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Second Flore - Page 2

  • Blizzard (oui, j'ai dit)

    blizzard, marie vingtras, l'olivier, eh ouiLes derniers pas ont été les pires. Ma tête me lançait, j’ai enlevé mon bonnet et je l’ai tout de suite regretté. La sueur de mon front est devenue gelée au contact du vent. Lorsque j’ai voulu le remettre, mes doigts n’obéissaient plus. J’ai cru que je ne parviendrais jamais à atteindre la maison. Cole prétend qu’elle est hantée pour faire peur au petit mais je sais qu’il n’en est rien.
    (Marie Vingtras, Blizzard, éd. de l’Olivier, p. 71)

    Parmi les romans qui m’inspirent le moins a priori, je crois bien qu’en tête de liste je mettrais le ‘nature writing’ et les secrets de famille.

    Et voilà qu’arrive entre mes mains ce (premier) roman dans lequel quatre adultes partent à la recherche d’un gamin disparu dans un coin reculé de l’Alaska, au cœur d’une tempête de blizzard. Au milieu de tout ce blanc un fil rouge : qui est vraiment ce gamin ? Et qui sont vraiment ces adultes ?

    J’aurais pu fuir, comme ce jeune garçon invisible. Finalement, j’ai englouti ces 180 pages. Comme quoi, avec des chapitres courts et des phrases simples, on peut faire des miracles.

    (Allez savoir, c'est peut-être ça, la vraie "littérature blanche")

  • Maria Pourchet - Feu

    Maris Pourchet, Feu, Fayard, hopLaure est en couple, Clément non. Elle universitaire, lui cadre très sup. Elle s’ennuie, lui aussi. Rencontre, mystère, coup de fil, pourquoi pas, chambre d’hôtel. L’adultère commence.

    Le motif est si classique qu’il en devient comme ces thèmes mythologiques qu’on retrouve dans toutes les galeries de peinture et qui permettent de comparer les époques.
    Parce que l’essentiel, évidemment, ce n’est pas l’histoire - même si elle sait rebondir chaque fois qu’elle pourrait faiblir. L’important, c’est le regard, c’est le style de Maria Pourchet, ses punchlines de milieu de phrase, ses trouvailles, la variation des angles, la fille aînée de 17 ans qui a tout compris.

    Si vous avez déjà lu Maria Pourchet, vous savez. Sinon, eh bien, il est temps.
    A vos marques, prêts… Feu !

    (PS pour la nostalgie : voilà 9 ans que pour la 1e fois ici j'ai parlé de Maria Pourchet, pour son 1er roman, Avancer. Avec une pensée pour les pauvres inconnu.es lancé.es dans la jungle de la Rentrée par Gallimard... Bon courage, les gars!)

  • Fille, femme, autre (ne précisez pas)

    fille femme autre, evaristo, globe12 histoires de femmes (noires, pour la plupart) dans l’Angleterre d’aujourd’hui (et un peu d’hier), douze histoires avec entre elles des liens parfois (très) ténus. La couverture était sublime, la 4e promettait une myriade de prix prestigieux, je me suis dit : pourquoi pas ?
    En ouvrant, j’ai découvert 400 pages de courts paragraphes sans majuscules ni points. J’y suis allé avec circonspection, après 20 pages j’étais plongé dedans - la forme n’est pas une coquetterie, comme un flux de conscience par fragments (un vaccin parfait contre les paragraphes parfois interminables des romans façon étalier d’écriture). Et le fond ! On y revient toujours, c’est une question d’intelligence, d’empathie, de vision du monde - et de maîtrise, pour nous faire entre dans la tête successivement d’une autrice de théâtre, d’une ado en roue libre, d’une femme forte qui sombre sous l’emprise d’une autre, d’une prof de collège, d’un homme trans…
    Au milieu du roman, j’avoue, j’ai commencé à fatiguer - après tout, j’avais lu l’équivalent de six longues nouvelles, j’avais voyagé en Angleterre et aux Etats-Unis, je pouvais m’arrêter là. Alors j’ai commencé à lire en diagonale chaque nouveau chapitre, à la recherche de liens avec les histoires précédentes. À chaque fois pourtant, Bernardine Evaristo réussissait à m’intéresser à sa nouvelle héroïne, à créer une tension narrative avec presque rien (J. va-t-elle trouver ce qui manque dans l’inventaire de son magasin ?) et hop, comme rattrapé par le col après 5 pages, je revenais au début du chapitre pour ne rien manquer.
    Et ça, (presque) jusqu’à la fin, en songeant qu’il nous faudrait encore un paquet d’années avant de trouver un roman aussi fort dans le domaine français (Virginie D., peut-être ?)
    En tout cas, sur la forme comme sur le fond, il y a bien longtemps que je ne m’étais pas dit : « Je n’ai jamais lu ça », et ça fait du bien.

