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  • Hervé Guibert dans le métro

    Une amie m’a fait découvrir l’autre jour cette collection de croquis de métro de Paris et d'ailleurs. Comme un cadeau d'anniversaire parfaitement choisi.
    Le site s'appelle
    "
    De lignes en ligne" et je leur aurais proposé ma collaboration dans la seconde si j'avais su dessiner. Oui mais voilà, toujours pas... Et ce matin, bingo : travaux pratiques. Avec des mots pour seule couleur, mais vous n’aurez qu’à imaginer.

    Quand je suis entré dans ce métro matinal, Porte de Clignancourt, l’homme était déjà installé au fond de son carré, les deux mains sur son sac. Il avait le nez au vent mais semblait ne rien voir.

    On aurait pu écrire sa biographie en considérant un à un ses vêtements dépareillés, mais en l’absence d’indice tout tenait de l’énigme.
    D’ailleurs, pour un portrait, par où commencer ? Par le haut, ou par le bas ? Ce qui frappait le plus, chez lui, c’était ce contraste entre les deux.

    croquis de métro, barberon, hervé guibertUn pantalon bleu électrique trop court tombait sur des Nike montantes blanches, mais en remontant, on notait la qualité du cuir de la doudoune, et la fourrure au col et aux manches. Un béret et une écharpe encadraient un visage classique, la soixantaine rigoureuse rajeunie par des lunettes carrées sans montures. Sur ses genoux, un sac Freitag d’un bleu pétard. Et sur le sac, grand ouvert, un livre des éditions de Minuit, dont l’homme soulignait des passages avec un critérium, de ligne en ligne.

    Bien sûr, pour compléter le tableau on tenterait de voir le titre du livre, mais on s’arrêterait surtout sur les mains. Marquées par l’âge (la peau légèrement ridée, les veines apparentes), elles avaient encore toute leur force, et de la fermeté dans le soulignage. C’est qu’il en faut, de l’adresse, pour tracer un trait à peu près droit dans les cahots de la ligne 4.
    Alors on arrêterait de prendre l’homme pour un gentil hurluberlu, on oublierait le pantalon trop court et on ne verrait plus dans son attitude que les marques de la réflexion la plus puissante : la tête levée, le pouce et l’index écartés au-dessus du menton, et ce regard de juge suprême porté sur le texte – ça je garde, ça je jette. Comme un éditeur qui travaillerait sur le texte de son auteur fétiche. Ou comme un homme dont la vie serait dans le livre et qui ferait le tri dans son passé.
    C’est à ce moment seulement qu’on verrait le titre : Fou de Vincent, d’Hervé Guibert. 1989.

    L’homme est descendu à Châtelet. J’ai voulu l’attendre pour voir où il allait : il s’était arrêté au milieu de la foule pour enfiler des gants rouges cerise, puis je l’ai perdu.

    Illustration - Nicolas Barberon - De lignes en ligne

  • Ecriture vs Littérature : le match

    (note écrite d'une traite ; sinon ce serait tricher)

    Salon du livre match impro.jpgUn peu plus tôt dans l’après-midi, des jeunes gens énergiques m’avaient tendu un flyer – Le premier match d’impro littéraire ! criaient-ils façon festival d’Avignon. Rendez-vous était donné sur la Grande scène du Salon du livre à 15h30.
    Je suis arrivé à l’heure : il y avait plus de monde que pour entendre David Abiker interviewer Tatiana De Rosnay. Une centaine de sièges occupés et dix rangées de gens debout. On avait envie de voir.
    La mise en scène était clairement inspirée du théâtre d’impro : les bleus contre les rouges et le public comme arbitre, peignoirs de boxe pour les joueurs, et l’arbitre en nœud tatillon qui en faisait des caisses pour inspecter le centre de la scène : une table, deux ordis face à face, et une lampe en plastique.
    J’ai pensé qu’ils auraient vraiment pu s’amuser avec les clichés de l’écrivain-au-travail, que tout cela semblait assez peu littéraire mais après tout pourquoi pas, quand on ouvre une brèche autant casser les codes, seul comptait le plaisir qu’on allait prendre et ça partait plutôt bien.

    Le speaker a annoncé la première épreuve : l’incipit. Une première phrase imposée, trente secondes accordées à chaque équipe pour se concerter, puis deux joueurs qui s’avancent face à l’autre…

    Le suspense était déjà dans le dispositif : comment allaient-ils rendre ça vivant ?
    La réponse, c'était un écran géant tendu au-dessus de la table, synchronisé avec les deux ordis. Bonne idée. Sauf que la logistique n’a pas suivi, la connexion était foireuse (du coup le faux arbitre avait l'air un peu couillon). Pour meubler, le speaker a remercié le Labo des histoires, une des associations qui porte ce projet. Nous avons compris alors que les écrivains/joueurs étaient aussi les organisateurs… Un atelier d’écriture, en live! Le public est resté malgré l'interruption, un vent de fraîcheur soufflait sur le salon. Enfin la connexion a été rétablie, les deux joueurs se sont rués sur leur clavier, la foule attendait impatiente des prouesses littéraires tandis que sur l’écran défilaient les lettres…
    ... Et après dix secondes l’écrivain rouge a fait une faute de conjugaison en recopiant la phrase imposée.        (je sais. je sais. peux pas m'en êmpêcher)

