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Second Flore - Page 6

  • Une nuit avec Jean Seberg

    (une note tous les trois mois, ça me paraît un bon rythme, non ?)

    C’est une chose qu’on souligne rarement quand on parle de ces jeunes "radicalisés" partis en Syrie : qu’ils ont trouvé un idéal, une Cause à rejoindre. Manipulés sans doute, naïfs peut-être, mais sincères.
    Jamais je n’ai entendu le moindre parallèle entre la dynamique qui les conduisait au départ et les motivations de ces jeunes gens qui, en 1936, franchissaient les Pyrénées pour aller se battre en Espagne.

    Tu me diras : Scandale ! Comment peut-on placer sur le même plan le djihad et la République ? Le terrorisme et la lutte contre Franco ? Je te répondrai que je n’ai surtout pas dit ça - que je m’interroge seulement sur les ressorts individuels, et que s’interdire d’adopter un instant ce point de vue, c’est voir le monde avec des œillères.
    Mais je m’égare et je suis maladroit.
    Heureusement, Marie Charrel est plus habile.

    marie charrel, jean seberg, fleuve"Une nuit avec Jean Seberg", c’est l’histoire d’Elisabeth, née d’un père noir américain en Algérie française. Adolescente, elle découvre le racisme en France, émigre aux Etats-Unis et épouse la cause des Black Panthers. Jusqu’au jour où on lui demande de manipuler la frêle Jean Seberg pour financer le mouvement.
    Fast forward en 2016 : Elisabeth est de retour à Paris, son petit-fils chéri est parti sans donner de nouvelles, on a retrouvé chez lui un Coran annoté et on craint qu’il ne soit parti en Syrie. Le parallèle est parfait, lumineux sans être souligné, structurant sans que jamais le roman ne tombe dans l'écueil du livre-à-thèse - au contraire : ce sont les questions qui importent.
    Disons-le : Marie Charrel se bonifie décidément à chaque livre, le romanesque s’y déroule de façon chaque fois plus limpide, et sans grosse ficelle - avec Charonne 1962 en toile de fond, le FBI (true story), et Romain Gary en coulisse.

    Je n’en dis pas plus - sinon qu’ils ne sont pas si nombreux, les romans qui proposent un autre regard et une langue fluide.

    Sur ce, je retourne travailler, elle m’a donné envie de m’y remettre encore plus sérieusement.

    A dans trois mois (ou peut-être moins)


    Marie Charrel - Une nuit avec Jean Seberg, ed. Fleuve

  • 14 juillet (ça ira)

    duquesnoy, journal, mazeau, mercureC'est l'histoire d'un jeune trentenaire récemment monté à la capitale et qui se demande parfois ce qu’il fout là… STOOOP! dis-tu, et tu as bien raison.
    Sauf que ce jeune trentenaire est né en 1759 et que nous sommes en 1789 : Adrien Duquesnoy est représentant du Tiers Etat aux Etats Généraux de Versailles, et il écrit son journal de bord - le journal d’un type pondéré, soudain plongé dans l’action.

    Il y a tellement de choses, dans ce livre ! On y voit la naissance de notre démocratie parlementaire, qui fait tomber des règles caduques et en invente de nouvelles non sans chaos. On y sent les débats de l’Assemblée, avec leurs vedettes Mirabeau, Sieyès ou Lafayette tandis que Talleyrand et Robespierre apparaissent en personnages encore secondaires. On y apprend avec l’auteur que 200 000 hommes en armes gardent Paris et que le peuple gronde en ce début juillet.
    On a vraiment l’impression d’y être, et c’est normal : parce qu’on y est !

