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  • 14 Juillet (Eric Vuillard)

    eric vuillard, 14 juillet, bastille, unjourmoiaussiC'est un grand livre de 198 pages, dont l'histoire tient dans le titre.

    Un livre à hauteur de peuple, qui raconte un immense coup de chaud collectif en donnant vie à des archives froides – rapports de police, registres ou carnets d'anonymes. C'est un talent en soi, que de savoir faire parler ces documents, comme Carrère l'avait fait avec les Actes des Apôtres (Le Royaume), Philippe Jaenada avec les archives de Pauline Dubuisson (La petite femelle) ou encore Sylvain Pattieu avec un obscur meurtre des années 20 à Marseille (Le bonheur triste rengaine).

    C'est un talent, mais il n'est rien, ou presque, sans ma vision, et l'intelligence des situations. Parce Vuillard ne se borne pas à l'anecdote. Ce qui l'intéresse, ce ne sont pas "les petites histoires qui se mêlent à la grande Histoire" (ça, c'est le principe des romans historiques qu'on écrit à la chaîne), ce sont les mécanismes qui font que les histoires individuelles convergent en une Histoire collective – ce mécanisme universel qui fait que parfois les hommes se dépassent et se surprennent eux-mêmes, sans conscience qu'ils sont en train de "faire l'Histoire".

    A l'opposé de la fresque, Eric Vuillard écrit comme on compose un tableau. On a tous en tête – vraie ou fantasmée - une image de la Bastille de 1789. Lui isole quelques scènes, s'arrête sur un détail (ici un gars qui a trouvé un canon, là la foule qui s'affole face aux coups de fusil venus des remparts, là encore le fiasco d'une négociation menée par des bourgeois de l'Hôtel de ville), il zoome et dézoome à l'envi, et après 200 pages, miracle, on a soudain en tête le tableau d'ensemble. Pas seulement celui de la prise de la Bastille, mais le portrait de toutes les révolutions, quand le peuple se surprend lui-même, un portrait dont l'écho reste longtemps après la lecture. Et c'est là qu'Eric Vuillard est grand.

     

     

  • Jardin des colonies

    jardin des colonies, reverdy, venayre, flammarionLa 4e de couverture promet la découverte d'un "jardin méconnu" du côté de Nogent, entre la Porte Dorée et le Bois de Vincennes – une ancienne vitrine du sémillant Empire colonial français, aujourd'hui en ruines.
    On nous annonce les aventures du fondateur de ce jardin – le mystérieux Jean Thadée Dybowski, aventurier et technocrate.

    Mais bien sûr, ce livre est bien plus que tout ça. C'est surtout la plus limpide des réflexions sur notre époque de guerre qui ne dit pas son nom – ou qui le dit trop sans qu'on y croie vraiment, au choix.

    On a tous eu l'envie, après 2015, d'écrire "quelque chose" sur ce qui venait de se passer, et sur ce qu'on voyait venir.
    On en a tous eu envie, certains l'ont fait et pas toujours avec bonheur.
    Bizarrement, les deux livres les plus convaincants que j'ai lus sur le sujet ont été écrits à deux : Prendre dates, d'abord, de Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet (petit livre limpide sur le « nous » avant, pendant et après les événements) ; et ce Jardin des colonies, donc.

    Le temps d'une déambulation dans le temps et les allées du jardin, le livre organise un ballet entre le passé et le présent (les colonies d'hier et la France d'aujourd'hui, en passant au large des raccourcis hâtifs), la mémoire et l'oubli, la peur et les illusions, la tolérance et ses abus (magnifiques pages sur le "respect" érigé comme valeur jusqu'à justifier la pire bêtise), et nos vérités qui se côtoient sans se parler.

    Sur la forme, c'est un petit miracle : le livre écrit à quatre mains parlent d'une seule voix, les 200 pages aérées par le jardin et les détours par le roman d'aventure.
    Sur le fond, le livre ne cesse de poser des questions sans forcément donner les réponses – deux auteurs ouverts au dialogue avec le lecteur tout en restant fermes sur leurs valeurs fondamentales.

    J'aurais aimé écrire ce Jardin des colonies, je crois. Je suis heureux qu'il ait été écrit par ces deux auteurs-là : Thomas B. Reverdy, assurément l'un des romanciers contemporains les plus intéressants. et Sylvain Venayre, historien des "Origines de la France" qui s'amusait déjà, au temps de ce fameux et minable débat sur l'Identité nationale, à déconstruire l'exploitation qu'on pouvait faire de l'Histoire.
    Un romancier et un historien. Comme Boucheron et Riboulet, tiens.

    Si tu es historien et si tu veux écrire à quatre mains, fais-moi signe.

    En attendant, je file voir ce Jardin – c'est à ça que ça sert, les bons livres, à sortir de chez soi. Salut.