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  • Lost in the flood

    J'avais prévu d'écrire ce week-end, vraiment, et puis un ami m'a donné ça :

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    (Peter Ames Carlin - Bruce - ed. Sonatine)

    Une bio passionnante, passionnée sans être idolâtre, intelligente, 650 pages doublées du plaisir d'aller choper sur le web des extraits de vieux concerts au fil de la lecture.
    Bref, j'ai lu. Et à peu près rien foutu. Mais je m'en moque : dans une semaine je serai au Stade de France à l'ouverture des portes, et rien d'autre ne comptera.

    (Lost in the Flood, Wembley, 15/06/2013.
    40 ans après l'enregiistrement studio, et au pied levé.)

    Alors voilà. Il y aura des cris et des chants, un peu de chair de poule peut-être, de la pluie sûrement, quelques rires de joie, et puis un peu de ça, qui sait (en 600 notes ici (il n'y a pas que Bruce qui vieillit) c'est peut-être ma préférée, écrite d'une traite et toute maladroite). Et trois heures plus tard on aura mal aux doigts, la voix erraillée et de l'énergie stockée pour l'été, prêts à saisir le moment entre nos mains, mister I ain't a boy, no I'm a man, et caetera.
    Alors il sera bien temps de s'y remettre.

  • Je m'appelle Europe

    kapllani, petit journal de bord des frontièresIl y a un an, un ami au goût sûr m'a mis dans les mains un petit livre traduit de l'albanais : Petit journal de bord des frontières. L'auteur, Gazmend Kapllani, y alternait entre le récit de sa fuite d'Albanie (la télé italienne qu'on matait en cachette, les chimères de l'Occident, puis les passeurs, les policiers grecs, la cohabitation entre candidats à l'exil, les centres de rétention...) et de courtes chroniques, légères et sans fard, sur les vicissitudes du « métier d'immigré ».
    J'étais
    persuadé d'en avoir causé ici, tant le livre est bon, et je m'aperçois que non.
    kapllani, je m'appelle europe, intervallesQu'à cela ne tienne, l'occasion m'est donnée de me rattraper ! Car Kapllani récidive avec un livre au titre parfait - Je m'appelle Europe - et en reprenant le procédé qui fonctionnait si bien.

    L'histoire centrale, c'est celle de son installation en Grèce : les premières nuits dans un cinéma porno, les premières mains qui se tendent et les portes qui se ferment, les boulots successifs, et la rencontre inopinée avec Europe, qui sera son premier amour grec.
    Elle est entrecoupée d'une dizaine de courts récits d'immigrés, comme un écho pour mieux faire mesurer au lecteur que l'histoire qu'il lit est à la fois celle d'un seul homme et de millions d'autres, qui tentent simplement de se faire accepter quelque part.

    Je m'empresse d'ajouter qu'on aurait tort d'y voir un livre sur l'immigration (ne mens pas, tu y as pensé). Je m'appelle Europe est bien plus qu'un récit d'immigré ; c'est une histoire d'amour. Une histoire d'amour contrariée avec la Grèce et avec Europe, entre passion et frustrations, progression et malentendus. C'est Roméo tentant de séduire Juliette contre l'avis de toute la société athénienne. Sauf qu'on y rit plus que dans la pièce de Shakespeare, et que ça se finit (un peu) mieux.

    Et comme toute histoire d'amour, celle-là est universelle. L'Albanais du livre, c'est l'Afghan qui squatte dans le square près de chez nous, c'est le Maghrébin du Franprix - c'est l'étranger qu'on range d'abord dans une case quand on le croise ("c'est un Arabe") avant de considérer s'il a le nez gros ou fin, l'air avenant ou le regard perdu. Lire Kapllani, c'est dire merde pour un moment aux pensées toutes faites et aux statistiques serinées au JT, ne plus penser en pourcentages et autres quotas pour regarder les hommes qui se cachent derrière. C'est être un peu plus humain soi-même, du coup, même si le quotidien revient vite.

    En lisant le livre, j'ai repensé à cette phrase d'Henry Miller : "A quoi servent les livres s'ils ne ramènent pas vers la vie, s'ils ne parviennent pas à nous y faire boire avec plus d'avidité ?"
    J'ai repensé aussi aux réactions entendues lors de la sortie de "Ba.-ba". Mais j'en parlerai une autre fois, je suis déjà trop long - et vous, vous avez un livre à lire.

    Kalispera.