    Duquesnoy n’a pas écrit ce texte quelques mois après l’événement : il écrit vraiment au jour le jour, et il ne cache pas ses emballements (le Serment du Jeu de paume !) ni ses frustrations : c’est qu’Adrien voudrait avancer sur une Constitution, et en le lisant on se dit qu’il a bien raison, on s’agacerait presque avec lui quand quelqu’un propose une ‘Déclaration des droits de l’homme et du citoyen’ en se disant que Merde, encore un type qui veut se faire mousser…

    On peut lire ce livre comme un document historique. On peut aussi le voir comme une série à suspense riche en ironie dramatique (parce que nous savons, nous, comment l’Histoire a figé les événements).
    On peut aussi le recommander à toutes celles et ceux qui s’intéressent un peu à la politique - il y a beaucoup de Nuit Debout, au fond, là-dedans : le chaos, le collectif, les personnalités qui émergent, les impatiences, les hésitations, les débats qui ne servent à rien - et puis, au milieu de tout ça, des moments grandioses, comme l’abandon des privilèges.

    Ah non, vraiment, c’est à lire.

    Si vous avez eu l’occasion de voir « Ça ira », la pièce de J. Pommerat, vous verrez combien la pièce emprunte à ce livre. Et si vous ne l’avez pas vue - eh bien, courez-y.
    Sur ce, bon feu d’artifice, merde aux privilèges, et allez les Bleus.

    Adrien Duquesnoy - Un révolutionnaire malgré lui (Journal, mai-octobre 1789), édité par Guillaume Mazeau - Mercure de France, 2017

     

  • Tête en l'air

    tête en l'air, gaitet, paulsen, démarchesÇa commence par une rencontre avec deux éditrices : "Vous qui ne faites pas de sport, ça vous irait de grimper 4808 mètres et de nous raconter ?" *

    Un an plus tard, ça donne ça :
    "L’un de mes doigts se met à me lancer. Un picotement d’abord, qui dégénère. Sous le gant épais conçu pour résister au froid, l’extrémité onglée de mon annulaire droit me brûle d’une douleur qui de minute en minute devient insoutenable (...)"

    Il y a le froid, le vent, la faim ("si j’avais un royaume ou un cheval, je les vendrais pour une assiette de spaghettis"), le vide, la fatigue, les chutes de pierres et autres dangers de la montagne (15 morts cet été là sur le Mont Blanc, quand même).
    Une aventure, une vraie, qui se prépare la tête haute et les pieds certes nickelés, mais bien chaussés.
    Une aventure contée le sourire aux lèvres et l’estomac un brin noué, sans faux suspense (mais avec un peu de vrai) et un brin d’émotion sur la fin. Et avec cette élégance suprême : partager la vedette du roman avec son guide, René Ghilini - alpiniste gouailleur et chasseur de cristaux à ses heures.

    Ne pas prendre le lecteur de haut, c'est tout un art.

    Richard Gaitet, Tête en l'air - éditions Paulsen

     

    * Voilà quand même un point de départ idéal pour un roman de non-fiction. Imaginez qu'un jour on me demande : "Vous qui ne parlez pas espagnol et qui n'aimez pas danser, ça vous dirait d'aller vivre 6 mois à Buenos Aires et de vous inscrire dans une école de tango ?", je filerais acheter une méthode d'espagnol. Pas vous ?

  • Circé !

    Circé.jpgLa première question question qui vient, quand vous dites que vous écrivez des livres, c’est : « Quel genre ? »
    Et bien sûr, à moins que n’ayez choisi de vous n’écrire que du polar, ou du roman historique, ou du dinoporn (ça existe), vous ne savez jamais quoi répondre.
    Parce qu’évidemment, vos livres empruntent un peu à tous les genres, et surtout à aucun.

    Parfois, des critiques professionnels auront tenté de classer vos romans. Ils auront noté que le premier était "une fantaisie plus grave qu'il n'y paraît", que le deuxième était à la fois un récit et un roman, que le dernier relevait autant du conte que du roman réaliste… Vous y repensez, et vous soupirez. Parce que vous savez le sort qu’on réserve aux œuvres "entre deux genres" : quatre-vingt dix-neuf fois sur cent, elles tombent dans le trou béant qui se trouve au milieu.
    Et puis, une fois sur cent, c’est la grâce : le livre à cheval entre les genres embrasse les deux à la fois, et soudain bim ! un grand roman apparaît.