  • Indésirable (La France rurale, by Larher)

    erwan larher, indésirable, quidamC’est l’histoire d’un personnage étrange qui arrive dans un village où personne ne l’attend… Vous pensez avoir déjà lu cette histoire ? Détrompez-vous. D’abord parce que Sam est un.e protagoniste pas comme les autres : iel est intersexe - vous en connaissez peut-être dans la vraie vie, dans les romans, pour ma part, c’était une première. Quant aux habitants de Saint-Airy, le bled où Sam pense avoir trouvé la maison de ses rêves, on ne savait même pas que ça existait. Alors bien sûr, ça jase, on aimerait quand même savoir si c’est un gars ou une gonzesse qui a eu l’idée saugrenue de retaper la « maison du Disparu » pour en faire un lieu culturel.

    Mais ne vous fiez pas à la couverture : « Indésirable » n’est pas un roman sur l’intersexualité. C’est d’abord un très bon roman sur la France rurale - pas celle des cartes postales ni celle du journal de 13h, non : la France rurale à l’heure d’internet et du glyphosate, de "L’amour est dans le pré", des réseaux sociaux et des militants écolos. Avec son maire, son notaire, ses deux boulangers, son bar (son proprio, sa serveuse, ses habitués), son supermarché et son épicerie bio, quelques intermittents du spectacle ou du bâtiment, et l’assureur qui couche avec - mais je ne voudrais pas tout dévoiler.

    Malgré la défiance générale, Sam tient à son projet, iel se fait des alliés… et finit par se mettre en tête, avec quelques plus jeunes, de bouter ce maire hostile à tout changement.

    Et là, vraiment, vous n’avez jamais lu ça. Parce que la politique dans les romans, franchement, c’est presque toujours raté, et souvent consternant, avouons-le, quand ça se veut progressiste. Mais Larher sait de quoi il cause (il vit une partie de l’année dans un bled qui ressemble furieusement à St-Airy (je serais curieux de savoir comment le livre y a été lu, tiens)) et il tient son affaire, et tous ses personnages, leurs alliances et leurs trahisons, leurs fols espoirs et leurs petites lâchetés.

    Bref : si je dis qu’on tient là le grand roman de la démocratie locale, je crains de ne donner envie à personne. Mais je vous promets de l’action, du suspense, un souterrain mystérieux et un vol en ballon pour prendre de la hauteur et voir à quoi elle ressemble vraiment, cette France éternelle.

    Bravo camarade.

    Erwan Larher, Indésirable, Quidam éd. (2021)

  • Tongue-in Chic(k)

    agnès mathieu daudé, la ligne wallace, flammarionAlfred Wallace : explorateur et naturaliste, vous connaissez ? Moi non plus. Contemporain de Darwin, il a parcouru le monde pour étudier l’origine des espèces, il en a retenu les mêmes conclusions que Darwin sur la sélection naturelle mais l’histoire n’a retenu que le nom de son cadet - sorry mate, il n’y a pas de place pour nous deux dans ce manuel...
    Il a existé, vraiment - au XIXe siècle il était même assez célèbre… Mais La ligne Wallace n’est pas un roman sur Wallace, ou très peu.

    Amos, jeune chercheur français, s’est expatrié au nord de l’Angleterre, au sein de l’obscure et farfelue Fondation Wallaciana pour la biodiversité, pour écrire une biographie romancée du grand homme. Il n’arrive pas à écrire, observe son environnement en naturaliste sans trouver goût à grand-chose, saute allègrement les repas et occasionnellement Elizabeth, l’énigmatique épouse de son patron.
    - Et, heu… C’est tout ?
    Oui, ou presque.

    Mais chez Agnès Mathieu-Daudé, ce n’est pas le pitch ou les rebondissements qu’on attend, c’est la façon de l’écrire, le goût du détail et de l’absurde, l’humour à froid et le détachement impitoyable dans l’analyse du milieu - la petite société de Durham et cette Fondation Wallaciana, son patron mégalomane et ses philanthropes acquis au greenwashing.

    J’ai pensé en lisant à Julia Deck, à Caroline Lunoir, à Maria Pourchet aussi. Il y aurait presque là un courant, si le mot existait encore (les tongue-in-chicks ?). Comme une école française de l’observation fine et du détachement ironique - mais une ironie douce, avec du sens et du doute, une façon de voir plutôt que de savoir, rien à voir avec cette ironie 90s des Beigbeder et consorts, cette désinvolture qu’on disait post-adolescente et qui n’était qu’une autre forme de fin de siècle, cette Génération Canal+ qui est aussi un peu la mienne, qui a bien vu arriver la catastrophe et s’est contenté de ricaner.

