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  • Gazmend Kapllani, La Dernière page

    (j'aurais aimé trouvé un titre plus accrocheur, le truc qui te suggérerait Vas-y, lis Gazmend Kapllani, mais je suis nul en titres. Cela dit, tu auras vite compris le message.)

    arton166-165x250.jpgIl y a des auteurs qu'on lit une fois et dont on sent bien, en refermant le livre, qu'on ne les lira plus - c'est bon, j'ai vu, merci. Ce n'est pas forcément qu'on n'a pas aimé le roman : je ne sais pas vous, mais ça m'arrive souvent après un bon livre : l'impression que l'auteur a dit tout ce qu'il avait à dire, ou simplement que le livre suivant serait forcément moins bien. Allez savoir d'où ça nous vient. M'enfin.

    Quand j'y pense, là, je crois que c'est le cas de la majorité des livres que je lis. Ils ne sont pas nombreux, les auteurs contemporains dont je peux dire que j'ai tout lu. Même pas Carrère, même pas Tom Wolfe, même pas Ferrari.

    Mais quand arrive un Gazmend Kapllani, je n'hésite pas. Je l'avais découvert par hasard (et surtout par Guillaume Jan) avec son Petit journal de bord des frontières. Le livre suivant, Je m'appelle Europe, était aussi bon. Pour ce troisième, La Dernière page, on retrouve tous les thèmes de l'auteur (la frontière et l'émigration, la Grèce et l'Albanie, l'amour en pays étranger), mais cette fois c'est l’œil qui se décale.

    D'abord parce qu'on change de pays - cette fois ce sont des Grecs qui se retrouvent en Albanie. Ensuite, et surtout, parce que la trame, cette fois, est purement romanesque. Je vous résume vite fait si vous êtes encore là : Melsi (écrivain albanais vivant en Grèce) revient à Tirana dans la demeure d'un père qu'il n'a pas vu depuis longtemps et qui vient de mourir. Il découvre un cahier que tenait ce dernier, et découvre soudain l'histoire familiale : une histoire qui commence dans le ghetto de Thessalonique en 1943 et qui se poursuit sous une fausse identité en Albanie, sous un des régimes les plus fermés et les plus absurdes de cette belle époque que fut la guerre froide.

    Mais au fait, me demanderas-tu, pourquoi te parlerais-je d'une histoire de Grec qui émigre en Albanie ?
    Bonne question. Je te l'aurais peut-être posée si tu m'avais, toi parlé de ce livre, ou d'un Afghan qui se réfugie au Pakistan.
    Alors laisse-moi te dire. D'abord parce que Gazmend Kapllani, avec sa langue simple qui fait passer toutes les nuances sans jamais rien souligner. Parce que grâce à lui tu pourras te projeter en Juif de Salonique qui renie ses origines pour s'intégrer ailleurs. Tu vas voyager, tu vas apprendre, tu vas douter, et au final tu seras plus ouvert, plus riche et moins bête (non, je ne dis pas que tu es bête - mais reconnais que c'est si facile de l'être, quand on parle de l'étranger et de la place qu'on peut lui donner), grâce à lui tu comprendras peut-être un peu mieux ce Tunisien que tu croises dans ton quartier. Je te dis ça, je me le dis à moi aussi.

    Mais ça va déjà un peu mieux, je viens de lire La Dernière page.

    A toi.

  • La Théorie de la tartine

    titiou lecoq, théorie de la tartineIl y a sept ou huit ans, j'ai eu une idée de roman géniale sur les Internets. On y aurait croisé ceux qui le font, ceux qui tirent les ficelles, ceux qui s'en servent et ceux qui s'y perdent. Bref, un peu tout le monde.

    Depuis le temps que j'y pensais, ça commençait à prendre la forme d'une fresque, le genre de projet qu'on n'ose plus attaquer à moins de trouver une autre idée, tout aussi géniale, qui le rendrait simple.

    Et puis là, hop, je découvre que Titiou Lecoq vient de l'écrire, ce livre, et qu'il est bon, et riche, et simple, et bien plus romanesque que théorique.
    Merci Titiou, je peux passer à autre chose.

  • Sade, Khomeiny et moi (et nous)

    abnousse shalmani, merciA 6 ans, la petite Abnousse se mettait nue dans la cour de son école de Téhéran pour défier les barbus et les tchadors des surveillantes. A 8 ans, elle arrive à Paris avec sa famille. Elle découvre l'Occident, les jeans troués dans les cours d'école, la liberté loin des barbus.

    A l'adolescence, dans les années 90, elle découvre la littérature libertine du XVIIIe siècle – et je précise toute de suite pour toi, lecteur/trice, ce libertinage-là n'a rien à voir avec des galipettes franchouillardes de club échangiste : c'est d'abord le triomphe de la raison, c'est l'esprit qui libère les hommes (et les femmes plus encore) de l'emprise de la religion sur les corps et des curés sur les âmes. Crébillon, Mirabeau, Laclos et Sade ont montré la voie : oui, il est bien possible de se libérer des barbus de tous poils !

    Mais dans le même temps, la jeune Abnousse constate les premières fissures de la société française : les premiers tchadors, l'amie de fac qui se voile la face après un échec amoureux, et l'islam des barbus qui prospère sur lit d'ignorance, de peur et de malheur.

    C'est là toute la tension du livre, d'ailleurs : les barbus qui poursuivent l'exilée iranienne athée jusqu'au pays des Lumières.