    C’est le cas de ce Circé qui vient de paraître.
    L’histoire de la déesse sorcière qui recueillit Ulysse, fille rejetée d’Hélios et d’une nymphe de l’Olympe, exilée seule sur son île et qui pourtant, dans sa vie d’immortelle, croisera et aidera Prométhée, Dédale, Médée, Jason - et d’autres mais je les passe, car je compte bien que vous lisiez ce livre et je m’en voudrais de divulgâcher, alors que le suspense est réel.

    Circé, donc, c’est un roman sans genre et qui les embrasse tous. Il a le romanesque d’un récit mythologique, la profondeur d’un roman psychologique, la puissance d’un portrait au regard mystérieux. Une réécriture féministe de l’Iliade, dira l’éditeur américain (le livre y a été n°1, je crois) : le qualificatif un peu facile m’avait rendu sceptique, mais après ces 400 pages, je dois reconnaître que c’est vrai. La Circé de Madeline Miller n’a rien, mais alors rien à envier à celle des "Contes et légendes" que je dévorais enfant, et elle éclaire d’un jour nouveau toute la mythologie grecque.

    Et quand on sait que cette mythologie s’est construite en épisodes successifs, je me demande si elle ne vient pas d’y ajouter une figure nouvelle.
    Entre ici, Madeline Miller, etc.
    Et bravo.

     

    Ah ! Si, quand même, je dois te prévenir : les dix premières pages sont un peu ardues - c’est qu’il faut bien entrer dans ce monde où Dieux et nymphes sont éternels et se font la guerre - mais une fois l’histoire lancée, elle ne faiblira pas.
    Comme quoi l’éternité ce n’est pas si long, sauf peut-être au début.


    Madeline Miller, Circé, ed. rue fromentin, 428 p.

     

     

  • Ce qu'il reste

    varvello, ce qu'il reste, masqueDepuis que l’idée me taraude d’écrire un jour un polar, je les lis avec un œil différent.
    Jusqu’ici, je dois dire qu’aucun n’a mérité que je me décarcasse à écrire ici une chronique. Il y en a de bons, de très bons, de moins bons et de beaucoup moins bons, mais bon, hein, c’est la loi du polar, ça passe vite et ça se renouvelle assez peu.
    … Lorsque soudain, recommandé par la grande Violaine Chivot, en voilà un qui sort vraiment de l’ordinaire. Folie !

    En août 1978, l’été où j’ai rencontré Anna Trabuio, mon père a entraîné une fille dans les bois.

    Cette histoire du père, narrée par le fils, fait le fil rouge du roman, tandis qu’en parallèle le jeune Elia raconte ce fameux été 78, celui de ses 16 ans, entre amitiés sulfureuses et premiers émois qui ne le sont pas moins. Et ses parents qui se déchirent, parce que le père, un soir…

    Et tout au long du livre, on ne se demande pas "Qui a tué ?" mais "Va-t-il vraiment la tuer ?", avec le fol espoir qu'il n'en soit rien, qu’un twist final vienne nous dire que non, que le jeune Elia n’aura pas ça à supporter ça.

    Tension garantie, et sans grosse ficelle. Au fond, je crois que les polars que je préfère sont ceux qui ne sont pas vraiment des polars. Parce qu’au-delà de la trame principale, l’évocation du village italien dans un été trop chaud est parfaite, avec ses secrets, ses rancœurs et ses rendez-vous près de la station-service, avec le jeune Elia au centre de tout.

    La couverture est toute de rouge et de gris, mais au fond c’est un livre aux couleurs du Masque : du noir bien sûr, et du jaune soleil. Brillant.

