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  • Vous avez un Message

    A quoi peut bien servir l'actualité littéraire ? A humer le présent, peut-être, quoique souvent on s'en passe très bien (n'est pas Carrère ou Hellebecq qui veut). Et puis parfois, à défricher le passé. Quelques éditeurs au goût affirmé ressortent de vieux titres oubliés, comme un ami qui vous confierait un secret que jusqu'ici seuls quelques initiés s'échangeaient, ou une pépite trouvée au fond d'un grenier.
    002500942.jpgAinsi cette réédition par le Tripode du "Messager", de Charles S. Wright.

    Sur le bonhomme, j'en savais autant que vous : rien. Mais il y a ce portrait en couverture, comme une promesse, et la grande M. qui me l'avait mis en mains, sûre d'elle.
    Je l'ai ouvert comme on ouvre une porte en passant seulement la tête, et je me suis retrouvé à New-York au début des années 60, dans l'appart' miteux d'un jeune métis, vue sur l'Empire State Building et les putes de la 49e rue. Le frigo était vide à part quelques bières, et dans l'air flottaient une fumée de cigarette et une menace d'expulsion.

    Vous entrerez sans préambule, direct dans l'action.

    Les gosses des gitans eux aussi rôdent dans la rue. La gamine a cinq ans, le garçon six. Ils vendent des fleurs en papier. Un pigeon qui se balade avec une fille donne dix cents au gosse et lui dit de garder la fleur. Il prend le bras de la fille et ils s'en vont en riant, tous fiers d'explorer les bas-fonds. Le gosse au doux visage me regarde et marmotte entre ses dents : « Pauvres cons. » (Page 1. Et bim.)

    Passeront ensuite le copain junkie, la petite-amie-mais-pas-vraiment, la petite voisine aux yeux malins, le couple d'amis blancs, Claudia la transexuelle, etc.
    Charles, le narrateur, est au centre de ce petit monde et en dehors à la fois, observant les gens et la ville de son œil curieux, amusé ou désabusé, toujours bienveillant – acteur oui, mais de la vie des autres, comme son métier de messager. Le tout sans le moindre effet de style pour mieux laisser le lecteur se balader lui-même dans le décor, factuel jusqu'à la moelle.

    Vers la page 30, ayant déjà croisé dix personnages, vous commencerez à vous demander quand l'histoire va décoller. Page 40, comprenant que la ronde n'aura pas de fin, vous hésiterez à le reposer... Mais une seule page de plus et vous vous rendrez compte qu'il est trop tard, que vous êtes déjà dans l'histoire.

    Alors vous rencontrerez des hippies avant l'heure, vous éviterez in extremis le verre de trop, ou pas, vous irez tapiner dans un bar où les blancs sont toujours prêts à payer, vous irez porter un pli à Wall Street. Au milieu de tout ça, vous creuserez votre Charles Wright – son enfance dans le Mississipi, l'armée en Corée, les rêves new-yorkais – pour mieux coller au personnage.

    "Le messager", c'est un peu les Chroniques de San Francisco, sur la côte Est et en noir et blanc. En noir, surtout. En plus profond, aussi. Maupin faisait dans la disco, Wright est dans le blues, le pur.
    Lire ce livre, cinquante ans après qu'il a été écrit, c'est un peu comme ressortir un bon vieux blues – une guitare, un type et une âme –, remasterisé juste ce qu'il faut pour ne rien dénaturer, et qu'on écoutera ad lib jusqu'à le trouver bien plus fort que toutes les imitations et les reprises, alourdies par les arrangements, les overdubs et les afféteries de chanteurs à la mode.
    Tous les livres qu'on aime ne viennent pas du blues, mais quand il est joué comme ça, on en redemande. Ça tombe bien, c'est une trilogie, me dit-on. Et ils sont en train de traduire la suite.

     ---

    Allez, bonus.

    - Vous êtes la première personne de couleur que je connaisse, annonce soudain Peter en tâtonnant pour trouver une cigarette. Je veux dire... à l'exception de ma bonne.
    - Ça ne m'étonne pas, dis-je suavement.
    Je bois un gin tonic ; Peter, de la bière dans un gobelet d'argent ciselé.
    - Vous aimez le tennis ?
    - Non.
    - L'opéra ?
    - Non.
    - Vous vous intéressez à la politique ?
    - Non.
    Peter pose délicatement son gobelet d'argent et sourit :
    - Je parie que vous aimez baiser.
    Oh merde, me dis-je en sentant la dépression habituelle s'installer en moi. Je donnerais n'importe quoi pour rencontrer une fois quelqu'un qui me surprenne. J'ai étudié les gens pendant près de vingt-neuf ans et c'est un supplice que d'être capable de tous les classer d'avance, chacun dans leur fente, comme des sous dans un distributeur de cigarettes.