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    PS - Je m'appelle Europe est une histoire d'amour, oui - et avec la langue. C'est le premier livre que l'auteur écrit en grec, et la réflexion sur le langage traverse tout le livre. Le genre de sujet qui d'ordinaire m'emmerde souverainement, toujours ou presque plombé par un lyrisme pompeux. Kapllani, lui, sait rester concret - des premiers mots entendus dans la rue qu'on essaie de répéter jusqu'à la maîtrise de la langue en société, et des jurons et autres malakas. Il sait aussi résumer en quelques paragraphes ce qu'un autre (vous avez lu Vassilis Alexakis?) écrirait en trois livres :

    « Tu ne peux jamais considérer [la langue] comme acquise : tu ne l'as pas reçue en héritage, c'est toi qui t'es lancé à s conquête. Tu l'observes et tu l'observes sns discontinuer, mais tu ne la posséderas jamais aussi intimement que ta langue maternelle. Cette légère insécurité que tu ressens parfos en écrivant t'est néanmoins bénéfique parce qu'elle agit sur ton adrénaline. La relation à la langue maternelle renferme toujours une part de routine et de pesanteur. Cela n'arrive jamais avec une langue étrangère, car elle procure un sentiment de légèreté et de liberté, l'envie de jouer et de conquérir. » (G. Kapllani, Je m'appelle Europe, éd. Intervalles - p. 147)

  • La Société Générale s'engage pour le Développement durable

    (ce titre à la fois disgracieux et porteur d'espoir a été spécialement conçu pour les moteurs de recherche (que je salue). Un peu putassier, donc, mais il accélérera l'acheminement vers les communiquants de la banque. Une sorte de recommandé numérique, sans papier ni obligation de se déplacer au bureau de poste. Bilan carbone optimal.)

    images?q=tbn:ANd9GcR6KJa7x3O3DGCmYnGu_5AP9_k48VKBtccCPnSq8umgjF8mQmC0xgChère Société Générale,

    Ce matin, j'ai reçu de toi un très beau courrier. Quand je dis beau, je ne parle pas de son contenu (il était platement technique), mais de son enveloppe. Elle était blanche à l'extérieur, mais arborait à l'intérieur de jolis motifs en arabesques de gris. Etait-ce pour me faire comprendre combien je suis un client important ? En tout cas, au milieu des arabesques, tu avais ajouté ce message :

    Le saviez-vous ? Ce fond caviardé utilise 60% moins d'encre qu'un fond plein

    En image, ça donne ça :

    fond caviardé, société générale, caviar pour tous

    J'ai cru un instant que le monde était sauvé, je t'ai remercié en silence d'oeuvrer pour nous tous... puis j'ai été pris d'un doute.
    Et si tu avais choisi un fond tout blanc, comme celui des enveloppes que je t'envoie parfois, est-ce que ça n'utiliserait pas 100% moins d'encre qu'un fond plein ?
    Est-ce que le monde n'irait pas encore mieux ? J'ai peut-être tort, hein. Mais comme j'ai l'esprit l'esprit retors, je me suis quand même demandé si tu n'étais pas, une fois de plus, en train de te payer notre tête.

    Mais ça n'est pas possible, ça, n'est-ce pas ?

    Tu me répondras peut-être que le rôle d'une banque est aussi d'enchanter le monde et que celui-ci serait triste comme un pays communiste si nos enveloppes étaient blanches. Certes. Pourtant mon petit doigt me dit que tu aurais tellement d'autres choses à faire (ou à ne pas faire) pour que le monde soit plus beau.
    Mais je ne voudrais pas entrer ici dans un débat technique. Fais profiter le monde de tes fonds propres et écris-moi sur fond blanc, ce sera un début.

    Bien à toi,

  • Salut à toi, écrivain en herbe

    jaligny, écriture, premier romanPas facile d'écrire un roman sans savoir s'il deviendra jamais un livre, un vrai, avec une couverture et des lecteurs, hein ? J'espère pour toi que tu as des amis qui t'encouragent. Mais parfois, pour les encouragements, tu ne peux compter que sur toi-même. Alors, sans même savoir si tu parviendras à mettre un point final à ton manuscrit, tu te prends à rêver d'une gloire inaccessible. Tu t'imagines sur le plateau d'une émission littéraire, tu remercies chaleureusement les jurés d'un prix prestigieux d'avoir compris ton œuvre. C'est idiot, hein ? Rassure-toi : je ne connais pas d'auteur qui ne se dope à ce type de chimères (d'autres appellent ça pensée positive). Et puis, c'est tout le mal que je te souhaite, d'avoir un jour le prix de Flore ou celui du Premier roman.

