Le fond est arc-en-ciel, la police est sympa. Quant au message, il s'inscrit clairement dans ce courant néo-bureaucratique dont les historiens diront sans doute qu'il a connu son âge d'or en France au début du XXIe siècle.
Une seconde de perdue en station = du retard sur toute la ligne
Le néo-bureaucratisme, c'était la névrose cool, notera sans doute une rétropsychologue, qui pointera le fantasme mécaniste du fonctionnement parfait et l'empreinte névrotique du temps réel (une seconde, quand on y pense, c'est 100 centièmes, pas un de moins - c'est énorme).
En poussant leurs recherches, les historiens noteront que ce courant s'est développé sous une double influence : Brazil pour le fond, les Bisounours pour la forme.
Ils dateront des années 1990 les premières tentatives de l'avant-garde néo-bureaucratique, avec ce chef d'œuvre : la série "Moi aussi je valibus".
"Valibus", apprendront les étudiants, signait l'avènement de la signalétique primesautière et l'ascendant pris par les premiers communiquants sur les opérationnels (en marge des manuels, on indiquera que le manifeste totalitaire On va tous les communiquer date de cette même époque).
La grande force de cette signaléthique, souligneront les historiens de l'art, réside dans sa profonde et géniale inutilité (combien de jeunes garnements auront pris le réflexe d'acheter un ticket au conducteur en lisant Moi aussi je valibus ? Les archives de la RATP parleront sans doute. En attendant, nul doute qu'il était important (campagne d'image) de rappeler à ceux qui avaient pris leur ticket qu'on était content d'eux, youpi, tu reprends du Banga, gentil voyageur ?)
En poussant leurs recherches, les historiens lèveront sans doute quelques lièvres. Ils exhumeront quelques comptes-rendus de réunions, où des managers sans cravate entendaient "casser les codes" et "prendre la parole autrement". Peut-être même retrouveront-ils la vidéo d'un jeune diplômé zélé suggérant de parler comme les vrais gens. Ils déterreront aussi ce sympathique petit lapin qui risque de se pincer très fort s'il met les doigts sur la porte. Certains se demanderont si ce n'était pas là la première manifestation du néo-bureaucratisme, mais non. Situé à un mètre du sol, le petit lapin, lui, était clairement destiné aux enfants.
Les sémiologues eux aussi analyseront le discours de ces grands artistes. Ils noteront qu'ils prenaient surtout le taxi. Ils parleront peut-être de peur du petit peuple qui prend le bus, ou de mépris - les deux sans doute. Ils noteront aussi qu'à compter de 1990, avec la victoire définitive des communiqueurs et des juristes, les entreprises de transport avaient cessé d'envisager de parler normalement à leurs usagers clients, qu'elles n'utilisaient plus que la voix qu'on prend pour parler à des enfants - et encore, la version pour gosses un peu simplets, genre "comme c'est mignon cette faute de français". Le petit lapin n'a pas mué.
Dans leurs conclusions, les historiens se foutront bien de nous.
Enfin, on peut l'espérer.
(PS - si certains ont les visuels correspondants, pour une fois je suis preneur. Merci)