    ... Oui, des "sous". La traduction de ce premier volet est parfois un peu vieillotte sur le vocabulaire mais ça ne vous gênera pas. Elle est comme le léger crachotement sur l'enregistrement du disque mais seul le rythme compte, et l'ambiance. Gaffe au décalage horaire, avec les livres noirs les nuits peuvent être blanches.

  • Et les blogueuses niquèrent wikio (Du temps où l'on bloguait, 4)

    Février 2009. Dans le salon d'un grand hôtel, des professionnels du marketing 2.0 parlent de marketing prédictif et des nouveaux usages des consommateurs. Parmi eux, un jeune homme à tête de powerpoint et cravate fantaisie travaille pour un grand éditeur. Il représente la relève – ces nouveaux pros issus des grandes écoles qui peu à peu prennent le pouvoir dans les groupes d'édition. Devant ses pairs, le jeune mercateur explique fièrement que désormais, avec le nouveau classement Wikio, il est à l'écoute des attentes des lectrices (les lecteurs comptent peu, ils ne lisent que des polars) et des cibles prioritaires du nouveau marketing digital de la marque. Les autres acquiescent : si même l'édition se met à la page, se disent-ils, le monde est bien entré dans une nouvelle ère.

    blogueuses wikio… Mais revenons à la vraie vie, et à nos blogueuses.

    Ainsi donc, elles n'avaient tapé sur aucun bambou et elles étaient N°1. Dès la première édition du classement wikio, nos blogueuses se retrouvèrent au firmament de la rubrique Littérature.
    Mais au fait, qu'est-ce que ça rapportait, d'être N°1 ?
    Un petit boost à l'ego, sûrement, les premiers temps. Puis arrivèrent les premiers commentaires un peu aigres-doux au milieu des smileys, les "demandes d'ajout" rarement très fines et les mails vengeurs d'internautes aigries qui accusaient nos blogueuses (qui n'avaient rien demandé) de comploter pour conserver leurs places au classement... Autant de rançons à payer d'une gloire dont elles se seraient bien passé, et qui nuisaient considérablement au plaisir d'écrire.

    Quant au plaisir de lire, il était toujours là, mais là aussi, le classement changeait un peu la donne. Parce qu'être N°1, ça rapportait aussi tout plein de services de presse et autres demandes de partenariat de la part des maisons d'édition. Vous me direz, c'était plutôt une bonne nouvelle, des livres gratos, pour elles qui dépensaient chaque mois en romans ce que d'autres claquent en cafés au Flore (4ϵ80 l'expresso, me dit-on). Ça l'était un peu moins quand il s'agissait d'aller chercher à la Poste un colis non sollicité qui contenait le témoignage bouleversant d'une femme à douze doigts ou la biographie-confession d'une semi-célébrité.
    Comme elles sont polies, les blogueuses ont chroniqué ces livres, au début, puis elles en eurent assez des miniatures nombrilistes, des tribulations de jeunes trentenaires et des best-sellers autoproclamés. Et quand elles se plaignaient de la taille sans cesse croissante de leur PAL, c'était avec une petite pointe d'amertume.

    ... C'est que la cœur n'y était plus vraiment. Elles avaient beau s'en moquer, le Marketing avait posé sa main sur leur petit monde et rien ne serait plus comme avant. L'âge d'or était révolu et le Chiffre allait l'emporter sur les lettres - feuilleton connu.

    Au même moment, un peu partout en France, des lecteurs et lectrices montaient à leur tour leur blog littéraire, bien décidés à se brosser l'ego aux statistiques et à profiter de ces avantages que les blogueuses dédaignaient. Ceux-là guettaient leur progression au classement, concouraient très sérieusement au "prix des blogueurs" de Elle, et harcelaient les maisons d'édition (voire les auteurs) pour recevoir des livres (bonjour, votre roman m'intéresse, pouvez-vous me l'envoyer ? Grâce à moi vous serez célèbre car je suis sur la Toile). On vit même fleurir des agrégateurs qui se contentaient de recenser les quatrièmes de couverture des romans, on se demandait bien à quoi bon...

