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  • Additif

    Ce soir, Gros blaireau est entré dans la rame. Avec son mini-lecteur CD qui crachotait du rap énervé.
    Il avait le look presque complet, chaussettes remontées sur le survêt, il lui manquait juste la casquette.
    Il avait aussi une bonne tête, tout de suite je l'ai trouvé sympathique. Peut-être parce que j’étais plus en forme qu’hier. Mais surtout à cause de ce geste discret, en se posant sur son siège : la main sur un petit bouton noir, je l'ai vu, il a baissé le volume. Magnifique.
    J’ai été déçu que les cahots de la ligne 4 m’empêchent d’entendre clairement les paroles de son rap.
    Salut à toi, gars.

    PS – les (vrais) musiciens de sous-sol, c'est dans les comms de la note précédente.

  • Transports en commun

    medium_baladeur.jpgDans les couloirs du métro, à l’heure de pointe, on se bouscule un peu, on se marche sur les pieds, on s’excuse, on fait de la place... Un petit concert de Merci et de Pardon, ponctué ici ou là par un Poussez pas ! énervant.
    Tout cela se dit le plus souvent avec les yeux ou avec le corps, parfois on le murmure, mais au fond, quoi qu’en disent les râleurs, on communique. Les fluides passent, suffit de connaître les codes.

    De ce petit concert, toutefois, une population croissante préfère s’exclure : les voyageurs affublés d’un baladeur ne disent ni Merci ni Pardon. Ils s’en foutent et ils l’affichent, ils se bouchent les oreilles pour mieux fermer les yeux. Le baladeur nuit gravement à la citoyenneté. Quitte à interdire quelque chose dans les lieux publics j’aurais plutôt proposé le walkman, mais on m’aurait envoyé balader, alors... Et puis, évitons l’amalgame – walkman ou pas on a tous notre façon d’être lâche.

    Parmi cette population, il est des petits cons spécialement nuisibles : ceux qui écoutent leur zique (consternante ou énervante) à fond de casque et qui nous infligent leurs basses et leurs cymbales, avec ce rythme répétitif qui confine souvent à la torture chinoise. vous avez déjà essayé de penser à autre chose, avec un petit con à walkman en face de vous ?
    Parfois pour m’éviter une colère malsaine je tente de m’apitoyer, Oh le pauvre petit il n’a pas les moyens de s’offrir un walkman bien étanche, mais en général le petit con (y a–t-il un lien ?) a un matériel dernier cri.
    La plupart du temps, c’est moi qui craque, je m’en vais penser plus loin avant que la pulsion de meurtre ne soit trop forte.
    Il m’est arrivé de lutter pied à pied : un claquement de doigt discret sous le nez du petit con, en rythme avec sa zique, et il finit par comprendre qu’il y a combat – et, pris par surprise, il capitule en maugréant. Minable, mais jouissif.
    Une fois, enfin, j’ai fait ce truc fou, ce truc qui n’arrive presque jamais et qui marche presque toujours : j’ai regardé le type en souriant, je lui ai demandé de baisser un peu le son. Il l’a fait, puis il est retourné se cacher dans ses écouteurs. C’est fou comme la vie peut être simple.

    Mais ce n’est pas un petit con qui est la cause de cette note improvisée.
    C’est un gros blaireau.
    Le gros blaireau se balade généralement en survêt et tient à bout de bras un mini-lecteur CD qui diffuse une grosse daube de type rebelle. Il se balade parfois en bande mais le plus souvent seul, suscitant dans tout le wagon à la fois pitié, haine et mépris. Un peu de crainte aussi. Si, si.
    Hier soir, un spécimen classique est entré dans la rame bondée à Chalelet.
    Fort de mon succès récent auprès d’un petit con à walkman, j’ai envisagé l’action directe – toujours avec mon arme fatale, la politesse.
    - Dis, gars, tu pourrais éteindre ton truc
    - Eh quoi, t’as un problème ? (ou approchant)
    - Oui, et je ne suis pas le seul, tout le wag...
    - Ben j’l’emmerde, tout le wagon.
    - Ah oui ? on va voir ça.

    Ni une ni deux, n'écoutant que ma rage et mon courage, sûr de mon fait je prends la rame à témoin :
    - Qui vote pour que Monsieur nous fasse partager sa musique ? (Deux ou trois mains mollassonnnes s’élèvent au-dessus des têtes.)
    - ... Et qui vote pour qu’il l’éteigne ?
    - Nous !!
    Dans un même mouvement les voyageurs lâchent leur rampe pour lever bien haut une main vengeresse, les passagers assis se lèvent et me crient des Bravo! je suis le héris de tout un peuple, on m'acclame, on me nomme chef ! Un instant magique.
    En tout cas, ce fut une vraie récréation que de l’imaginer. Parce que bien entendu, je n’ai rien dit. Le gros blaireau me laisse toujours sans voix.