    Elena Varvello, Ce qu'il reste, ed. du Masque, 2018

  • L'Ombre sur la lune

    l'ombre sur la lune, agnès mathieu daudé, gallimardEn octobre dernier, au Prix de la page 111, j'ai donné des points à la p.111 de L'Ombre sur la lune, d'Agnès Mathieu-Daudet. Indifférence de mes camarades, quelques railleries même, j’avais l’impression de défendre un tableau figuratif au milieu d’une convention Kandinsky.
    Je n'avais pas beaucoup insisté.
    Et pourtant mince, je me disais, il y a pourtant quelque chose, dans cette page, sous la légèreté apparente.
    Mais pour être sûr de ne pas m’être laissé berner par une simple tension narrative (et je peux te dire elles manquaient sacrément de tension, les pages 111 de 2017), il fallait que je lise le roman entier.

    ... Eh bien voilà, c'est fait, et me voilà rassuré.
    Une ironie douce, une profondeur dans le détachement, un brin d’absurde : j’ai pensé à Julia Deck, à Caroline Lunoir, à Emilie de Turckheim, à... (inscris ici ton auteure préférée dans le genre)
    Si j’étais critique je n’hésiterais pas à évoquer une "voix féminine du roman français", ou quelque chose comme ça - un ton en tout cas que je n’ai trouvé dans aucun roman étranger.
    Heureusement que je ne suis pas critique.

    En tout cas, avec celui-là, vous verrez du pays : la Sicile, Paris, Madrid, Séville, des musées, un stade de foot, un peu de mafia, une Chinoise de deux mètres, une corrida, une aire d'autoroute et des plages désertes : un voyage en première classe.

  • La ville gagne toujours

    omar robert hamilton, sarah gurcel, la ville gagne toujours, gallimard2011. Au Caire, "la rue" a renversé Moubarak depuis plusieurs mois, mais l’armée a pris sa place et des révolutionnaires en veulent plus. Qui exactement ? Quoi ? On ne le saura jamais vraiment. Et c’est encore plus fort.
    Mariam, Khalil et leurs amis manifestent pour la libération de camarades emprisonnés, ils diffusent des podcasts pour informer l’Egypte et le monde sur des violences policières et des mensonges d’État, ils prennent soin des blessés dans des hôpitaux "sûrs", ils montent des collectifs pour veiller à la sécurité des femmes place Tahrir et ailleurs, espèrent souvent, désespèrent parfois, tentent de mener une vie normale aussi, un peu.
    Ils sont des fourmis de la révolution dans la très très grande ville, des pions actifs et héroïques dans le jeu de l’armée et des Frères musulmans qu’ils combattent pareillement.

    Et c’est la grande force du roman : Omar Robert Hamilton n’a pas choisi de faire de ses personnages des héros de la révolution qui a chassé Moubarak, il chronique à leurs côtés les mois d’après, ceux des élections (manipulées ou pas ? ils ne savent pas, nous ne saurons pas), des manifs monstres contre Morsi, mais aussi ceux des déceptions, des défections, et du général Al Sissi qui s’installe au pouvoir.

    Le roman d’une révolution manquée qui pourrait être celui de tant d’autres, ailleurs dans le monde. Le roman d’une révolution qui invente ses codes et ses moyens d’action - son vocabulaire, aussi, loin des militants de chez nous, de leurs « luttes » et de leur convergence qui sonnent toujours à mes oreilles (suis-je le seul ?) comme l’expression d’un combat perdu d’avance, d’un combat qu’on n’aurait pas tant que ça envie de gagner.

    Mais je m’égare.

    La ville gagne toujours, grand roman d’une révolution tout court, à hauteur de rue et avec entre les lignes une intelligence folle. Et pas seulement entre les lignes. La preuve :