    … Et nos blogueuses finirent elles ussi par se poser la question : à quoi bon ? Elles s'étaient construit une position dominante et n'avaient aucune envie d'en abuser – un économiste ou un fondateur de wikio aurait sans doute jugé cela contre-nature. Ce qu'elles voulaient, c'était lire les livres dont elles avaient envie, s'amuser et partager.
    Alors elles firent ce qu'aucun autre blogueur, à ma connaissance, n'a fait dans aucune autre des catégories de wikio. Un truc tellement simple et à la fois tellement fou, qui m'inspire encore des applaudissements quand j'y repense...
    Qui fut la première ? Je ne sais plus. Mais elles furent plusieurs à écrire à M. Wikio pour demander qu'on les retire du classement. Et dès que l'une d'elles se retrouvait en tête, par abandon des copines, elle écrivait à son tour pour exiger qu'on la laisse tranquille, jusqu'à ce que le classement perde toute signification.

    Les blogueuses avaient niqué Wikio et retrouvé leur liberté.
    Ce n'est sans doute pas un hasard si, dans cette même période, plusieurs d'entre elles s'enhardirent jusqu'à changer de voie professionnelle. Elles devinrent journaliste, bibliothécaire ou libraire... L'une d'elles, si si, devint même Angéla Morelli.

    Mais de cela, nous parlerons la semaine prochaine.
    .

    J'allais oublier. Quelques mois après ce petit déjeuner 2.0, j'appris que le jeune loup de l'édition avait rencontré l'une de ces lectrices au grand cœur. Il lui fit ses avances avec l'aplomb et la délicatesse d'un ex ministre des finances. Inutile de préciser qu'elle sut l'éconduire comme un télémarquetteur indélicat. Les lettres venaient de prendre une belle revanche sur les chiffres. Hop.

  • Edouard Louis, pas que de la gueule

    CouvEdouardLouis.jpg"J’avais depuis toujours, aussi loin que remontent mes souvenirs, vu mon père ivre se battre à la sortie du café contre d’autres hommes ivres, leur casser le nez ou les dents. Des hommes qui avaient regardé ma mère avec trop d’insistance et mon père, sous l’emprise de l’alcool, qui fulminait Tu te prends pour qui à regarder ma femme comme ça sale bâtard. Ma mère qui essayait de le calmer Calme-toi chéri, calme-toi (...)"

    Chaque Rentrée a ses petits nouveaux – des petit(e)s jeunes de vingt ans qui mettent leurs tripes ou font leurs cabrioles dans un premier roman que les journalistes saluent complaisamment (une invitation au Grand Journal fait généralement partie du package). Que de la gueule, dirait mon copain M qui se fout des rentrées littéraires comme de ses premières chaussettes de foot. Les dernières promotions s'appelaient Kerr, Guyon ou Delfavard... Mais oublions, oublions.
    En 2014, il se nomme Edouard Louis, et sans doute en avez-vous déjà entendu parler. Ou alors, ça ne saurait tarder. Et pas seulement parce que le jeune homme a 21 ans et un beau titre ; parce que son livre est bon, vraiment.

    Pour une fois, ce n'est pas le Grand Journal qui m'en a parlé, mais mon ami Castor, un homme au goût sûr et au dégoût sans pitié. Il m'avait parlé de "claque", et il n'est pas du genre à abuser de ce genre de clichés. Alors j'ai ouvert Pour en finir avec Eddy Bellegueule, sans me protéger la joue. Et en quelques pages, j'ai compris.

    Résumons : le jeune Eddy grandit dans un de ces villages picards qu'on garde volontiers sous le radar. Le menu local : alcool, violence, allocs et malbouffe, collège ou usine, télé non-stop dans des maisons délabrées et squats à la bière sous l'abribus, et puis foot et pastis parce qu'on est pas des pédés. Sauf que le jeune Eddy est né plutôt efféminé, et ça, ça passe plutôt mal.

    Dans le couloir ils m’ont demandé qui j’étais, si c’était bien moi Bellegueule, celui dont tout le monde parlait. Ils m’ont posé cette question que je me suis répétée ensuite, inlassablement, des mois, des années, C’est toi le pédé ?

    Et Edouard Louis raconte. L'enfance, les insultes, l'école, les coups, les copines pour faire semblant, l'attirance pour les hommes, les sorties dans la boîte du coin, les tentatives de fuite.
    Je conçois que là, comme ça, je vous donne assez peu envie d'aller voir. Et pourtant je vous le dis : allez-y, les yeux fermés, et sans vous boucher le nez.