    A partir de là, le livre se lit à deux niveaux : l'histoire personnelle et familiale de l'auteur, et celle de la France des trente dernières années, de l'insouciance relative des années 80 à la fange dans laquelle on se débat aujourd'hui, avec ses dates-clés : 1998 et les lendemains qui déchantent, le 11 septembre et ses conséquences, le 21 avril et la démission collective, les attentats et les prises d'otage, les révolutions arabes et leurs soubresauts...
    Une Histoire à la fois sensible, militante et désespérément factuelle, qui se fout des régimes politiques parce qu'elle dit "nous" - le tout sous l'éclairage faiblissant des Lumières qu'une Française fraîchement naturalisée vient raviver.

    Et puis il y a l'écriture, qui s'affirme en même temps que l'auteur, et qui vise de plus en plus juste à mesure qu'approche aujourd'hui. Une écriture où perce crescendo la colère de voir la religion regagner le terrain si chèrement conquis, l'amertume face aux crispations racistes et la rage devant les poses des belles âmes qui laissent faire et déguisent leur indifférence en tolérance.

    Khomeiny, Sade et moi, c'est les barbus, Diderot et nous. Un constat implacable qu'on ne peut que tristement partager, mais une énergie communicative qu'on a très envie de partager aussi.

    Vivement qu'on relise les libertins sans les classer X. Le fatalisme n'est pas la seule option.
    .

    PS - c'est ce livre que je lisais dans le métro, l'autre jour.
    Ça fait du bien, la rage et la Raison,
    quand elles se muent en énergie positive. Merci A.

  • En mai, fais...

    en mai, fais ce qu'il te plaît, CharlieJe ne sais pas ce qui a déclenché ça.
    Ce n'est pas quelqu'un : j'étais seul. Ce n'est pas un livre, il était dans mon sac. Ce n'est pas le soleil : j'étais en sous-sol et dehors il pleuvait. Vraiment je ne sais pas, mais c'est venu en une seconde.
    Jeudi 30 avril, vers onze heures du matin, je suis passé du noir&blanc à la couleur – et comme ça, sans prévenir, je suis sorti d'une léthargie de trois mois.

    Si je te raconte ça (tu es là?), ce n'est pas pour m'extasier. La vie est faite de cycles, j'avais déjà vécu ce genre de moment. Toi aussi, sûrement. Mais cette fois, me dit mon petit doigt, ce n'était pas seulement moi. Il y avait du nous là-dedans, comme une étape dans tout ce qu'on a connu ensemble ces derniers mois.

    Je te raconte vite fait, tu me diras si ça t'a fait pareil.

    D'abord il y a eu janvier. Le choc du 7, la colère, la tristesse, le bref soulagement du 11. Puis la tristesse s'est fait bouillonnement. Il était trop tôt pour faire des projets mais on lisait, on parlait, on pensait (j'ai noirci un carnet entier de notes sur ça, sur moi, sur nous), et on prenait des résolutions, et on se faisait des promesses. Et puis...
    Et puis pas grand'chose, non ? Comme après le 21 avril et le 1er mai 2002, le quotidien a repris ses droits et on l'a gentiment laissé faire.
    Sauf que le choc, je crois, était plus violent. Ce n'était pas seulement un retour à la normale : c'était du refoulement.
    De mon côté, avouons-le, j'ai fui vers la légèreté. J'ai lu léger (et c'était bon), j'ai écrit léger (pas si mal, je crois). Mais c'était une légèreté pleine de vide. Du léger avec une grosse ancre aux pieds. J'aurais pu t'embrasser plutôt que d'écrire une romance, mais comme pour un peu tout, il y avait un poids qui me retenait. J'en avais conscience, je me disais que c'était un moment à passer, mais il durait. Plus longtemps que pour bien d'autres, peut-être.

    Je ne sais pas comment tu as vécu ça, toi. Moi je croyais que l'envie reviendrait petit à petit, qu'en avril on se découvrirait d'un fil... et puis non, ça a été pire. J'ai tenté de me rappeler hier de ce que j'avais fait d'avril – je t'épargne la réponse, tu prendrais pitié. La vie en pause et l'écriture en berne : écrire un statut facebook m'apparaissait insurmontable, alors une note de blog ou un roman, tu imagines.

    Heureusement, petit à petit, il y a eu le dernier Despentes, quelques rencontres, un brin de politique, du travail, un vieux projet qui revient à la surface et soudain se connecte avec tout ça... Et puis hier, 30 avril, sans prévenir l'Envie qui revient. Envie de quoi, je n'en savais rien. Je ne sais toujours pas vraiment. Mais ce que je sais, c'est que tout ce que j'avais perdu depuis des mois est revenu : l'énergie, la confiance, et cette force tranquille qui fait plier le monde à nos envies, au moins autour de nous.

    alive-n-kicking.jpgEt soudain j'avais l'énergie d'écrire, et j'avais envie de te voir, et j'avais envie d'inviter des gens à dîner, et je savais que je pouvais faire tout ça à la fois, bien sûr, que les projets ne pompent pas d'énergie mais nous en donnent... Comment avais-je pu oublier / refouler tout ça aussi longtemps, et aussi profond ?

    … Mais j'arrête là, je commence à parler de moi, et ce n'est pas le but.
    Ce qui compte, c'est ce qui viendra ensuite. Ma léthargie m'a légué une bonne dizaine de textes à écrire tant qu'il pleut, ici ou ailleurs, ensuite on se retrouvera dans la rue, on n'aura qu'à faire des projets ensemble. Parce que (re)vivre est quand même la meilleure façon de lutter, si on voulait lutter. Faire de la joie un projet politique, me disait C. Lire Goliarda Sapienza. Manger, bouger, donner, aimer, baiser.
    Vouloir.
    Tu viens ?

    En mai, fais...
    Faisons, quoi. C'est déjà beaucoup.