    « Peu importe ce qui se passe aujourd’hui : [les Frères Musulmans] ont un plan.
    - Donc on marche droit dans un piège, dit-il.
    - C’est trop tard pour y faire quoi que ce soit.
    - Tout le monde a un plan, sauf nous.
    - On n’a jamais de plan.
    - Ouais. Notre grande force.
    - Oui, c’est une force. »
    Il ne répond pas.
    « Tu préférerais quoi ? Préparer d’autres élections supervisées par l’armée ?
    - Non, ça me va très bien de passer ma vie à manifester contre tous les gouvernements de merde qui se succéderont parce que je suis trop pur pour m’essayer à gouverner.
    - Si ce que tu veux, c’est jouer à la politique, va donc te choisir un parti.
    - Ce que je veux, c’est savoir pour quoi je risque ma vie. Quel est le plan, le projet. Depuis quand c’est une question absurde ?
    - Mourir pour le plan, ça s’appelle être dans l’armée. Mourir pour quelque chose de neuf, c’est faire la révolution.
    - J’ai l’impression d’entendre parler une folle.
    - Eh bien reste ici, personne ne t’oblige à venir.
    - Je ne vais pas rester ici et vous regarder vous faire tuer à la télé. »

    Omar Robert Hamilton, La ville gagne toujours - Gallimard (trad : Sarah Gurcel), p. 211

     

    PS - à propos de distance, en écrivant cette note je repense à une des toutes premières chroniques de roman publiée ici. Le monde à hauteur de petite fille, disais-je à propos du Manège(s), de Laura Alcoba. C’était en 2007, mince. 11 ans, déjà. Et du coup, à la faveur d’un message récemment reçu, gonflé de rosé et d’encouragements (merci S.), revient l’idée de publier certaines de ces notes en recueil. Pas seulement sur les livres - peut-être pas du tout, d’ailleurs.
    « Blog, 2005 - 2020 », ça aurait de la gueule, comme titre, non ?
    Le premier qui prend cette balle au bond aura ma reconnaissance éternelle (en plus de fortune, voyages, amour et gloire, bien sûr)

  • Des Fleurs dans le vent, Sonia Ristić

    fleurs, vent, ristic, intervallesIl y a de grandes fresques que des auteurs étirent en plusieurs volumes. C’est un vrai savoir-faire, un secret d’auteur à succès.
    Et puis, parfois, un auteur réussit à condenser une fresque sur 200 pages, et c’est la grâce.

    Il y avait La Condition pavillonnaire, de Sophie Divry, par exemple. C’était en 2014. Et maintenant, Des fleurs dans le vent, de Sonia Ristic.

    Ce n’est pas le premier roman que je lis d’elle. Il y a quelques mois, j’ai retrouvé le brouillon d’une note que je n’ai finalement jamais publiée ici sur son premier roman, La belle affaire (quelle couverture, quand même). C’était à l’automne 2015, et j’y regrettais que son livre ne puisse figurer parmi les finalistes du Prix de la page 111. (alristic, la belle affaireors que S. Divry, l’année précédente, y avait figuré en bonne place). Il y avait pourtant une écriture assurément singulière, éthérée, profonde et légère à la fois… Une seule page ne lui rendait pas justice, dommage.

    Trois ans plus tard, on retrouve cette écriture dans son deuxième roman chez Intervalles.
    L’histoire ? Elle tient en trois personnages. Summer, JC et Douma, amis d’enfance dans les années 70 et qui vont grandir ensemble jusqu’aux années 2000 où deux d’entre eux (c’est la 1e scène) attendent la sortie de prison du troisième. Vingt ans d’une amitié indéfectible, avec la fin du siècle en toile de fond : l’élection de Mitterrand, le sida, la chute du mur et les cartes scolaires qui vacillent, la guerre en Irak et les 2be3, Zyed et Bouna en 2005… Et les trois enfants de la Goutte d’Or qui cherchent leur voie dans tout ça, se perdent et se retrouvent, sans jamais rien trop souligner. Une grande fresque par petites touches, si l’on veut. 200 pages qui vaudraient bien trois tomes ailleurs.
    Bravo.

  • Les leçons du vertige (destins possibles d'un roman de septembre)

    290.04739336493_450_240.jpgJe n’ai jamais parlé ici de mes deux expériences de Rentrée littéraire.
    Il n’y a pas forcément grand chose à en dire, d’ailleurs.
    La première fois, je ne m’attendais à rien de spécial et il ne s’est rien passé du tout (ou presque). Je me suis dit : ça, c’est fait.
    La deuxième fois, j’attendais beaucoup et il ne s’est rien passé (ou presque), je me suis dit : plus jamais.

