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Porte de Clignancourt - Page 2

  • Un livre aux lèvres et le rouge aux joues

    Elle avait les cheveux bruns noués en chignon, un manteau de laine à fins carreaux, bas et bottines noires, et une classe qu’on trouve rarement sur ce quai-ci. A ses côtés, un homme au front dégarni, tête ronde et port droit, la quarantaine placide.
    Elle se tenait face à lui, légèrement de côté, les lèvres légèrement avancées comme si elle lui chuchotait un secret. Dans sa main droite, elle tenait un livre, déjà très corné, dont elle lisait le début comme on lirait une histoire à un enfant.

    Direction Porte d’Orléans, prochain train dans une minute.

    L’ado McDo qui me cachait du couple s’est avancé vers le quai. La femme a tourné une page ; à une dizaine de mètres d’eux je ne pouvais rien entendre, mais il n’y avait pas besoin de son pour sentir la fièvre dans sa voix, et le rouge qui lui montait aux joues. L’homme, lui, gardait les yeux rivés vers la bouche de la lectrice. Quand le métro est arrivé, elle a baissé le bras et levé les yeux vers l’homme. Ils ont échangé un sourire et leur opinion, je ne sais plus dans quel ordre.

    Je suis monté dans le même wagon. Ils parlaient du livre - c’était un Actes Sud, ils se reconnaissent facilement, mais pour en voir le titre il aurait fallu que je me contorsionne un peu trop impoliment. Alors pour une fois je l’ai jouée nature. Avant de descendre à Château Rouge, je leur ai demandé quel était le titre du livre. La femme m’en a montré la couverture.
    Qu’elle aille au diable, Meryl Streep! de Rachid El-Daïf.
    Je n’avais jamais entendu parler de l'auteur, et le titre n’allait pas du tout avec la scène et la ferveur de sa lectrice. Alors j’ai pensé que l’homme était peut-être Rachid El-Daïf lui-même.

    (...) Je viens de regarder, ce n’était pas lui.
    Reste le mystère, c’est encore plus beau.
    Maintenant je vous laisse, je vais chercher Meryl Streep chez mon libraire, je vous raconterai.

    En attendant, belle année à tous.

  • Cheveux courts, idées longues

    Ce que j’aime, chez mon coiffeur, c’est que quand il discute ce n’est pas avec moi mais avec ses copains qui ont l’air de passer la journée chez lui, comme au bled. En général la discussion est en arabe avec quelques mots de français mais hier, allez savoir, le français dominait. Un jeune gars que je n’avais jamais vu était assis près de l’entrée, dans le salon on comparait en riant les contrôles policiers du mois écoulé, on échangeait des tuyaux liés aux coutumes locales (les meilleurs magasins de vestes dans le coin, les soldes de janvier), on parlait du temps qui passe mais surtout du temps qu’il fait, ici et à la montagne. Parce que le jeune gars allait partir au ski pour la première fois, que c’était super mais qu’entre amis il pouvait bien leur dire qu’il avait un peu les chocottes. Puis tout le monde a parlé boutique, j’ai compris qu’il était apprenti dans un CFA en région et qu’il dormait là-bas, avec quinze autres jeunes (il l’a dit).
    - Et ça va, c’est pas trop le bordel ? a demandé le coiffeur en chef.

    Et déjà le coiffeur me présentait son miroir pour que je lui confirme que oui, derrière c’était très bien, kolo tamam, et c’était le moment de descendre du fauteuil. Hop hop hop, tondeuse ciseaux rasoir, quinze minutes. Des sourires une coupe parfaite les tempes désépaissies et le cerveau aéré, le tout pour 8 euros pourboire compris, j’ai pensé qu’il y a des gens qui vont chez Jean-Louis David et je les ai plaints.

     

    59114.jpegEt le soir aux Abbesses, au Tremplin Théâtre, Karim Tougui racontait Ma mère s’appelle Chantal. C’était intelligent, c’était malin, c’était bien joué, c’était drôle et ça vous ouvrait l’esprit, les clichés étaient restés à la porte, il n’y avait sur scène que du très singulier et du très universel. Le spectacle se prolonge en janvier, le mercredi soir.
    Bienvenue dans le xviii.