    Epilogue : arrivé en bout de ligne, la rame se vide, le gros blaireau s’est assis. Face à lui, deux lascars (survêt d’un autre marque) ont commencé à le chambrer, lui et sa zique, et ils étaient bons dans leur genre. Ce n’est que par fierté que l’autre a laissé sa zique, mais l’humiliation était si parfaite qu’on en oubliait de s’énerver de son beat vulgaire. En sortant j’ai repensé en riant à mon petit scénario, je n’ai pas les bonnes armes je me suis dit – et j’ai comris aussi que parfois la politesse est une des plus hautes formes de mépris.
    Bons voyages – et à bientôt sur nos lignes...

  • Carnet parisien

    Depuis de longues semaines des envies de voyage, sans perspective réelle. Une mollesse qui attendait mars, et qui squatte encore un peu.
    Trouver l’énergie de s’extraire du quotidien – juste une petite impulsion, pour sortir. S’aérer. Etonnant qu’il faille parfois se faire violence pour aller chercher la douceur.

    Et un soir, presque par hasard, se retrouver seul dans les rues d’un vieux Paris étonnamment désert, à marcher sans vouloir s’arrêter, le nez en l’air et les yeux qui disent "Quand même...", seul avec la ville.
    Une ville-musée, paraît-il. Mais que c’est bon de se promener dans les galeries d’un musée un soir de fermeture.
    Les envies reviennent, le printemps s’annonce beau.

    [un ordi s’éteint, un être s’éveille]

  • Grand public

    D’accord, j’étais fatigué, mais tout de même... Qu’est-ce qui m’a pris de zapper sur TF1, un dimanche midi ?
    Pire, je me suis même attardé quand sur l’écran Jean-Luc Reichmann a rappelé d’un ton d’animateur de supermarché qu’aujourd’hui, c’était la fête des grands-mères. (ah?)
    Et je n’ai pas regretté.

    Sur le plateau, une mamie parfaitement castée s’apprêtait à répondre à la "question finale". La caméra a saisi en gros plan le bel instant où le coeur serré elle embrassait ses filles et tous ses petits enfants, en ajoutant que vraiment elle adore tout le monde.
    Puis le cameraman s’est de nouveau fixé sur l’animateur, le regard cajolant mamie et le téléspectateur en même temps, et la voix lente des instants graves.
    « Et nous, Mamie, nous allons maintenant tenter d’adorer... 5000 euros. »

    Oui, mes amis, adorons ! Le public déjà applaudissait, le jingle était lancé, j’ai senti que le moment était historique et j’ai pensé à vous, pauvres couche-tard, qui alliez le manquer. J’ai pensé aussi que peut-être vous vilipendiez TF1 dans vos dîners en ville sans en connaître la réalité dominicale.
    Alors j’ai fait attention à la marche du monde et je suis resté devant l’écran.

    medium_reichmann.jpg

    Pour 5000 euros, je pensais que Mamie aurait droit à une question jardinage ou Francis Cabrel mais non, TF1 nous réserve parfois des surprises. 
    Question : Combien d’euros tous les 6 ans une grand’mère peut-elle donner à son petit-fils sans payer d’impôt ?
    ("C’est la nouvelle loi, précise Reichmann, avant c’était tous les 10 ans seulement." Décidément, nous vivons dans un pays bien gouverné)
    Le temps de faire monter le suspense (soutenable), il faudra attendre cinq minutes (c’est un métier) avant que la réponse ne soit donnée.
    Finalement Mamie se plante, elle a dit 20 000 alors qu’en fait c’était 30 000 euros (quel beau pays), mais ce n’est pas grave, dit-elle, elle est contente d’être venue, elle repart avec 1000 euros quand même (applaudissements) et tout le monde est content, sourire générique la bise à Jean-Luc et hop ! à la prochaine.
    "De la chair à jeu télé", j’avais pensé en assisant aux enregistrements de La Cible pour Eliminations Directes (insère ici ton titre préféré). De la bonne chair sincère, parfaitement consentante. "Vous êtes une famille très unie, conclut Reichmann, et c’est beau."