    "Une claque", disait le castor? Je ne suis pas totalement d'accord. Parce que l'auteur, justement, ne cherche pas à vous mettre une claque. Il raconte, avec une langue simple et des italiques où pointent l'accent picard et la violence, sans jamais en faire trop, en équilibre constant entre le factuel et le jugement (vous avez remarqué comme le romancier français s'érige souvent en juge?).
    C'est qu'Edouard Louis a trouvé la distance parfaite par rapport à son sujet.
    L'a-t-il travaillée, cette distance, ou est-elle venue naturellement ? Peu importe : c'est peut-être ça qu'on appelle la grâce, où le "je" de l'auteur s'efface complètement derrière celui du narrateur.

    ... Et voilà que vous vous retrouvez plongé dans un village où vous n'auriez jamais mis les pieds. Je me suis demandé, en lisant, si j'aurais pu regarder un film ou un documentaire sur le même sujet. Certes, on verrait la maison délabrée, et la gueule de la mère, on aurait mal avec le jeune Eddy quand il se fait tabasser. Mais comme devant un film de Stephen Frears, j'aurais sûrement cherché, d'instinct, à prendre mes distances, comme si je regardais le village en restant bien à l'abri derrière une vitre. En roman, tout est différent. Protégé par le papier des odeurs, des coups, des cris et de l'humidité qui ronge le bois des lits superposés, on est dans le village avec le narrateur, on a comme lui envie de creuser, de comprendre, et de s'enfuir avec lui plutôt que de refermer le livre.

    … Mais assez parlé – je fais comme un auteur français, là : je parle de moi au lieu de parler des autres. Lisez Pour en finir avec Eddy Bellegueule. Si vous n'aimez pas, vous pourrez venir me casser la gueule. Je suis confiant.

  • Du temps où l'on bloguait (3) - Ode aux "blogueuses littéraires"

    blogueuses litteraires, influence, pique-niqueElles s'appelaient Alinéa, Amanda, Caro[line], Chiffonnette, Clarabel, Cuné, Daniel, Emeraude, Fashion, Isil, Keisha, Laurence, Leiloona, Liliba, Océane, Stéphanie, Tamara ou Theoma (j'en oublie forcément, pardon). Elles vivaient un peu partout en France et se retrouvaient sur la toile.
    Je ne sais plus lequel de ces blogs j'ai découvert en premier, et d'ailleurs on s'en fout : peu importait qui nous avait indiqué tel ou tel lien, en ces années d'effervescence nous n'étions, chacun par devers soi, qu'une partie d'un grand tout.

    "Les blogueuses" lisaient à un rythme impressionnant et publiaient plusieurs billets par semaine pour rendre compte de leurs découvertes, avec enthousiasme et sans concession, sans chichis mais avec des chouchous (salut à toi, D. Foenkinos, salut à toi, J.P. Blondel). Elles se souciaient bien peu du calendrier littéraire mais faisaient le bonheur des libraires (je me souviens encore de l'une d'elles sortant de chez Gibert avec un sac entier de romans, quand on aime on ne compte pas), elles dressaient l'inventaire de leurs PAL, elles se commentaient les unes les autres, puis elles se mirent à faire voyager les livres en se les prêtant. Une communauté était née.

    Les blogueuses littéraires. Elles ne s'étaient pas donné ce nom elles-mêmes, bien sûr. Elles n'avaient même pas pensé à se donner de nom, c'est dire si elles n'avaient rien compris à l'Influence (quand on aime on ne pense pas à compter).

    Et pourtant elles commençaient à en avoir, de l'influence. Les magazines tentaient de mettre un nom sur le "phénomène", les chroniqueurs de papier les dénigraient avec toute la force de leur appareil critique, et les éditeurs se piquèrent de leur envoyer des services de presse. Comme elles étaient polies, elles ont écrit des billets sur ces romans, en essayant de ne pas être trop méchantes quand ils étaient mauvais. Quelques livres leur doivent beaucoup (La couleur des sentiments, par exemple), d'autres ont sans doute compris avec elles qu'ils n'auraient pas un grand avenir passé le n°180 du boulevard St Germain.
    Il faut dire qu'elles se moquaient bien des potins, des polémiques et des prix littéraires, les "amazones de la blogosphère" : elles préféraient lire, s'envoyer en cadeau des romans venus du Québec ou de Scandinavie et se défier dans des "challenges" farfelus - qui serait la première à avoir lu 26 titres de romans anglais commençant par chacune des lettres de l'alphabet ?