    Mais ce que je te souhaite, surtout, et c'est d'être sélectionné pour le Prix René Fallet et de faire un jour le voyage de Jaligny-sur-Besbre.

    Tu ne sais pas qui est René Fallet ? Mais si. C'était un écrivain bon vivant, amateur de pétanque, de vin et de vélo, copain de Brassens, auteur de Bulle (on ne te l'a pas offert quand tu étais enfant?), des Vieux de la vieille ou de Paris au mois d'août – et de La Soupe aux choux, qui avant d'être un film pétomane est d'abord un grand livre.

    Tu ne sais pas où est Jaligny ? Je te comprends. Disons que c'est pile entre Moulins et Vichy, non loin de Saint-Pourçain. Mais t'inquiète, une fois que tu y seras allé tu t'en souviendras très bien.

    Ainsi donc, René Fallet s'était installé à Jaligny. Il y est mort en 83, et cinq ans plus tard est né le prix qui porte son nom. La spécificité de ce prix? Outre qu'il est décerné à un premier roman, elle est dans son jury : c'est un jury populaire.
    Chaque année, quatre romans sont présélectionnés, et leurs auteurs invités à Jaligny en juin. Dans tout le pays, les lecteurs ont voté : les médiathèques, les associations, le lycée de Moulins, la prison d'Yzeure... Le public vote aussi, le jour même de la remise du prix, alors on remet au vainqueur une bouteille de Saint Pourçain et peut-être un petit chèque, je ne sais plus, on fait tourner la pompe aux grattons et tout finit en chansons.

    Ainsi donc, si ton roman est sélectionné, tu feras le voyage de la Besbre avec les trois autres auteurs, et tu ne regretteras pas.
    Et puis un jour, peut-être (c'est dire si ce prix est beau), tu reviendras même si tu n'as pas gagné, pour le seul plaisir d'y retrouver une atmosphère où on aime les bons livres qui ne pètent pas plus haut que leur cul, où on mange bien sur de grandes tables, et où tu puiseras l'énergie pour écrire d'autres livres.

    J'étais allé à Jaligny en 2008, pour Hors jeu. J'y suis retourné cette année, invité pour le 25e anniversaire du prix. Il y avait là d'anciens lauréats (à ce propos, je te recommande La part du feu d'Hélène Gestern), des auteurs qui comme moi n'avaient pas gagné mais qui savent que l'important est de participer, et un sourire discret et lumineux qui écrit sous pseudo et fait oublier la pluie.

    Tu seras peut-être jaloux de ne pas être venu : tu aurais eu droit à une magnifique représentation musicale de Bulle et à une soirée magique avec piano, guitare, fines bulles de Touraine et une vingtaine de personnes chantant Brassens, Reggiani, les Beatles ou la Mano Negra. Mais ce n'est pas grave : l'année où tu y seras, il se passera autre chose. Et tu ne l'oublieras pas.

    ---

    Je ne peux pas te parler des livres des candidats de cette année, je ne les ai pas encore lus. Je ne peux pas te raconter non plus comment se terminent les nuits dans la boîte de Jaligny – si tu veux savoir il te suffira de demander au lauréat 2013 et à son dauphin, Pierre Chazal et Sylvain Pattieu.
    Je ne te raconterai pas non plus la séance de lecture publique du dimanche. Mais tu aurais pu y entendre deux maîtres du genre, chacun dans leur style : Philippe Jaenada (voix posée, humour en coin) et Erwan Larher (gestes théâtraux, truculence du verbe).

    Ros-Dupont-La-Lecture-A-Haute-Voix-Au-Cp-Et-Au-Cm2-Livre-897164754_ML.jpgJe ne te raconterai pas ça, donc, mais si tu es encore là je me permettrai un conseil : n'hésite jamais à lire à haute voix.
    Evidemment, tu auras déjà entendu parler du Gueuloir de Flaubert. Mais il ne s'agit pas de gueuler. Tu sais bien qu'on peut captiver une audience en parlant tout doucement, dès lors qu'on a quelque chose de vrai à dire (et un zeste de technique).
    Lis à haute voix, donc, et va écouter d'autres auteurs, bons ou mauvais, tu verras quel écrivain tu as envie d'être plus sûrement encore qu'un livre à la main. Et quand tu penses avoir fini un livre ou un chapitre, imagine-toi que d'ici quelques heures tu vas devoir lire tel passage à une assemblée d'inconnus : je te promets que tout ce que tu as écrit t'apparaîtra sous un jour nouveau.