    Pour être franc, la suite de cette première épreuve n’avait pas grand intérêt, en tout cas littéraire : on aurait aussi bien pu avoir un conteur improvisant à l’oral. Mais c’était un pilote, après tout, et un atelier, on n'était pas là pour juger. Des idées nouvelles flottaient dans l’air, je les ai notées dans mon carnet. Oui, l’expérience serait à retenter. En jouant sur le décor, par exemple, et avec des écrivains aguerris qui accepteraient le défi, qui joueraient avec les mots ET avec le public - en s’amusant à écrire des phrases puis à les effacer, par exemple, comme autant de fausses pistes… puis en accélérant le rythme une fois l’inspiration venue. Un jeu, de l’écriture et du plaisir, pour dépoussiérer le petit monde littéraire. Vraiment, ce serait bien.

    Je suis parti un peu trop tôt, avec ces idées en tête, et un ami à rejoindre. J’ai arpenté les allées, joué des coudes pour fendre la foule, fui des conférences où l'on parlait de littérature avec un grand L, découvert ou salué des éditeurs qui parlaient de leurs livres avec des étoiles dans les yeux (Anacharsis, Intervalles, L’Atelier, Zulma...), croisé d’autres amis (salut à toi, Erwan Larher), échangé les potins (t’as vu ? Myriam est venue sans Kevin…), acheté des livres. Bref, un dimanche au Salon. On y prend un peu goût.
    Mais en partant c’est surtout à ce match d’impro que je pensais, et à mon atelier à venir dans un collège. Vive la littérature avec des fautes d’orthographe, disait mon cerveau droit tandis que le gauche s’offusquait. Ils n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord (voilà sans doute pourquoi cette note est si longue).

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    La suite se passe dans le métro du retour. Station Falguière, le conducteur prend son micro – je vais devoir me rendre dans la troisième voiture, on me signale un sac avec la carcasse d’un animal mort qui sent très mauvais. 
    - Ce doit être la littérature, a plaisanté quelqu’un.
    Après quelques minutes d’arrêt, le conducteur a redémarré en remerciant les passagers pour leur patience.
    - Eh, mais on veut la suite de l’histoire du sac ! me suis-je écrié en même temps que mon voisin.

    Nous n’en saurons rien.

    En tout cas ce n’était sûrement pas la littérature, dans le sac de la troisième voiture. Avec ou sans papier, avec ou sans fautes, tant qu’on aura envie de connaître la suite de l’histoire ou de savoir si Myriam est vraiment avec Kevin, elle sera toujours là.

  • La jeune fille et le clochard

    Elle n’était pas particulièrement jolie (je dis ça parce que certains s’imaginent, à chaque fois que je parle d’un visage croisé dans le métro, que j’ai flashé sur une jolie brunette). Elle n’était pas particulièrement jolie, donc, le corps un peu massif dans sa jupe en jean et ses bottes en cuir, mais dans la grisaille de cet hiver interminable, des collants multicolores et de longs cheveux frisés sur un visage antillais suffisaient à mettre un peu de soleil sur les quais de Jules Joffrin, au milieu des odeurs de tabac et de pisse.

    Je n’ai d’abord vu que son dos. Elle était tournée vers le fond de la station, comme si elle guettait l’arrivée de la prochaine rame, pourtant une intuition me disait qu’elle regardait autre chose. J’ai regardé dans la même direction : tout ce que voyais, c’était le campement de fortune d’une demi-douzaine de SDF redescendus sous terre avec la dernière vague de froid. Un des gars s’est levé – c’était le moins abîmé de tous, la quarantaine maghrébine et la démarche droite. Nous nous sommes croisés, il m’a semblé le reconnaître.
    Quelques secondes plus tard, je me suis retourné : il discutait avec la jeune femme.

    Je suis resté planté sur le quai, luttant pour ne pas trop les regarder. On a annoncé le prochain train dans une minute, je ne sais pas qui a pris la main de l’autre mais maintenant ils discutaient, distants mais tendres, comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. Le métro est arrivé, ils n’ont eu aucun geste sinon un rapide salut de la main : elle est montée dans le wagon, il est resté sur le quai.

    Il me reste une demi-heure pour tenter de deviner le début de l’histoire.