    Après le générique, la bande-annonce du film du soir (« Ah, si j’étais riche », sic) puis la page de pub d’avant le-journal-de-Claire-Chazal.
    Là, je me suis dit, je vais en apprendre sur la France telle qu’on nous la vend. Alors je suis resté, carnet en main je guettais la pépite...
    Elle n’est pas venue. Je resterai donc factuel, exhaustif et dans l’ordre (juste):

    - un père envoie son gamin de 5 ans réclamer un remboursement au service clients Champion (« Chez C., on vous croit sur parole »)
    - le lapin c’est exquis (un peu court, oui, mais l’espace coûte si cher...)
    - Feu vert nous emmène « en route pour le bien être » (qu’inventera la pub quand le bien-être sera en bout de course ? le "mieux-être" ?)
    - Gan assure votre habitation, je n’ai pas compis mais ça a l’air super
    - Coline, 8 ans, présentée comme "gagnante du concours" (ah ?) nous montre ses belles dents et chante bonne fête à sa grand mère adorée ; en bas de l’écran, un paquet de café
    - Varilux nous offre une vue "haute résolution"
    - Papy et mamie jouent au golf sur leur nouvelle console Wii
    - Peugeot nous défend de jeter ce qui ne sert plus ("Votre vieille voiture a beaucoup de valeur", nous promet l’offre de reprise).

    Alors que retentissaient les premières mesures du générique du journal, je ne me posais plus qu’une seule question :
    est-ce qu’on ne vit pas une époque formidable ?

    (Pour m’en assurer, me direz-vous, j’aurais pu enchaîner sur le 13-heures... Je n’en ai pas eu la force. Une prochaine fois, peut-être.)

  • Drôle de titre pour une rencontre

    Au début, il n’y avait que mon titre de transport, celui de mon livre, un reste de fatigue et un quai en bout de ligne.
    La banquette, au fond, dans le sens de la marche. Le métro qui se remplit.
    Puis cette fille belle et froide qui s’installe en face de moi.

    Je me replie en souriant, elle allonge ses jambes sans un regard sur la droite, occupe l’espace. De son sac elle sort un livre de poche, j’ai à peine le temps d’en repérer l’auteur : Jean-Paul Dubois. C’est drôle, je pensais que c’était un auteur pour hommes, Dubois.
    Je change de position, histoire de prendre à nouveau mes aises et de voir le titre de son livre – mais au même moment elle écarte légèrement son genou gauche. Si je veux retrouver l’espace perdu, je dois aller au contact. J’y vais.

    Je frôle son genou en jean. Aucune réaction. Je n’arrive toujours pas à deviner qui elle peut être.
    (Seuls indices: Dubois, veste, maquillage léger. Finesse de traits et conscience de soi. Et surtout : les bottes sous le jean. Conclusion : complément d’enquête indispensable.)

    Deuxième frôlage de genou. Petit mouvement de son côté, un regard en douce, vite elle se replonge mais j’ai vu. Maintenant je m’amuse.
    En fermant les yeux je la vois mieux, beaucoup plus belle que froide en vérité. Elle doit être cadre depuis peu, peut-être un projet difficile à gérer mais elle tient, j’aimerais qu’une amie l’appelle sur son portable mais il est trop tôt.
    (Note dans le Cahier des désirs : suivre une inconnue au hasard, une heure, et laisser venir les idées)

    Mon genou s’enhardit, le sien reste ferme, nous voici tous deux plongés dans nos livres mais exclusivement concentrés sur ce petit espace d’hostilité entre nous.

    Deux stations plus loin nous ne sommes plus en conflit mais en équilibre. Précaire. Nos genoux se font mutuellement appui, si l'un de nous bouge la tectonique du wagon serait remise en cause, elle en est aussi consciente que moi, plus les stations passent plus le jeu devient piquant.
    Je viens de tourner une page pour donner le change, elle m’a imité aussitôt mais un peu tard, on ne reste jamais longtemps sur une page de Dubois.

    Arrivent les Halles, le jeu s’arrête, elle replie son livre, se lève, un « pardon » inaudible et là voilà debout.
    Je me lève à mon tour, nos yeux se croisent, très vite, puis elle descend sur le quai. Je sais qu’elle ne se retournera pas, les jeunes filles bien habillées ne se retournent jamais. Elle pense à son travail, notre petit jeu est loin déjà.

    Mais j’ai eu le temps de voir le titre de son roman.

    Si ce livre pouvait me rapprocher de toi.

    Je remonte dans la rame et me rendors.