    L’époque a pris un sacré coup de vieux, depuis lors - ou de jeune, c’est selon. Elle exige du sérieux - c’est peut-être ça, me dis-je en écrivant, que j’aime tant en lisant ces autrices : parler du monde avec l’air de ne pas y toucher, être sérieux sans en avoir l’air, c’est peut-être la plus élégante politesse qu’on puisse avoir aujourd’hui envers ses lecteurs.

    Bien à vous

    Agnès Mathieu-Daudé, La ligne Wallace, Flammarion, 2021

  • Normal People (roman 2 / série 1)

    Normal People, Rooney, L'OlivierÇa avait été un des bonbons du premier confinement, quand on pressentait seulement que la vie normale n’allait pas reprendre de sitôt : la série Normal People, variation assez fine sur l’amour, l’amitié et « l’autre moitié » impossible.

    Avant d’être une série, Normal People était un roman, de Sally Rooney, qui vient de sortir à L’Olivier. Je l’ai ouvert par curiosité, et je me suis retrouvé à le terminer en une nuit, comme on binge une série - mais les effets secondaires de mal aux yeux + malaise général + culpabilité. Roman 1 / Ecran 0 !

    L’histoire en bref : dans le Connacht irlandais, Marianne et Connell entament une liaison secrète. Elle est riche et asociale, lui est le fils de la femme de ménage - et la vedette de l’équipe de foot du lycée. Ils se perdent, se retrouvent à la fac, se reperdent… Bref : du classique. Mais pas seulement.

    L’adaptation de la BBC était plus que fidèle au roman. Si vous l’avez déjà vue, ce sera comme la revoir avec un choix d’angles différents - et tout ce qu’une caméra ne pourra jamais vraiment capter : le sentiment de dégoût de soi, le complexe de classe, la sensation sur les doigts d’une brique de lait qu’on sort du frigo, ou d’une main qui s’aventure dans votre caleçon quand vous ne bandez pas vraiment. Car il est beaucoup question de sexe dans Normal People, sans la moindre recherche d’érotisme. Sally Rooney l’intègre à son histoire avec un naturel qui enverra se rhabiller à peu près toutes les autrices (et les auteurs) de new romance.

    Et si vous n’avez pas vu la série ? Ce sera encore mieux. En tournant les pages, j’avais en tête la Marianne et le Connell de la série - parfaitement incarnés, tout en retenue, à la fois ‘normaux’ et singulièrement beaux. Mais pour vous, ils seront comme vous les imaginez, et ce sera encore mieux. Roman 2 / Ecran 0.

    J’ajoute un dernier point, technique : rarement j’avais lu une science aussi consommée de l’ellipse et du flashback - à peine 300 pages pour nourrir 12 épisodes de 50', chapeau ! Née en 1991, Sally Rooney maîtrise avec une parfaite fluidité les modes Rewind et Fast-forward - franchement, je crois qu’on pourrait étudier ce roman dans les écoles d’écriture. Et le mode Play est pas mal aussi, vous verrez.

    Bref : bon week-end, en attendant le retour à la vie normale, si elle existe. Et bonnes lectures.

    Sally Rooney, Normal People - Ed. de l'Olivier (trad : Stéphane Roques)

  • Pierre Jaune et roman noir

    le guilcher, la pierre jaune, goutte d'orEt boum. Il y avait bien longtemps qu’un roman ne m’avait autant donné envie de me remettre à la fiction, tiens.
     
    Un flic pas très gauchiste infiltre une communauté d’activistes sur une presqu’île bretonne. Alors qu’il progresse lentement et commence vaguement à s’intégrer, une catastrophe nucléaire à La Hague entraîne l’évacuation de tout le nord de la France. Les chevelus décident de ne pas bouger, le flic reste avec eux. La suite ? Entre conflits et survie, des bribes du monde extérieur parviennent encore quelque temps du pays qui tente d’organiser le chaos (échos parfaits avec cette année 2020) , puis c’est le blackout, et les convictions droitières du narrateur qui commencent sérieusement à s’étioler…
     
    Mais je ne vais pas raconter le roman, seulement rappeler qu’il est bon de lire une fiction enrichie en rebondissements sans pour autant être saturée de clichés. Que la structure d’un roman noir permet décidément toutes les variations de couleur. Et que si les puristes regretteront peut-être l’absence de ‘travail sur la langue’, d’autres pourront en remercier l’auteur pour cette fluidité impeccable qui n’est vraiment pas donnée à tout le monde.
    (je ne citerai pas les deux romans que j’ai ouverts (presque) au hasard avant cette Pierre Jaune, disons juste que certains livres en disent moins sur le monde que sur l’absence de travail de leurs éditeurs)
    Bref : bravo à l'auteur, et à son éditeur, et vive la fiction clairvoyante !
     