    Parce que la blogosphère n'était jamais qu'un moyen d'enrichir le réel, elles finirent par se retrouver, dans des bars à cocktail (je ne cafterai pas) ou dans de grands pique-niques. De livre en livre et de rencontre en rencontre, elles commencèrent à prendre conscience qu'elles formaient un collectif et le mouvement s'amplifia encore.

    ... Puis arriva le temps des statistiques. images?q=tbn:ANd9GcSYyW2wFFh9CSprYeOq-LorQ2fCVyTcogFXJEq1CpIiH6tzb4R-nQ
    Innocemment, les blogueuses avaient pris l'habitude de mettre en lien, en bas de leurs billets, les avis des autres blogueuses sur le même livre.
    Au même moment, dans un monde parallèle, quelques entrepreneurs 2.0 mettaient au point un classement des blogs, qu'ils appelleraient Wikio. Enfin le monde pourrait savoir, avec une précision irréfutable, qui étaient les blogueurs les plus influents !
    Le savant algorithme de Wikio ne se basait pas sur les statistiques d'audience, mais faisait la part belle aux rétroliens. En gros : plus il de trouvait de blogs ou de sites pour "linker" un de vos posts, plus votre blog était déclaré influent. Autant dire que quand parut le classement, nos blogueuses littéraires trustaient les premières places. Et comme les liens vers les blogs les plus influents comptaient plus, leur suprématie était assurée pour longtemps.

    Alors les éditeurs leur envoyèrent encore plus de livres et la presse leur accorda encore plus de papiers. Elles reçurent aussi des demandes de liens plus ou moins fines, et des mails fielleux de sorcières ambitieuses les accusant de tout faire pour monopoliser les places du classement.

    Nous étions en 2008 ou 2009, toutes les voies de l'Influence leur étaient ouvertes... Mais qu'allaient-elles donc en faire ?
    Monteraient-elles un prix littéraire ? Créeraient-elles un Label Blogueuses ? Rencontreraient-elles François Busnel ? Exigeraient-elles une chronique dans le Monde des livres ? Se feraient-elles publier ? Se laisseraient-elles inviter aux sauteries germanopratines les plus prisées ? En profiteraient-elles pour satisfaire leurs féroces appétits sexuels ?

    ... C'est ce que nous verrons la semaine prochaine.

    (attention je vous préviens, il risque d'être question de membre turgescent)

  • Portrait du barman en super-héros

    Une pause dans notre histoire des blogs, et en même temps pas totalement. C'est par ici que j'ai pour la première fois rencontré François Perrin. Pendant trois ans nous avons été complices sur un blog collectif, Strictement Confidentiel – un établissement dont la porte était toujours ouverte et que perpétue aujourd'hui la grande Sophie K. Comme quoi, la grande époque n'était peut-être qu'un début.

    9782919547241-270x395.jpegOn me dit dans l'oreillette que M6 envisage, dans son infinie créativité, de lancer une émission qui s'appellerait 'le meilleur bistrot de France".
    C'est idiot, bien sûr - mais si ça fait de l'audience, après tout, ça les regarde.
    Alors que vous le connaissez déjà, le meilleur bistrot de France : c'est celui qui est en bas de chez vous, ou juste un peu plus loin chez Machin - bref, celui où vous descendez parfois pour écrire un peu, lire, voir les gens, boire un verre, saluer quelqu'un, reprendre un verre, écouter les conversations, regarder la vie qui passe.

    Ces bistrots-là ont leurs mythes, et bien sûr leurs écrivains : ils s'appellent Hemingway, Fallet, Jaenada, Blondin... Et maintenant François Perrin.

    Bois sans soif, c'est l'histoire d'une ascension : celle d'un blanc-bec qui ne sait pas de quel bois il est fait, puis qui découvre celui dont on fait les zincs, et qui franchit les étapes, une à une et de part et d'autre du comptoir, du simple client au Professionnel Rassurant – lequel, au faîte de sa puissance, abdique sa personnalité pour ne plus incarner que ce que le client veut voir, arbuste pour l'un et baobab pour l'autre, planchette et poutrelle à la fois.

    Bois sans soif, c'est aussi le portrait du barman en super-héros, avec ses pouvoirs de vision périphérique et d'invisibilité, son oreille absolue, sa maîtrise du temps et du client gênant.
    C'est encore une classifications des bars et des alcools (parce que vous n'êtes pas le même homme à la bière ou à la vodka), un portrait de groupe des clients du bar et des dialogues de fin de nuit (absurdes ou profonds ou les deux à la fois), une écriture de whisky sur la langue et une sociologie du houblon – la vie, en somme, dans l'espace réduit d'un boxon, mais dans toutes ses dimensions.
    Ou plutôt, comme le résume Philippe Jaenada HIMSELF en (grande) préface : "on y apprend surtout, avec l'impression distrayante d'observer simplement une maquette, vue d'en haut, un petit bistrot avec des petites personnes dedans, on y apprend surtout ce qu'est la vie sur terre". Et avec la manière.