    C'est un test rude, je sais bien. Je viens de le faire pour Truc N°2 que j'ai récemment exhumé du tiroir où il dormait. Et je peux te dire que putain, il y a du boulot. Quand je l'ai relu pour la première fois, le découragement était proche. Puis j'ai entendu Larher et Jaenada, et le découragement a fait place à l'envie. L'envie de raconter une histoire et de le faire bien, celle d'écrire pour faire plaisir, l'énergie de travailler pour qu'un jour le livre mérite non pas un prix, mais une table, et un public.

    Bref. Un jour peut-être on se retrouvera à Jaligny. Travaille bien.

  • De la philo, noire et sans sucre

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    Il y a deux ans, en pleine RentréeLittéraire dominée par L'art français de la guerre*, j'avais découvert La Zonzon, d'Alain Guyard – l'histoire d'un prof de philo intervenant dans une prison de Marseille, et qui se retrouve embarqué dans des histoires assez peu philosophiques.
    C'est la seule fois de ma vie que quelqu'un m'avait abordé dans le métro en me demandant ce que je lisais.
    - Eh mec, c'est quoi ton livre, là ?
    C'était un jeune punk avec son chien, qui me zyeutait depuis trois minutes. Je lui ai passé le livre, il a parcouru en disant que ça avait l'air chanmé. Et ça l'était, en effet. J'aurais dû lui laisser, mais bon, hein, j'avais envie de connaître la fin.

    * NB - dans l'affaire des "paris suspects" du handball, la justice a désigné un expert en physiologie pour démontrer, vidéo à l'appui, que les joueurs de Montpellier avaient fait exprès de perdre contre Cesson. On pourrait facilement trouver un expert qui démontrerait, lectures à l'appui, que 99% des journalistes qui à l'été 2011 ont fait l'éloge sans retenue de L'Art français de la guerre n'avaient pas dépassé la page 40.

    … Mais revenons à Guyard. Sa Zonzon a tout de même fini par trouver un écho, je crois, et deux ans plus tard il remet ça. Cette fois-ci, il laisse de côté la fiction et privilégie (quoi de plus normal pour un philosophe) le concept.

    guyard, philo, dilettante, café-philoLe concept, il est simple : 33 histoires de philosophes, auxquelles Guyard ajoute des exercices pratiques. Mais pas des exercices de préparation au bac pour petit branleur de Terminale, attention. Ses 33 leçons de philosophie par et pour les mauvais garçons sont d'abord une réhabilitation du coup de gueule et du coup de poing, parce que la philosophie commence dans la rue, pas dans le monde immaculé des Idées.
    Et ça commence dès le premier cours théorique sur Socrate :

    N'en déplaise à tous les demi-sel en chemise échancrée et cheveux mi-longs, avec leurs allures de chichiteuses dames pipi du café de Flore, la philo n'est pas une affaire d'intellos. Son fondateur, Socrate, est un chômeur de longue durée, espèce de va-nu-pieds incapable de reprendre l'affaire familiale de talle de caillasses (…)

    Le ton est donné (on pourra reprocher à Guyard de forcer un chouia sur le vocabulaire, mais ce serait chichiter).
    Les "bios" de philosophes replacent les hommes d'idées dans leur chair triste et flamboyante, et dans leur époque (Sade dans sa prison, Debord jouant à cache-cache avec sa légende...). On y retrouve ce qu'on aimait dans la Zonzon - de la philo, de la vraie, au milieu des odeurs de sueur et de pisse, de la pensée de combat.

    Les travaux pratiques, eux, sont du genre anar tendance Diogène. Certains relèvent de la (bonne) blague, mais pas tous. Ils seraient plutôt des défis au lecteur, pour l'empêcher de lire ces "leçons" trop confortablement en sirotant son café-philo.
    On y trouvera une incitation à pratiquer un sport de combat ou à jouer les Machiavel de canton (exo : s'inscrire en secret au PS et à l'UMP local et d'agir dans l'ombre). Ou encore à suivre les traces d'Antisthène, roi de la baston, en menaçant un philosophe de salon de lui casser la gueule s'il ne retire pas immédiatement ce qu'il vient de dire avec fougue.
    Avance sur lui. S'il renonce à ses valeurs par peur du poing dans la gueule, qu'il aille se faire foutre. Tu sauras que ce n'est pas un vrai philosophe.

    Bref. Foutre un peu le boxon.

    Voilà bien un livre qui donne envie de sortir dans la rue, d'aller voir le monde la tête haute et de lui dire ce qu'on pense - si on pense quelque chose. Sinon, eh bien, au moins on le regardera différemment. C'est bien à ça que servent les livres, et la philo, non ?

    D'ailleurs j'y vais. Salut.