    Geoffrey Le Guilcher, La Pierre Jaune, éd. de la Goutte d'Or

  • Lunch-box

    (en attendant la réouverture des restaurants...)

    lunch-box, de turckheim, gallimardUne amie qui met autant de bon sens que de bonne humeur dans le monde de l’édition dressait l’autre jour ce triste constat : « Le thème des livres fait tout, on ne parle plus de la façon dont les histoires sont racontées ». J’aurais du mal à lui donner tort.
    J'ai pensé très fort à elle en lisant cette Lunch-Box. Le thème ? On s’en fout. Disons, une petite communauté franco-américaine à Long Island, secouée par un événement qu’on se gardera de préciser. Tout le sel est dans l’écriture, pétillante, inventive, élusive, surprenante parfois - bref, tout le meilleur d’Emilie de Turckheim, formidable conteuse qui avance sans recette et dose les épices avec un talent rien qu’à elle.
    Je ne saurais trop recommander l’expérience de plonger dans le livre sans lire la 4e de couverture (perso, j’ai arrêté de les lire) comme on commanderait le menu du jour sans regarder l’ardoise au resto (soupir).
    « Lunch box », idéal télétravail, vous me donnerez des nouvelles du dessert !
    Bon appétit
  • L'enterrement des Etats-Unis d'Amérique

    ohio, markley, recoursé, albin michelIl y a quelques années, avisant les tables d’une librairie parisienne, une amie québécoise (Annie Rioux, bisou) m’avait demandé : « Mais qu’est-ce que vous avez donc, vous autres Français, avec la littérature américaine ? »
    Bonne question.
    Je lui ai raconté l’étonnante dialectique de répulsion/fascination pour les Etats-Unis, ce tropisme atavique de nos critiques pour l’Amérique-qui-doute-d’elle-même, notre habitude confortable du français-traduit-de-l’américain, cette langue à part qui nous guérit de la passion française pour le style (et l'un des derniers refuges du passé simple que délaissent les auteurs français), et cette crédulité un peu snob qui voudrait qu’un roman made-in-USA, un peu comme les machines-outils allemandes, soit forcément de meilleure qualité que ce qu’on pourrait faire chez nous.
    Ce qui n’est pas toujours faux, loin de là.

    Mais on en revient tout de même un peu, du Great American Novel, non ?
    500 pages contractuelles, certes on a ici de grands traducteurs qui savent rendre ça digeste, mais quand même, les chapitres de 20 pages minimum et le détour obligé par les ancêtres immigrants ou l’aieul hobo sur les routes des années 30, on commence un peu à en souper. Pour ma part en tout cas, je n’y arrive plus, à moins de me limiter à un ou deux par an - après tout le monde est vaste, et la chair n’est pas assez triste pour qu’on ait envie de lire tous les livres.

    … Et donc, pour commencer l’année, ce ‘Ohio’ dont j’entends des merveilles depuis septembre. Je ne vais pas en faire une critique, tout a été dit ou presque. Je précise simplement qu’il n’y a pas d’aieul hobo, seulement des va-et-vient constants et assez savamment orchestrés entre le début des années 2000 et les années 2010 (attention à l’overdose de flashbacks, quand même) (quand ce n’est pas un flashback d’overdose). Et oui c’est réussi, réaliste, cru et charnu à la fois, l’écriture avance sûre d’elle sans en faire trop tandis que les protagonistes sont saouls ou défoncés (ou les deux). A ce niveau, ce n’est plus l’Amérique qui doute d’elle-même, c’est un prélude à l’enterrement des Etats-Unis, un pays entier accro aux opiacés et qui ne croit plus en grand chose d’autre qu’en la prochaine ordonnance d’Oxycontin.
    « Le mythe a dévoré son enfant », dit un personnage à propos de l’ex star de foot US du lycée. ‘Ohio’, c’est le mythe américain qui se bouffe lui-même dans la petite ville de New Canaan.

    Un jour sans doute, on datera de 2020 l’année où l’Amérique a abandonné son leadership, l’année aussi où au-delà des doutes elle s’est crashée elle-même. Il n’est guère question de politique dans ‘Ohio’ mais j’y pensais assez fort en voyant hier les images du Capitole. La fascination et la répulsion - et en même temps l’envie d’aller regarder ailleurs quand même.

    Allez, on pourrait essayer de faire de 2021 celle du grand roman français - en attendant de pouvoir de nouveau aller voir ailleurs si par hasard on n’y serait pas.

    Bonne année !

    Stephen Markley, Ohio (Albin Michel), brillamment traduit-de-l’américain par Charles Recoursé