    Vous pourrez lire Bois sans soif d'un seul trait ou par petites lampées, au choix. Vous le lirez dans un café, dans le métro ou au lit – j'ai testé les trois, et à chaque fois l'impression était la même, celle d'être transporté dans un rade avec François Perrin, avec le double plaisir de l'atmosphère et de la conversation, le style et le propos – en un mot, le bonhomme.

    Et François Perrin, ce n'est pas n'importe quel bonhomme. Là comme ça, à brûle-pourpoint, je pourrais vous dire que c'est le genre de type qui ne bouge pas beaucoup (je veux dire : il ne file pas tous les quatre matins au Congo, à Caen, en Biélorussie ou aux îles Kiribati) mais qu'on a envie de suivre partout. Le genre de type aussi dont on se dit que le monde irait mieux s'ils étaient plus nombreux.

    Un souvenir me revient en mémoire, là tout de suite. C'était il y a quelques semaines, une soirée dans un bar. Vers minuit, sortant sur la terrasse, on a trouvé un type effondré sur une table, immobile, la tête dans sa capuche, un sac au dos et un filet de bave aux lèvres – le type complètement cuit, quoi. Les consommateurs le regardaient en coin ou feignaient de l'ignorer, et je ne leur jette pas la pierre car j'aurais fait pareil. François Perrin, lui, s'est approché. Il lui a tapé sur l'épaule du type, ça va, gars ? , il l'a secoué pour le réveiller, a insisté pour qu'il boive de l'eau. Le type ne voulait rien, borborygmait et bavait encore mais François a continué, jusqu'à ce que l'autre, vingt minutes plus tard, boive enfin (sans soif) son putain de verre d'eau et se requinque un peu.
    C'est ça, François Perrin : pas un héros, pas un saint – comme le narrateur de son livre, en fait : une sorte de super-héros du quotidien, dont les pouvoirs sont si simples qu'on les a oubliés, et qui donne envie d'être un homme, un peu plus et en un peu mieux.

    En attendant, trinquons à votre future lecture, et à votre bar de quartier. Et si vous êtes du genre à prendre un premier verre juste pour goûter, vous pouvez aller voir cette autre anecdote, là. Je vous le dis : un barman ou un livre de François Perrin, c'est mieux qu'un super-héros. Un service public.

    A la vôtre.

  • Du temps où l'on bloguait (2) - le temps de l'influence

    Ainsi donc j'ai promis (à moi, surtout) d'écrire chaque post au fil du clavier - autant dire qu'il ne faudra pas s'étonner si on digresse dès le deuxième épisode.
    .

    blog influent, histoire des blogs... Mais avant de parler des blogueuses littéraires, il faudrait se souvenir de ce qu'était la "blogosphère" de ces années 2006-2008. Ce n'était plus tout à fait nouveau mais l'effervescence était encore là. On avait commencé à se rencontrer, des amitiés se nouaient pour de vrai, on se retrouvait au café et on terminait parfois nus dans un lit, on montait des blogs collectifs ou d'autres éphémères, des cathartiques anonymes avaient été démasqués, des vedettes émergeaient et cristallisaient les conversations.

    Le petit monde foisonnant, en un mot, commençait à se structurer. C'était inévitable, bien sûr - non pas tant qu'il soit dans la nature des choses de s'ordonner d'elles-mêmes (vous avez quatre heures), mais parce qu'il était dans la nature de quelques-uns de vouloir façonner le monde à leur image.
    Ils étaient une poignée, autoproclamés "influenceurs" et qui finirent par le devenir à force de crier plus fort. Certains étaient là depuis le début, d'autres avaient flairé l'opportunité, et tous nourrissaient des rêves de Christophe Colomb : le cyberespace regorgeait de terres inexplorées et ils brûlaient de planter leur petit drapeau dessus et de le cartographier - mais cela, il faudrait un livre pour le raconter (un roman dont Mry serait le héros ? chiche).

