis m'a proposé un salaire qui, si j'avais voulu faire le boulot correctement, aurait été inférieur au Smic horaire. J'ai refusé. Mais je comprends mieux pourquoi on trouve autant de traductions plus ou moins bâclées et truffés d'anglicismes, si littérales qu'on a parfois de lire la VO en surimpression. Des textes aux phrases gonflées, parce que les traducteurs sont payés au nombre de signes français, et qui finissent par composer une langue à part.

    En revoyant la traduction de deux textes made in USA, récemment, je me disais que :
    1. personne n'écrirait comme ça en français aujourd'hui (salut à toi, passé simple dans les dialogues ! salut à vous, participes présents !)...
    mais 2. à force de lire polars, romances et thrillers américains, je soupçonne que les lecteurs (et certains auteurs?) finissent par prendre l'habitude de cette nouvelle langue : le français-traduit-de-l'anglais...
    Un jour peut-être, je m'amuserai à écrire un chapitre dans cette langue-là. Je suis sûr que ça influerait à la fois sur la langue, mais aussi sur la façon de raconter les histoires.

    Bref ! Tout ça pour dire que j'espère très sincèrement que les traduction littéraires sont (beaucoup) mieux payées que les traductions alimentaires.
    Malheureusement, je doute que ce soit le cas.

    Je ne peux donc que renouveler mon admiration à tous les traducteurs qui m'ont fait aimer des auteurs du monde entier, et dont je n'ai jamais retenu le nom.
    Un jour, j'espère, j'aurai plaisir à marcher (en toute modestie) dans leurs pas.

    En attendant, je me ferai peut-être les dents sur un roman alimentaire. Que ceci soit ma lettre de candidature !

     

    Illustration : Félix Godefroy pour "Les Tifs" (éd. Le Tripode)

  • Les Tifs, Charles S. Wright

     Où l'on décide qu'on continuera à bloguer quand ça vaudra vraiment le coup.
    Et où l'on s'abstiendra (non sans fierté) de tout jeu de mots sur le titre de ce livre.
    Hop.

    Les Tifs, Charles Wright, Tripode, Recoursé, Scot-Heron"J'étais aux abois. Tous les trois mois, mon ventre pas plus épais que du papier à cigarette se remettait à grouiller. Pendant ces jours de jeûne, j'étais d'une humeur de dogue. J'avais du mal à garder le sourire ; tout le monde semblait foncer en première classe vers les horizons de la Grande Société, et moi, je restais sur la touche (…)"
    Charles Stevenson Wright, Les Tifs, p. 1 (trad. Charles Recoursé)

    Tous les éditeurs te le diront : publier un livre, c'est une aventure. C'est vrai. Mais il y a l'équipée du 'coup éditorial' (tiens, si on misait sur ça?), et l'aventure un peu folle dans laquelle on se lance par amour.
    Et quand on aime, on ne compte pas. Ou alors, différemment.
    Parce que s'ils comptaient, les éditions du Tripode (entre autres aventures encore plus folles) n'auraient sans doute pas publié Charles Stevenson Wright. Encore moins en ajoutant au texte des illustrations contemporaines (de Félix Godefroy, franchement réussies).
    Mettons-nous à leur place : pourquoi donc publier un texte écrit dans les années 60 par un métis new-yorkais à peu près inconnu, sorte d'autofiction avant la lettre sur fond de luttes raciales ?
    La réponse est dans le livre : parce que c'est bon ; parce qu'on n'avait pas encore jamais vraiment lu de texte comme ça. Autant de raisons qui ne garantissent pas le succès - Les Tifs, d'ailleurs, n'en eurent aucun à leur sortie, en 1966 - mais qui, parfois, font des miracles. Bref.

    Le livre en deux mots ? Lester, le narrateur, découvre un produit miracle pour lisser ses cheveux crépus. Avec Les Tifs, tout semble possible : sortir de sa condition de Noir, s'inventer des origines, choper la fille de ses rêves couleur caramel ("une fille extra à la peau fauve, qui jouait avec ses gants blancs et détournait ses yeux injectés de jaune et de rouge comme des œufs au bacon"), des comptes en banque et des chaussures classe - tout, quoi.

    les tifs tripode wright recoursé godefroySûr de son nouveau pouvoir, Lester sort de son taudis de Harlem et se mesure au monde extérieur. On y croise des travestis et des prostituées plus ou moins flamboyantes, de l'herbe (pas celle de Central Park) et du mauvais vin, un chauffeur de taxi effrayé à l'idée d'avoir deux nègres sur sa banquette arrière, une gloire déchue du cinéma et mille autres silhouettes croquées en une page. On y passe une audition pour faire un disque après s'être pointé au flan au siège de la maison de disques, on y gagne une bataille épique contre des rats chez une voisine, on y fuit les poulets pour finir par trouver un boulot qui...

    Mais je ne t'en dis pas plus, je te laisse découvrir, et tu verras, au bout des 200 pages, tu pourras dire que toi aussi, un jour tu as été Noir à New-York dans les années 60, et que désormais tu as dans ta bibliothèque un livre qui compte.

    Bonus pour ceux qui suivent

    Il y a deux ans, toujours grâce au Tripode, j'avais découvert Le Messager, le premier roman de Wright.
    Il y avait là quelque chose de neuf – une façon éthérée de parler des bas-fonds, peut-être, et le rythme du récit, entêtant comme un vieux blues.

    Les Tifs reste dans le blues, mais côté balade, se mêlant à d'autres styles à mesure que Lester parcourt les rues de Manhattan. En l'écoutant, j'avais en tête le Blinded by the light du jeune Bruce S. (Mama always told me not to look into the sight of the sun / Oh but Mama that's where the fun is) – et plus encore The revolution will not be televised de Gil Scott-Heron, pour la radicalité du texte et la douceur du beat. Le titre date de 1970, quatre ans après Les Tifs mais en lisant, tu comprendras, Wright était clairement en avance.

    De rien.