Gare de l'est, ligne 5, début d'après-midi. En direction de Bobigny, le trafic est interrompu en raison d'un accident grave de voyageur. L'histoire doit être récente, on sent flotter le désordre et dans l'autre sens aucun train n'est annoncé. Le quai se remplit, on attend.
Arrive un type depuis le couloir de correspondances. Il grogne et titube. Pas saoul, je ne crois pas. Disons qu'il n'a manifestement pas toute sa raison. Il s'approche du quai, s'éloigne, lance pour lui-même des phrases incompréhensibles. Les regards se détournent.
Le train débouche du tunnel et le gars de nouveau s'avance. Je fais un pas, en alerte. Il y a quelques années, je n'y aurais pas pensé. Mais Charlie, mais Germanwings, et Vitry, et la cour des miracles qui grossit. Le gars n'irait pas pousser quelqu'un sur les voies mais un accident grave est si vite arrivé.
… Mais il s'arrête sagement au bord du quai, comme presque tout le monde presque toujours. Il se trouve peu de monde pour monter par la même porte que lui. Un temps d'arrêt, la rame bien pleine, le métro repart. Le type est debout non loin de moi. Il se penche vers un couple de retraités assis.
- Incident de voyageur, ça veut dire qu'il y a eu une attaque d'ours !
Il a parlé fort, il cherche le contact, pas méchant.
Qu'aurais-bien pu répondre s'il m'avait interpellé, moi ? Rien, sans doute. Je ne saurai pas.
Le retraité, lui, a levé la tête.
- Ah oui, dit-il, mais ça dépend si c'est un ours blanc ou un ours brun, ce n'est pas pareil !
- Très juste, Monsieur, un ours blanc, c'est un incident grave !
La conversation continuera, absurde, jusqu'à Oberkampf. Le type s'en va, salue, le monde va un peu mieux.
Merci Monsieur.