  • Illusions

    J’avais le projet d’écrire des choses ici, des choses que je pensais vaguement intelligentes, ou surtout amusantes, et puis…

    illusions perdues, deux jeunes gens "L’un des malheurs aux quels sont soumises les grandes intelligences, c’est de comprendre forcément toutes choses, les vices aussi bien que les vertus.
    Ces deux jeunes gens jugeaient la société d’autant plus souverainement qu’ils s’y trouvaient placés plus bas, car les hommes méconnus se vengent de l’utilité de leur position par la hauteur de leur coup d’œil. Mais aussi leur désespoir était d’autant plus amer qu’ils allaient ainsi plus rapidement là où les portait leur véritable destinée. Lucien avait beaucoup lu, beaucoup comparé. David avait beaucoup pensé, beaucoup médité. (…)"

    Je vais plutôt continuer à lire Balzac, je reviendrai après, les illusions perdues et l’esprit libéré.

    Ce sera bien.

  • Camaraderie 1, copinage 0

    On a toujours un a priori, en ouvrant un livre. Presque toujours, disons. Parce qu’on connaît l’auteur, ou l’éditeur, parce que quelqu’un nous l’a recommandé, etc. Tout ça, c’est le crédit-pages.
    Et puis parfois, pour une raison anecdotique, vous vous retrouvez avec un livre en mains, sans rien en savoir, et vous l’ouvrez juste pour voir. Puis vous lisez, une page après l’autre… Bref, vous connaissez.

    camaraderie, matthieu rémy, larher, a prioriJe ne connais pas Matthieu Rémy. Pas même son nom.
    Je pourrais, pourtant : la 4e de couverture m’informe qu’il a écrit pour les Inrocks et fondé les revues Tout seul et Zooey. Bien. Si j’avais lu ou même connu ces revues, j’aurais eu un a priori en ouvrant le livre, mais là, rien. Juste un beau titre, Camaraderie, un peu de temps devant moi, et un résumé :
    De jeunes gens se croisent et déambulent dans une ville de province (…) Ils traversent cette période de la vie où l’on est censé prendre de grandes décisions : faire ou non des études, travailler ou s’en dispenser, vivre en couple ou poursuivre des aventures sans lendemain. Changer le monde ou s’y adapter.

    Hum.
    Je craignais fort le roman-trentenaire au narrateur hésitant (ne niez pas, vous aussi), mais il m’est apparu assez vite que Camaraderie était plutôt un roman d’apprentissage. Où les personnages certes semblent apprendre peu mais où le lecteur, lui, en profite pour accroître un peu son expérience du monde – en l’occurrence : des villes, des bars, des bandes, des groupes de rock, des quatuors à cordes ou encore des AG étudiantes.
    J'ai pensé à l’Abandon du mâle en milieu hostile, d’Erwan Larher – notamment dans cette histoire d’un jeune homme enrôlé contre son gré dans un mouvement lycéen :

    "Après ça, on trouva au bahut que j’étais un mec plutôt cool et une jeune fille prénommée Estelle commença à s’intéresser à moi. Elle était, par ailleurs, très attirée par le communisme. Comme nous étions allés voir un film impérialiste au centre-ville, je proposai de lui expliquer la baisse tendancielle du taux de profit – notion controversée, il est vrai – et elle m’embrassa. Je restai communiste jusqu’à l’université."

    (L’extrait ne fait pas complètement honneur à l’écriture tour en finesse de Matthieu Rémy. Rien à voir ici avec un de ces romans-trentenaires à l’épate où la recherche de la formule prime sur le fond. Ce qui intéresse l’auteur, ici, ce sont ses personnages, pas lui-même, et il se fait discret pour mieux les servir.)

    Je l’avoue maintenant, il m’a fallu près de 60 pages pour comprendre que ce n’était pas un roman, mais un recueil de nouvelles, et que les narrations des premières histoires ne se rejoindraient pas. Et pourtant, le livre n’a rien d’un recueil. Parce qu’aucune histoire n’est plus faible que les autres ; parce que toutes sont effectivement une variation sur un même thème sans jamais tomber dans l’exercice de style ; parce que le style, justement, est tenu tout du long, sobre et concret, sans un mot de trop, les adjectifs distillés en passant comme des virgules bien placées dans un thème musical limpide.

    On suit les camarades d’histoire en histoire et on se rend compte que le vrai héros du livre, ce sont les années 80 et 90, jamais nommées mais tellement présentes. Là encore, l’analogie avec Larher est frappante. Si on était Techikart, il ne nous faudrait pas plus pour titrer sur un revival 80 et 90s. On pourrait aussi se dire que c’est dommage que la littérature française contemporaine se tourne vers le passé plutôt de s’attacher à saisir la modernité.
    Dans un cas comme dans l'autre, ce serait con.
    Parce que ces deux livres ne se contentent pas de faire revivre des époques. Au contraire. Ils se concentrent sur l’essentiel : ce qui nous fait vibrer, détester, aimer, changer ; nos conflits intérieurs, nos relations aux autres, nos engagements, nos décisions, nos revirements. Et tout ça ne change pas vraiment, avec ou sans ipad, avec ou sans twitter, avec ou sans google.
    Deux livres qui parlent de la vie sans nous l’expliquer, et dont on sort enrichis.

    Matthieu Rémy, je ne vous connais toujours pas mais je vous dis bravo, et merci.