    Et dire que c’est le lot de 90 % des livres qui sortent chaque année en septembre…
    Voilà pourquoi on a toujours envie de souffler très fort pour pousser les romans qui ne semblent pas taillés pour la Rentrée.
    C’était le cas de Marie Charrel l’autre jour. C’est le cas de cet autre roman que je viens de finir - Les leçons du vertige, de Jean-Pierre Montal.

    Il faut imaginer l’éditeur en réunion de représentants (cette sorte de grand jury 3 mois avant la sortie où se joue en grande partie, devant des commerciaux fatigués, le sort d’un livre en librairie), il faut imaginer l’éditeur, donc, sommé de pitcher le roman en quelques phrases :

    Eh bien, c’est l’histoire de Pierre Varlin, la quarantaine, qui promet à son père vieillissant d11e retrouver sa tante pour recoller de vieux pots cassés. C’est aussi, en flashback, l’adolescence de Pierre à St Etienne, et son apprentissage du grand monde avec son oncle, fascinant noctambule. Le roman oscille entre les deux époques en s’offrant des détours par le Forez, Paris XVIe et l’engagement politique radical du frère de Pierre… Mais surtout, l’écriture, l’écriture… !

    Je fais confiance à l’éditeur pour s’en être sorti mieux que ça. Mais globalement, si vous n’êtes pas Gallimard, Grasset ou Minuit, si votre nom n’est pas déjà connu, vous avez peu de chances d’accrocher la meute si votre histoire ne se résume pas en deux phrases choc.
    Et pourtant, il faut le dire : ce roman est bon. Très bon. Si bon qu’on aimerait le mettre entre toutes les mains - les vôtres, tenez.

    Mais pour ça, que dire ?

    Qu’il y a du Claude Sautet dans ce livre, par exemple - un Sautet version 2017, à la fois intemporel et actuel, à la fois intense dans l’intime et diablement juste dans sa dimension sociale.
    Que c’est, au fond, un grand roman de l’engagement, si on est client de romans de quelque chose.
    Que c’est aussi un roman d’apprentissage - dans les boîtes de Saint-Etienne en 1985 ou à Paris en 2017, parce qu’on apprend à tout âge.

    Qu’on y trouve aussi des petits bars de province, des vieux amis, des trahisons, l’art de mener une foule depuis les platines d’une cabine de DJ, un nègre qui enquête après son point final, des activistes politiques - et un climax d’une quinzaine de pages où toutes les histoires se rejoignent avec une finesse parfaite.

    Bref.

    Ce roman pourrait être chez Gallimard (entre nous, l'auteur en remontrait à pas mal d'auteurs de la Blanche) et on en parlerait, de ce père, de ces fils et de ce groupe radical qui proclame : "l’homme est de retour" ; on s’offrirait même peut-être une polémique : Montal est-il un visionnaire ou un "regretteur d’hier", comme l'écrit LivresHebdo ?

    Ce roman pourrait aussi être américain, il ferait 500 pages et non 300 parce que l’auteur prendrait ses aises et on se pâmerait devant cette façon exceptionnelle d’entremêler les histoires, la famille et la politique, aujourd’hui, hier et demain, et cette vision sans fard d’un Pittsburgh dévasté par la crise.

    Mais non. Jean-Pierre Montal est français, Les leçons du vertige se passe à Saint-Etienne et non à Pittsburgh, l’écriture est dense et et son éditeur n’a pas l’oreille de François Busnel (enfin, je crois).

    Allez, j’arrête là. D’autres l’ont déjà salué, tout de même, et tant mieux. A vous, maintenant. Vous me direz.

     

    Jean-Pierre Montal, Les leçons du vertige, éd. Pierre-Guillaume de Roux