    Bref! Une fois le drapeau planté, le monde extérieur a commencé à s'intéresser de plus près au "phénomène". Les badauds journaux se demandaient avec curiosité qui étaient les blogs les plus influents parce qu'ils n'aiment rien tant, au fond, que les classements et les cases à cocher. Les entreprises, elles, se demandaient qui étaient les blogs les plus influents parce qu'elles avaient compris que derrière chaque clic se cachait un dollar. Et bien sûr les influents, les vrais, ceux qui pendant la ruée vers l'or auraient vendu des pelles en attendant que d'autres trouvent des filons, les entrepreneurs, donc, développaient déjà les outils qui viendraient monétiser le nouveau monde : alors déferlèrent les statistiques, les classements et classifications, la publicité, les affiliations, le sponsoring et les agences d'e-reputation.
    Ainsi va le monde, sans doute : à chaque époque, toute nouveauté finit par prendre forme dans une structure qui ressemble étrangement à la structure mentale des dominants du moment - ou plutôt de ceux qui, les dents aiguisées et le drapeau hissé, ont fait foi de prendre leur place.
    ... Bref, 2.

    Le petit monde de l'édition, jamais très en avance sur son temps, a découvert "les blogs" avec circonspection, hésitant à récupérer la tendance ou à la disqualifier, et finissant par faire les deux en même temps.
    On comprend les éditeurs : on commençait tout juste à parler de livres numériques, mais déjà sur les écrans on découvrait des écritures bien plus intéressantes que 98% des romans publiés, et des internautes de plus en plus nombreux se piquaient de critiquer des livres sans le moindre respect pour Saint-Germain-des-Prés.

    Il y eut donc des blogs publiés, avec succès pour certains (Ron l'Infirmier, le "Flic" de Bénédicte Desforges, les tribulations de caissière d'Anna Sam...), dans l'indifférence pour beaucoup d'autres (il faudrait se souvenir des concours bidons lancés par les éditeurs à l'époque) - et je ne parle pas bien sûr de Pénélope Bagieu ou Margaux Motin, qu'on mettra hors concours pour plein de raisons (notamment parce que je ne sais pas dessiner, na).

    Dans le même temps, les éditeurs se sont rendus compte que les blogs parlaient aussi de livres - que parfois, même, ils en parlaient bien, et que le bouche-à-oreilles allait encore plus vite sur la toile qu'à la ville.
    Parce qu'un blog qui vous parle d'un livre, c'est un peu comme les conseils d'un ami, sauf qu'un ami, quand il vous conseille un livre, ne vous en fait pas trente lignes argumentées, il vous dit "ça, c'est vraiment bien", ou "ça c'est pour toi", ou alors il vous le prête.

    Les éditeurs, donc, s'arrachaient les cheveux pour comprendre à qui ils devaient envoyer leurs livres pour démarrer un buzz. Ce n'était pas facile pour eux : c'est que la toile littéraire, par nature rétive au parfum si peu subtil de la mercatique, ne se laissait pas cartographier aussi facilement que, mettons, les blogs-de-mode. Il y eut tout un tas de tentatives, mais aucune qui fonctionnât.
    Et puis, en dehors de toute Influence, un petit groupe a commencé à se dégager. Elles parlaient de livres, beaucoup, et presque que de ça. Les éditeurs commencèrent à parler d'elles comme "les blogueuses littéraires", sans trop savoir qui elles étaient, ni comment les apprivoiser. Réussiraient-ils à les récupérer comme les marques de cosmétiques et de fringues avaient trouvé leurs égéries sponsorisées ?
    C'est ce que nous verrons au prochain épisode.

    ... A moins bien sûr que je ne fasse une pause pour vous parler de François Perrin. On a le temps, non ?

     

    PS - à propos de petit monde des livres, un souvenir me revient en mémoire. C'était au début de 2007, j'avais écrit cette note, là, sur les Falsificateurs d'Antoine Bello. Dans une émission de France Culture, Nelly Kapriélian (ou était-ce Jospeh Macé-Scaron ? Ma mémoire a des trous et le podcast a disparu) avait commencé son topo en citant, quasi in extenso, la chronique. Joie, fierté et sourire en coin. Parce qu'à l'époque (elle n'a pas changé), les critiques officiels regardaient plutôt léblogs avec condescendance en dénonçant leur amateurisme et leur manque d'appareil critique. (Ha ha. Faut-il rappeler qu'un an plus tard la presse comparerait Sacha Sperling à Françoise Sagan - salut à toi, appareil critique)
    Mais ce qui m'avait fait sourire, c'était surtout la façon dont NK (ou JMC) avait introduit sa citation : "l’auteur de ce blog chronique des livres qu’il reçoit... ou va recevoir"
    Eh non, Jospeh, non, Nelly ! Je ne recevais pas de livres, à l'époque. Je n'en reçois toujours pas, ou presque pas. Figurez-vous que je les achète en librairie, ou que des amis me les prêtent, qui eux-mêmes les ont achetés. Mais cela visiblement passait au-dessus des critiques dûment appareillés. Une preuve supplémentaire qu'ils n'avaient rien compris. Mais sur ce point, peut-être ont-ils grandi.