  • La débutante et le blanc-bec

    Château Rouge, 1h17. Depuis Barbès je rentre à pied vers la Porte. Du côté droit – celui du Vanoprix incendié, celui des bancs publics, des trafics, de l’épicerie, de la piste cyclable et des putes. En bas du boulevard j’ai croisé la première, une grosse quadragénaire, qui semblait me parler – Mais si,viens, chéri - mais qui ne regardait qu’elle, et le trottoir.
    Maintenant elles sont quatre, plus jeunes, sur la bouche d’aération du métro, groupées autour d’un seul homme.
    C’est l’heure du briefing.
    Je passe tranquillement, coups d’œil fugaces. L’une des femmes, 25 ans peut-être, ressemble à la fière Meriem, une élève de nos cours d’alphabétisation. J’arrive à hauteur, soulagement idiot, ce n’est pas elle. Mais elle a détourné la tête du petit groupe, elle a vu que.

    Ça va ?

    La voix est étouffée, douce aussi, accompagné de cet œil fuyant qui dit Pardon en même temps.
    Rien du timbre franc de l’approche provocante de la professionnelle. Rien de la voix lasse de l’habituée, ni même la douce ironie de certaines rouées des boulevards qui savent bien que ce petit blanc-là n’est pas client et qu’il en faudrait peu pour le faire fuir.
    Rien non plus de l’appel subliminal au secours (et quand bien même…), plutôt un appel à l’échange perçant timidement sous la contrainte.
    Le "ça va?" raté et touchant de la débutante.

    Mon "bonsoir" aura sans doute été hésitant, le sourire franc sûrement barré par cette moue un peu conne qui dit Désolé, pour ça et pour tout. Je n’ai même pas osé penser "bonne nuit".
    Un peu plus loin un autre briefing, puis des hommes en goguette. Marcadet-Poissonniers marquera la limite, après cela Paris dort, il se lève tôt.

     _
    PS - Au fait, Axl, j’ai enfin retrouvé la dernière phrase de B.a.-ba.
    Il n’y a pas de recette et l’appétit vient en mangeant.
    Bon appétit.

    PPS - Et ce lien qui na va nulle part. Envolées, les archives 20six. Disparue, la petite putain de Zagreb qui appelait muettement à l'aide. Fugacité du deuxpointzéro. Snif.

  • Alger, France

    Je n’ai (presque) pas fait exprès, après les Résidences de proximité, d’ouvrir La Clôture, de Jean Rolin.
    Je savais qu’il y était question du boulevard Ney, entre la Porte de St Ouen et la Porte d’Aubervilliers. Je ne savais pas encore qu’il s’agissait d’une sorte de résidence d’un an, à la lisière de la ville, en compagnie de Lito le videur de McDo, des putes albanaises et de Gérard, l’homme qui vit (si si) dans un pilier du périph.
    En ouvrant le livre, je me suis souvenu que voici quelques années j’avais caressé l’idée d’écrire un livre que j’aurais pu appeler Porte de Clignancourt. Après l’avoir refermé, je ne sais pas encore si la lecture aura ravivé le projet ou si Rolin m’en a à jamais dissuadé, tant je doute de parvenir un jour à cette distance parfaite qu’il prend avec son sujet.

    En attendant, je suis allé l’autre jour à Alger, à 200 mètres de chez moi et à deux pas de Douala, pour voir St Etienne – Lille. C’était un petit hôtel-bar. Au comptoir et sur la table du fond, des hommes jouaient quelques centimes aux cartes ou aux dés, et s’engueulaient en arabe en buvant des Heineken. De l’étage est descendu Rachid, 25 ans, maillot de l’Algérie sur les épaules. Le fils du patron, je crois. Il s’est installé à côté de moi, m’a expliqué qu’il était supporter du PSG – parce que quand tu habites une ville, tu supportes le club. Et ce n’était pas du flan : il connaissait parfaitement les tribulations du PSG depuis près de dix ans. Bayal, un des joueurs de cartes nous a rejoints. Il portait un maillot de l’OL. Dix ans j’ai habité près du Parc, disait-il, j’ai vu les supporters du PSG, je ne peux pas ! Mais alors, pourquoi Lyon ? Moi je supporte le sport, et Lyon c’était les champions. Un légitimiste. Plus le match avançait plus nous parlions fort, les joueurs de dés s’étaient mis à parler football eux aussi. Puis Mavuba a marqué, Rachid s’est réjoui pour moi, j’ai attendu avec lui le résumé du match du PSG.
    J’ai payé mes deux bières avant de partir, le patron m'a rendu 10 euros de trop, il a fallu que j'insiste pour lui signaler son erreur. Avec le sourire.
    Désolé Rachid pour la finale d’hier. Mais je retournerai rue du Roi d’Alger.