  • Du temps où l'on bloguait

    histoire des blogsJ'allais écrire une note sur un roman Harlequin - si, si. Mais plus j'y pense, plus c'est un feuilleton qui me vient. Qu'on écrira au fil du clavier, promis. Allez, épisode 1 : flashback. Un peu de nostalgie est à prévoir.

    C'était une époque d'effervescence. Nous ne nous en rendions pas compte parce que nous étions en plein dedans, mais on comprendrait vite, quand f*ceb**k viendrait tout balayer, que nous avions vécu un moment spécial.

    C'était quelque part après 2005, des blogs s'ouvraient un peu partout. J'avais entendu le mot quelques fois, j'avais vaguement compris que c'était une sorte de journal intime (ha ha), j'avais même lu une ou deux interviews de Loïc Lemeur, pionnier officiel, et franchement, à l'époque je n'avais vraiment pas compris l'intérêt de rendre son journal intime accessible à tout le monde. En fait, je n'avais pas compris du tout ce que ça pouvait ou devait être, un blog. Parce que c'est ça, aussi, la nouveauté, pour beaucoup d'entre nous : on ne la voit pas toujours d'emblée comme une liberté, on se demande d'abord quelles sont les règles. M'enfin.

    Je n'ai vraiment découvert le monde des blogs que par hasard, quand un ami m'a signalé un article de blog sur La Faune on the Flore. Gloire à toi, King Negrito !
    (NB - j'aurais bien truffé ce texte de liens, comme à l'époque, mais ils ont presque tous disparu de la toile aujourd'hui, je sens mes cheveux blanchir en direct à mesure que j'écris cette note)

    Alors seulement je me suis baladé de lien en lien. J'ai compris qu'il y avait de tout, sur ce qu'on n'appelait pas encore "la blogosphère" : de l'intime, de la catharsis (salut à toi, Agitation Permanente, salut à toi, Divin Connard), de la poésie, du journalisme, du sexe, de la réflexion citoyenne, de la musique (Myspace prendrait bientôt tout l'espace)... On y trouvait des écritures originales, drôles ou poignantes, on inventait des formes, on prenait des libertés, et surtout : on conversait.

    Ouvrir un blog et arpenter ce petit monde où les règles s'inventaient en direct, c'était un peu comme entrer dans un gigantesque cocktail où tout le monde avait soif de nouveauté. Il n'y avait pas de videur à l'entrée, on pouvait écouter tout le monde sans être gêné de ne connaître personne, parler sans peur d'ennuyer, échanger un clin d'oeil ici ou là, entamer un débat ou s'isoler à deux pour une conversation plus privée.
    Puis il y eut des échanges de mails et des rencontres pour de vrai, des soirées de blogueurs, des apéros, des pique-niques... Et c'est comme ça que, de fil en aiguille, j'ai fait la connaissance d'un gang étrange : les blogueuses littéraires.

    A suivre...

  • Привет вам, анонимный посетитель

    Cher internaute anonyme, j'allais oublier : je me suis un peu renseigné sur toi. Je veux dire : au-delà des mots-clés qui m'en disent déjà tant sur ta personnalité.
    Il y a longtemps que je ne regardais plus les statistiques de fréquentation de ce blog : entre ce que me disent google analytics et hautetfort, il y a encore plus de différence qu'entre les comptes de la police et des syndicats pour une manif étudiante... Mais ces derniers temps, hautetfort me remontait des statistiques qui auraient fait couiner un blogueur-influent© à la grande époque, alors comme tu ne postes pas plus de commentaires que d'habitude, je suis allé regarder le détail...

    Eh bien, si mon calcul est juste, maintenant je sais.

    Globalement, il semblerait que tu sois surtout un espion chinois ou un moteur de spam russe.
    Du coup, là tout de suite, j’ai un peu moins envie de trinquer avec toi.

    Mais si tu existes et que tu passes par ici, que l'année soit belle !
    De grands moments, de bons romans, quelques mauresques et du romanesque. Enjoy 2014.
     .

    PS - le premier de l'an, piercing rose nombrils avec la lettre ' s ' - je vois que tu prends de belles résolutions. Salut.